Autrefois, il aurait été inconcevable pour la majorité des musulmans malaisiens d'oser contester un religieux. Pourtant, deux fatwas controversées émises récemment ont déclenché dans l'opinion un vif débat sur le bien-fondé de ces décisions. Quand, en vue de proscrire l'homosexualité féminine, le Conseil national de la fatwa a interdit aux femmes d'adopter des comportements masculins et de porter des pantalons, de timides protestations se sont fait entendre parmi les citadins modérés. Et, au bout du compte, la décision – rendue publique le 23 octobre dernier – a été largement ignorée.
Les fatwas n'ont pas force de loi, sauf lorsqu'elles sont publiées au journal officiel comme relevant de la charia, la loi islamique. Après leur publication, les autorités religieuses sont chargées de les faire appliquer. Reste que de nombreux musulmans ont coutume d'obéir à ces textes par respect pour leurs auteurs, même s'ils ne sont pas publiés officiellement.
En interdisant, le 22 novembre, la pratique du yoga, de plus en plus prisée par les citadins aisés, le Conseil a déclenché un énorme tollé. Des groupes de défense des droits de l'homme et des yogis ont critiqué la décision. Même les souverains de certains Etats de la péninsule, qui sortent rarement de leur réserve, sont montés au créneau. Les citadins paraissent désormais moins enclins à croire les religieux sur parole et n'ont plus de scrupules à remettre leur autorité en question.
La fatwa contre le yoga est née des recommandations d'un professeur de l'université Kebangsaan Malaysia. Estimant que les influences hindoues du yoga allaient à l'encontre de l'islam, il a conseillé aux musulmans de renoncer à cette pratique. Le Conseil national affirme avoir commandité une enquête avant d'émettre la fatwa. Mais nul ne sait en quoi elle a consisté au juste. Si ses membres avaient visité des centres de yoga, ils se seraient rendu compte que la plupart de ceux ouverts à Kuala Lumpur sont strictement laïcs. Les cours ont lieu dans les salles climatisées de clubs de gym branchés et onéreux où l'on n'entend pas un seul "om" hindou, pas une seule psalmodie. Comme n'importe qui d'autre, les musulmans font du yoga tout simplement parce que c'est un moyen parmi d'autres de se détendre.
Certains commentateurs ont d'ailleurs souligné que les musulmans n'avaient pas besoin de recourir au yoga pour s'écarter de leur foi si telle était déjà leur tendance ; d'autres ont rappelé que des disciplines comme le qi qong ou le tai-chi trouvaient leurs racines dans le bouddhisme. D'autres encore se sont demandé si l'énergie dépensée par le Conseil national des fatwas pour interdire le yoga n'aurait pas été mieux utilisée à combattre des problèmes plus graves et plus urgents tels que la corruption et la pauvreté. En ville, les musulmans souhaitent désormais en savoir davantage sur la façon dont le Conseil mène ses enquêtes et décide ses fatwas. Aspara Rusli, une femme d'affaires de 30 ans dont les débuts de yogi remontent à mars 2008, estime que les religieux auraient dû prendre part à quelques séances avant de se prononcer. "S'ils avaient assisté à mes cours et avaient eux-mêmes pratiqué, ils auraient vu que ça ne pose aucun problème", affirme-t-elle.
L'opacité qui entoure le fonctionnement du Conseil n'est pas nouvelle. En 1997, une fatwa avait frappé des musulmanes qui avaient participé à des concours de beauté. Son existence avait été révélée à l'issue d'une descente policière : plusieurs jeunes femmes avaient été menottées, écrouées et jugées pour leur délit. A l'époque, de nombreuses personnes, ayant eu vent du traitement infligé aux miss, n'en avaient pas cru leurs oreilles, d'autant que peu d'entre elles étaient informées de la fatwa. Mahathir Mohamad, alors Premier ministre, avait lui-même considéré ce traitement comme sévère et dégradant, ce qui lui avait valu d'être qualifié d'apostat par certains muftis. Dans le cas de la fatwa contre le yoga, l'étendue des divisions a été mise en lumière par la prise de position d'un mufti. Mohamad Asri Zainul Abidin, le mufti de l'Etat du Perlis, a estimé que, de nos jours, les fatwas devaient s'interdire d'être trop rigides et que le Conseil aurait été mieux inspiré en proposant une autre forme de yoga. De fait, les yogis musulmans doivent eux aussi penser qu'un yoga "halal" aurait pu être introduit de manière à ne pas plonger dans l'embarras les fidèles les plus pieux. En attendant, nombre d'entre eux sont enclins à ignorer la fatwa. Les conservateurs continueront à les critiquer et à exiger que les musulmans se plient aux avis de religieux instruits.
Une Malaisienne de 60 ans, pratiquant le yoga pour atténuer son hypertension et ses vertiges, reconnaît avoir été désemparée. "Tout d'un coup, je n'étais plus sûre de moi-même. Le yoga est-il réellement si mauvais ?" se demande cette femme aisée et pieuse. Elle s'est donc sentie soulagée et a poursuivi ses exercices d'étirement et de respiration lorsque le Premier ministre, Abdullah Badawi, a déclaré que, sans psalmodies, la pratique du yoga était acceptable. Au bout du compte, pour les amateurs de yoga, les choses ont repris leur cours normal. Mais ce qui a changé, c'est désormais la volonté des musulmans de ne pas laisser les décisions des religieux s'appliquer sans en interroger le bien-fondé.
Source : Courrier International
Hazlin Hassan
The Straits Times
Les fatwas n'ont pas force de loi, sauf lorsqu'elles sont publiées au journal officiel comme relevant de la charia, la loi islamique. Après leur publication, les autorités religieuses sont chargées de les faire appliquer. Reste que de nombreux musulmans ont coutume d'obéir à ces textes par respect pour leurs auteurs, même s'ils ne sont pas publiés officiellement.
En interdisant, le 22 novembre, la pratique du yoga, de plus en plus prisée par les citadins aisés, le Conseil a déclenché un énorme tollé. Des groupes de défense des droits de l'homme et des yogis ont critiqué la décision. Même les souverains de certains Etats de la péninsule, qui sortent rarement de leur réserve, sont montés au créneau. Les citadins paraissent désormais moins enclins à croire les religieux sur parole et n'ont plus de scrupules à remettre leur autorité en question.
La fatwa contre le yoga est née des recommandations d'un professeur de l'université Kebangsaan Malaysia. Estimant que les influences hindoues du yoga allaient à l'encontre de l'islam, il a conseillé aux musulmans de renoncer à cette pratique. Le Conseil national affirme avoir commandité une enquête avant d'émettre la fatwa. Mais nul ne sait en quoi elle a consisté au juste. Si ses membres avaient visité des centres de yoga, ils se seraient rendu compte que la plupart de ceux ouverts à Kuala Lumpur sont strictement laïcs. Les cours ont lieu dans les salles climatisées de clubs de gym branchés et onéreux où l'on n'entend pas un seul "om" hindou, pas une seule psalmodie. Comme n'importe qui d'autre, les musulmans font du yoga tout simplement parce que c'est un moyen parmi d'autres de se détendre.
Certains commentateurs ont d'ailleurs souligné que les musulmans n'avaient pas besoin de recourir au yoga pour s'écarter de leur foi si telle était déjà leur tendance ; d'autres ont rappelé que des disciplines comme le qi qong ou le tai-chi trouvaient leurs racines dans le bouddhisme. D'autres encore se sont demandé si l'énergie dépensée par le Conseil national des fatwas pour interdire le yoga n'aurait pas été mieux utilisée à combattre des problèmes plus graves et plus urgents tels que la corruption et la pauvreté. En ville, les musulmans souhaitent désormais en savoir davantage sur la façon dont le Conseil mène ses enquêtes et décide ses fatwas. Aspara Rusli, une femme d'affaires de 30 ans dont les débuts de yogi remontent à mars 2008, estime que les religieux auraient dû prendre part à quelques séances avant de se prononcer. "S'ils avaient assisté à mes cours et avaient eux-mêmes pratiqué, ils auraient vu que ça ne pose aucun problème", affirme-t-elle.
L'opacité qui entoure le fonctionnement du Conseil n'est pas nouvelle. En 1997, une fatwa avait frappé des musulmanes qui avaient participé à des concours de beauté. Son existence avait été révélée à l'issue d'une descente policière : plusieurs jeunes femmes avaient été menottées, écrouées et jugées pour leur délit. A l'époque, de nombreuses personnes, ayant eu vent du traitement infligé aux miss, n'en avaient pas cru leurs oreilles, d'autant que peu d'entre elles étaient informées de la fatwa. Mahathir Mohamad, alors Premier ministre, avait lui-même considéré ce traitement comme sévère et dégradant, ce qui lui avait valu d'être qualifié d'apostat par certains muftis. Dans le cas de la fatwa contre le yoga, l'étendue des divisions a été mise en lumière par la prise de position d'un mufti. Mohamad Asri Zainul Abidin, le mufti de l'Etat du Perlis, a estimé que, de nos jours, les fatwas devaient s'interdire d'être trop rigides et que le Conseil aurait été mieux inspiré en proposant une autre forme de yoga. De fait, les yogis musulmans doivent eux aussi penser qu'un yoga "halal" aurait pu être introduit de manière à ne pas plonger dans l'embarras les fidèles les plus pieux. En attendant, nombre d'entre eux sont enclins à ignorer la fatwa. Les conservateurs continueront à les critiquer et à exiger que les musulmans se plient aux avis de religieux instruits.
Une Malaisienne de 60 ans, pratiquant le yoga pour atténuer son hypertension et ses vertiges, reconnaît avoir été désemparée. "Tout d'un coup, je n'étais plus sûre de moi-même. Le yoga est-il réellement si mauvais ?" se demande cette femme aisée et pieuse. Elle s'est donc sentie soulagée et a poursuivi ses exercices d'étirement et de respiration lorsque le Premier ministre, Abdullah Badawi, a déclaré que, sans psalmodies, la pratique du yoga était acceptable. Au bout du compte, pour les amateurs de yoga, les choses ont repris leur cours normal. Mais ce qui a changé, c'est désormais la volonté des musulmans de ne pas laisser les décisions des religieux s'appliquer sans en interroger le bien-fondé.
Source : Courrier International
Hazlin Hassan
The Straits Times