Points de vue

Entre paternalisme et universalisme, la gauche doit choisir

Rédigé par Houari Bouissa | Mercredi 7 Mai 2014 à 06:00



Houari Bouissa
Depuis la déroute attendue de la gauche en général, et du Parti socialiste en particulier, aux dernières élections municipales, nombre d’analyses sur le vote musulman, sur une certaine droitisation de cet électorat influencées par les soubresauts du mariage pour tous et la théorie du genre, vont bon train. Ces diverses analyses nous expliquent que ce qui est dorénavant appelé « l’électorat musulman » s’est rapproché des valeurs de la droite, voire de l’extrême droite.

Michèle Tribalat va jusqu’à nous expliquer, sur Atlantico, que « le retour au religieux constaté dans la jeunesse élevée dans une famille de culture ou de religion musulmane (de) tous les milieux sociaux n’est guère annonciateur d’une disposition à accepter les réformes sociétales défendues par la gauche ». Comme si les populations musulmanes avaient un avis arrêté et uniforme sur toutes les décisions prises par la gauche.

Certes, en 2012, certains furent tentés par l’idée d’un électorat musulman. Selon les instituts de sondage, entre 72 et 89% des électeurs qui se définissaient musulmans (les statistiques ethniques n’existant pas) ont voté pour François Hollande. Cependant, quand on observe la diversité des musulmans, on remarque qu'il n'y a pas ou plus de vote musulman acquis.

Terra Nova, l'échec d'une stratégie électoraliste

Laurent Bouvet, politologue de la fondation Jean Jaurès, explique que la stratégie du think tank proche du PS, Terra Nova, visant à agréger des électorats spécifiés par un critère d'identification (femmes, jeunes, minorités ethniques et « quartiers », diplômés du supérieur…) afin de créer une « nouvelle coalition » pour la gauche face au désamour de l’électorat ouvrier à son égard, était à la fois très critiquable méthodologiquement et dangereuse politiquement.

En effet, le risque pour le PS, c'est de voir ces « électorats » catégorisés se détourner les uns après les autres, ceux-ci n’étant pas homogènes et donc difficiles à satisfaire de manière générale. Ainsi, supposer que tous les musulmans puissent vouloir la même chose et pensent à l'identique n'a aucun sens. Certains seront davantage favorables que d'autres à des mesures visant à lutter contre les discriminations. D’autres encore ont reçu de manière positive les propositions visant à réduire les inégalités hommes/femmes dans notre société. Cependant, il y a un risque de considérer l’électorat musulman comme uniforme et acquis à gauche. C’est ce qui s’est produit aux élections municipales de 2014. Elles ont fait apparaître l’échec de la stratégie de Terra Nova face aux mesures sociétales. Autrement dit, cette logique a explosé aux dépens du projet de civilisation porté par Hollande.

Ainsi, le danger est de communautariser des populations qui ne demandent qu’à être considérés des citoyens normaux. Le projet politique de la gauche n’a été finalement que d’avoir superposé des propositions répondant non plus à des valeurs partagées ou universelles mais à des particularismes. L’idée même de République, d’égalité ou de laïcité, idées chères à la gauche, doivent pouvoir produire du compromis, surtout dans les moments difficiles.

Islamophobie, laïcisme... une méfiance construite envers les élites

Auparavant, les catégories sociales de gauche se réunissaient dans des clubs, des partis politiques, des syndicats ou des bistrots. Aujourd’hui, le passage à une société post-moderne, la mort de la culture syndicale ont fait que ces lieux sont mis en concurrence avec les réseaux sociaux. Sur le Web, islamophobie, halal et théorie du genre sont devenus un champ de bataille propice à toutes les surenchères. Les réseaux sociaux ont certainement eu un rôle important dans ces élections. En effet, le rejet des canaux officiels de l’information, la méfiance à l’égard des journalistes, ont favorisé l’attraction de nouvelles figures indépendantes du politiquement correct. Ces nouvelles figures charismatiques ou érudites, à l’instar d’un Alain Soral manifestement à la marge, trouvent un public avide d’échanges alternatifs et anti-système.

Notre époque se caractérise par l’ère de la consommation à outrance. Tout est objet à consommation, aujourd’hui, l’information, l’Ecole, la politique. Autrefois, il fallait plusieurs années aux étudiants pour faire l’étude d’un seul livre. Aujourd’hui, la connaissance se satisfait de courtes vidéos regardées sur Youtube, une connaissance jetable qui façonne les attitudes, laissant place à des émotions et des représentations versatiles plutôt qu’à la conviction et la raison.

Loin du mariage pour tous et de la théorie du genre, les Français de confession musulmane, comme l’ensemble des Français, reposent sur ce que Michel Maffesoli* appelle la réémergence du sentiment d’appartenance. Ce sont ainsi des vibrations communes qui tendent à se répandre et qui se manifeste par une méfiance de plus en plus importantes des élites, des intellectuels et des journalistes. Ce rejet de l’entre-soi et la résurgence négative du terme communautarisme a fini par provoquer de nouvelles solidarités amenant de nouvelles exclusions. « Ce qui est permis aux uns et interdit aux autres » a fait naître un sentiment naturel de souffrance commune, notamment chez les populations sans représentation politique ou médiatique. La difficulté des citoyens musulmans à faire accepter que l’islamophobie cache une forme de racisme, démontre à l’évidence l'existence d’une hiérarchisation des minorités visibles.

La République doit se régénérer

Ainsi, la République se construit comme un lieu de conservation qui exclut de fait des opinions ou des mœurs qu’elle juge contraires à ses principes fondateurs. Nous le voyons avec le développement d’une laïcité dogmatique et exclusive à gauche qui tente d’imposer une certaine forme d’égalité, de sécularisation à l’islam ou une forme très particulière d’émancipation des femmes. Il ne faut pas lire ici qu’il ne faille pas investir ce champ, bien au contraire. Mais celui-ci ne doit pas être une variable permettant d’agir au nom d’un principe d’égalité universel qui, chemin faisant, imposerait une nouvelle forme d’ethnocentrisme excluant. Dans une démocratie, la diversité et surtout la confrontation des opinions doit être la règle. Aujourd’hui, les intellectuels, les politiques, les journalistes, catégories les plus mal aimées des français, ont des difficultés à repenser ou à même à considérer que notre modèle d’intégration est en crise et inégalitaire.

Evoquer le vote musulman ou le communautarisme ont sans doute des effets pervers, celui en tout cas de laisser se développer des nouvelles solidarités d’extrémismes religieuses ou politiques visant à rassembler les déçus de notre société. La laïcité, devenue laïcisme est le nouvel intégrisme, parfois plus virulent que ceux qu’il combat, utilisant le paravent des libres penseurs, dont Nietzsche disait, d’ailleurs, qu’ils ne sont ni libres, ni penseurs.

Ainsi, le comportement électoral relève davantage de choix du moment, il n’y a plus de vote d’adhésion, encore moins de conviction et, a fortiori, de vote communautaire, comme certains analystes ont tenté de nous le faire croire. L’abstention est plutôt à rechercher dans le fait que la démocratie a pris le dessus sur la République. En effet, la diversité des opinions qui s’exprime dans leur singularité en manifestant parfois du lobbying comme au Etats-Unis, condamne notre démocratie à n’être plus qu’un agrégat de populations qui ne pensent qu’à satisfaire leurs intérêts personnels. Aussi, le risque est de laisser les valeurs de République, de laïcité, de Nation aux apprentis sorciers et aux populismes de tout genre.

Houari Bouissa, professeur d’Histoire, est un ancien élu socialiste à Tourcoing. Chargé de l'enseignement supérieur et de la laïcité, il a démissionné en juillet 2013 de son poste du fait de divergences avec l'action du maire et du PS.

* Michel Maffesoli, Hélène Strohl, Les nouveaux bien pensants, Editions du moment, Paris, 2014.