Société

En Suisse, la campagne sur l'initiative populaire anti-niqab bat son plein

Rédigé par | Mardi 2 Mars 2021 à 12:55

Près de douze ans après l'initiative anti-minarets, les Suisses sont appelés à se prononcer dimanche 7 mars sur l'interdiction ou non du port du niqab dans l'espace public. Une votation qui signe un test électoral pour la droite nationaliste et l'extrême droite qui porte une initiative auquel le gouvernement s'oppose.



Sur fond de crise sanitaire, la Suisse est-elle sur le point d'interdire le port du voile intégral sur son territoire national ? Le 7 mars, les citoyens suisses devront se prononcer formellement pour ou contre l'interdiction de dissimuler son visage. Si le oui l'emporte, la mesure s'appliquera alors dans l’espace public et les lieux accessibles au public, sauf dans les lieux de culte, avec des exceptions à la règle aussi prévues pour des raisons sanitaires, sécuritaires, climatiques et de coutumes locales.

A la manœuvre de l'initiative populaire « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage », on retrouve le Comité d’Egerkingen, un groupement proche de l'Union démocratique du centre (UDC) à l'origine de l'initiative populaire qui a conduit à l'interdiction des minarets en 2009.

Ses responsables ne s'en cachent pas : « Bien que le nouvel article constitutionnel ne le mentionne pas spécifiquement, il est clair pour tous que la cible principale est le voile intégral (burqa ou niqab), c’est-à-dire ce symbole d’oppression des femmes musulmanes qui empêche leur intégration dans notre société. » La campagne bat son plein en ce sens mais l'initiative dite « anti-burqa », déposée en septembre 2017 après le recueil des 100 000 signatures nécessaires, divise l'opinion publique, bien que le port du niqab est un phénomène marginal qui concernerait 20 à 30 femmes en Suisse selon une étude de l’Université de Lucerne.

Mais, répond le Comité d’Egerkingen, « l’interdiction de la burqa est une question de principe, pas de chiffres », visant à « donner un signal fort de résistance à l’islamisation et au même temps d’envoyer un avertissement aux autorités fédérales, lesquelles, au nom du "politiquement correct", n’ont pas eu le courage de faire un choix de société ».

Le non marqué contre une restriction à la liberté individuelle

Si l'initiative fait se serrer les rangs de la droite nationaliste et de l'extrême droite, le Parti libéral-radical (PLR) refuse de voir l’interdiction de se dissimuler le visage ancrée dans la Constitution, qui plus est quand elle implique une restriction « permanente » du droit à la liberté individuelle.

« Il n’appartient pas à l’État de légiférer sur la tenue vestimentaire des citoyens et citoyennes ou des touristes. Chacun est fondamentalement libre de se vêtir et de pratiquer sa religion comme bon lui semble. L’époque où des autorités dictaient la tenue vestimentaire des gens – surtout des femmes – est heureusement révolue », affirme le PLR, qui s’inquiète aussi d’une initiative « préjudiciable au tourisme » et qui « empiète sur l’autonomie des cantons ».

C'est non aussi du côté du Centre (ex-PDC, ex-Parti démocrate-chrétien). A gauche, le parti des Verts s'y est catégoriquement opposé, dénonçant « une croisade anti-musulmans sous couvert d'égalité ». « Sous prétexte d’égalité, l’initiative fait campagne contre les musulman-es et fait donc partie de la stratégie populiste d’exclusion », appuie le mouvement, qui fustige « une initiative ne contribuant en rien à l’égalité. Bien au contraire : elle exclut davantage des femmes et cimente une vision patriarcale du monde, qui prescrit comment les femmes doivent se vêtir ».

Le Parti socialiste aussi rejoint le camp du non. « Chaque individu doit pouvoir choisir librement ce qu’il veut faire. Peu importe le pays d’où il vient et la religion qu’il pratique. Personne n’a le droit d’imposer quelque chose à un autre individu », martèle-t-on. « Les femmes ont le droit de décider ce qu’elles font de leur corps. Personne n’a le droit de décider pour elles. Personne n’a le droit de leur imposer des règles. Personne n’a le droit d’interdire aux femmes de porter le voile. Et personne n’a le droit d’obliger les femmes à porter le voile. »

Un contre-projet du gouvernement sur la table

Egalement opposé à l'initiative, le Conseil fédéral suisse, pour qui les cantons doivent rester par tradition compétents pour gérer l'espace public, a mis sur la table un contre-projet indirect. Celui-ci, approuvé par le Parlement en mars 2020, prévoit une obligation de montrer son visage uniquement à des fins d'identification par les autorités ainsi que des mesures en faveur de l'égalité hommes-femmes. Si l'initiative populaire est rejetée le 7 mars, c'est ce contre-projet du gouvernement qui entrera alors en vigueur en Suisse. Il a le soutien des opposants à l'initiative populaire, parmi lesquels le Conseil suisse des religions (CSR).

L'organe, qui regroupe les représentants des principales communautés religieuses du pays, s’oppose en effet à l’unanimité « à une restriction disproportionnée de la liberté de religion ».

« En tant que représentantes et représentants des plus grandes communautés religieuses de Suisse, nous voulons nous unir aujourd’hui et montrer qu’une interdiction de se dissimuler le visage ne peut en aucune manière contribuer à une cohabitation pacifique dans notre pays », a affirmé en janvier Harald Rein, président du CSR et évêque de l’Église catholique chrétienne de Suisse. Le CSR se dit « conscient des peurs et des préoccupations de la population face à la radicalisation religieuse et aux idéologies prônant la violence. Mais l’initiative n’offre aucune solution à ce problème ».

Une interdiction générale injustifiée pour les défenseurs des droits

Si l'interdiction de la dissimulation du visage est déjà appliquée dans les cantons du Tessin depuis 2013 et de Saint-Gall depuis 2018, son extension au reste du territoire préoccupe les défenseurs des droits. « La question de la burqa (ou encore niqab) en Suisse, au vu du très petit nombre de personnes directement concernées, n'a pas, jusqu’à présent, fait partie de nos priorités », fait valoir la branche suisse d’Amnesty International. « Mais, dès lors que le thème est instrumentalisé dans une initiative populaire et qu’il est utilisé, au nom des droits humains, pour stigmatiser des groupes de la population et des communautés religieuses ou pour attiser un discours xénophobe et islamophobe, nous nous sentons obligés, en tant qu’organisation de défense des droits humains, de prendre position dans le débat. »

« Une prescription légale interdisant le port public d’un type déterminé de vêtement peut constituer une atteinte à la liberté personnelle et à la liberté religieuse. Il est toutefois nécessaire d’évaluer si une telle atteinte est justifiable pour des raisons de sécurité, de santé et d’ordre publics, ou encore de morale. Il faut également voir si la mesure est proportionnée et permet d’atteindre le but voulu », poursuit l'organisation, pour qui une interdiction générale du voile intégral en Europe « n’est pas justifiée ».

Même son de cloche du côté de Human Rights Watch qui, en la personne de son directeur exécutif Kenneth Roth, a appelé à ne pas « infantiliser » les femmes concernées. « Oui, il y a des pressions sociétales sur certaines femmes musulmanes de s'habiller de manière conservatrice », a-t-il reconnu auprès de la presse. Mais « beaucoup de femmes veulent s'habiller comme cela et c'est leur droit », a-t-il ajouté, affirmant que « ce vêtement ne constitue aucune menace » pour d'autres citoyens.

Les Suisses, qui seront aussi amenés le 7 mars à se prononcer sur la Loi fédérale sur les services d'identification électronique (LSIE) permettant de mieux encadrer l'identification en ligne, ainsi que sur un accord de libre-échange avec l'Indonésie, vont devoir trancher dans le vif. Si l'initiative est acceptée, la Suisse rejoindra alors les six autres pays européens ayant interdit le port du voile intégral dans les lieux publics, à savoir la France, la Belgique, l’Autriche, le Danemark, la Bulgarie et la Lettonie.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur