Lorsqu’Eva de Vitray-Meyerovitch décède à l'âge de 90 ans, le 24 juillet 1999, ses proches décident de l’enterrer dans le carré musulman du cimetière parisien de Thiais, dans le Val de Marne. Ce jour-là, elle est entourée de ses deux fils, d’un représentant de la Grande Mosquée de Paris et de quelques amis.
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Vers sa dernière patrie
Cependant, le 17 décembre 2008, neuf ans après son décès, et alors que la concession funéraire de 10 ans dans le cimetière de Thiais allait prendre fin, le vœu qu’elle avait formulé de reposer dans le cimetière d’Üçler, à Konya, en Turquie, se réalise. Avec l’accord de ses fils, et grâce aux démarches facilitées par les autorités turques, en France et en Turquie, c’est le retour final dans le seul pays où elle se sentait vraiment chez elle. « Quand j’y arrive, je suis comme un chat qui retrouve sa maison », disait-elle.
La raison de ce transfert insolite, outre son intention, c’est toute une vie consacrée à Mevlana Jalal al-Din Rumi (mort en 1273), révélation intellectuelle et phare dans sa quête de réalisation spirituelle. Mevlana (ou Mawlana en arabe), qui signifie « Notre Maître », est le titre que ses contemporains ont donné à Jalal al-Din Rumi, le fondateur de la confrérie soufie des Mevlevis.
Eva de Vitray le considérait comme le guide spirituel de son cheminement en islam : « Son message est d’une telle urgence, d’un tel universalisme. Un message d’amour qui reprend les valeurs les plus essentielles du Christianisme et de l’Islam, sans rien renier, en leur donnant une dimension tout à fait fraternelle et œcuménique. » (in Islam, l’autre visage, entretiens avec Rachel et Jean Pierre Cartier, éd. Critérion, 1991)
Lire aussi : Eva de Vitray-Meyerovitch : une chercheuse d’absolu, amoureuse de l’islam
La raison de ce transfert insolite, outre son intention, c’est toute une vie consacrée à Mevlana Jalal al-Din Rumi (mort en 1273), révélation intellectuelle et phare dans sa quête de réalisation spirituelle. Mevlana (ou Mawlana en arabe), qui signifie « Notre Maître », est le titre que ses contemporains ont donné à Jalal al-Din Rumi, le fondateur de la confrérie soufie des Mevlevis.
Eva de Vitray le considérait comme le guide spirituel de son cheminement en islam : « Son message est d’une telle urgence, d’un tel universalisme. Un message d’amour qui reprend les valeurs les plus essentielles du Christianisme et de l’Islam, sans rien renier, en leur donnant une dimension tout à fait fraternelle et œcuménique. » (in Islam, l’autre visage, entretiens avec Rachel et Jean Pierre Cartier, éd. Critérion, 1991)
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Son vœu réalisé grâce à ses amis proches
Le transfert de la dépouille d’Eva de Vitray-Meyerovitch a pu se faire grâce à trois de ses amis : Yildiz Ay, qui accompagnait sa sœur Mukerrem pour ses visites au domicile d’Eva à la fin de sa vie, Aziz Kaya, responsable de la librairie Mevlana à Paris, et un ami turc d’Eva de Vitray, le Dr. Abdullah Öztürk, vice-doyen de la Faculté des Lettres à l’Université Selçuk de Konya. Ce dernier avait été témoin, avec Halil Cin, recteur de l’Université, et également des professeurs et des journalistes turcs, de la dernière volonté d’Eva de Vitray d’être enterrée à Konya.
C’est en 1987, qu’elle avait reçu le titre de Docteur honoris causa de l’Université Selçuk de Konya. Aussi, après l’annonce de son décès en France en 1999, la mairie de la ville avait-elle décidé de réserver une place symbolique à son nom, derrière le mausolée de Mevlana, en raison de tous les services qu’elle avait rendus en faisant connaitre l’œuvre du grand mystique de l’islam et la culture turque. Le symbole devient réalité le 17 décembre 2008 lors de son ultime retour à Konya.
C’est en 1987, qu’elle avait reçu le titre de Docteur honoris causa de l’Université Selçuk de Konya. Aussi, après l’annonce de son décès en France en 1999, la mairie de la ville avait-elle décidé de réserver une place symbolique à son nom, derrière le mausolée de Mevlana, en raison de tous les services qu’elle avait rendus en faisant connaitre l’œuvre du grand mystique de l’islam et la culture turque. Le symbole devient réalité le 17 décembre 2008 lors de son ultime retour à Konya.
Un transfert à une date très symbolique...
Le 17 décembre n’est pas choisi par hasard. En effet, chaque année à cette date, les Turcs célèbrent à Konya ce qu’ils appellent Şeb-i Arûs, les noces de Rûmî, pour commémorer son mariage mystique avec le Créateur et la joie du retour à l’Unité : « Notre mort, c’est nos noces avec l’éternité », disait Jalal al-Din Rumi (Odes mystiques, trad. Eva de Vitray-Meyerovitch et Mohamed Mokri, Paris, Klincksieck, 1973)
Eva de Vitray avait souvent participé aux festivités officielles lors de cette célébration annuelle et elle était connue de la population de Konya. Le 17 décembre 2008, elle y est donc accueillie pour la dernière fois.
Yildiz Ay témoigne : la cérémonie de son enterrement fut annoncée par les mosquées pour que toute la ville en prenne connaissance. À 11h, l’enterrement fut précédé d’une prière selon le rite funéraire musulman, devant la mosquée de Selimiye, à l’intérieur du musée consacré à Mevlana. Des centaines de personnes participèrent au cérémonial. Son cercueil, entouré d’un tissu vert fut ensuite transporté au cimetière d’Üçler, en passant devant le mausolée à dôme vert de Mevlana.
La veille, une conférence à sa mémoire avait été organisée dans le Centre culturel de la ville. Etaient notamment présents Tahir Akyürek, maire de Konya, le Dr Agah Oktay Güner, ancien ministre turc de la Culture, les professeurs Gabriel Mandel Khan, Abdullah Öztürk, Kenan Gursoy, Halil Cin, Hüseyin Saak, mais aussi le professeur égyptien Mahmoud Azab, venu de France, et un groupe d’amis français d’Eva de Vitray. (1)
Eva de Vitray avait souvent participé aux festivités officielles lors de cette célébration annuelle et elle était connue de la population de Konya. Le 17 décembre 2008, elle y est donc accueillie pour la dernière fois.
Yildiz Ay témoigne : la cérémonie de son enterrement fut annoncée par les mosquées pour que toute la ville en prenne connaissance. À 11h, l’enterrement fut précédé d’une prière selon le rite funéraire musulman, devant la mosquée de Selimiye, à l’intérieur du musée consacré à Mevlana. Des centaines de personnes participèrent au cérémonial. Son cercueil, entouré d’un tissu vert fut ensuite transporté au cimetière d’Üçler, en passant devant le mausolée à dôme vert de Mevlana.
La veille, une conférence à sa mémoire avait été organisée dans le Centre culturel de la ville. Etaient notamment présents Tahir Akyürek, maire de Konya, le Dr Agah Oktay Güner, ancien ministre turc de la Culture, les professeurs Gabriel Mandel Khan, Abdullah Öztürk, Kenan Gursoy, Halil Cin, Hüseyin Saak, mais aussi le professeur égyptien Mahmoud Azab, venu de France, et un groupe d’amis français d’Eva de Vitray. (1)
... dans une ville chargée d’histoire religieuse
Le Musée Mevlana, dédié à Rumi,, à Konya.
Konya n’est pas une ville comme les autres. Une légende phrygienne rapporte qu’elle aurait été la première à émerger après le Déluge. Au Ier siècle, de nombreux juifs résidaient dans la cité, alors dénommée Iconium, lorsque Saint Paul s’y réfugia avec Barnabé, après avoir quitté Damas. Tous deux évangélisèrent la région entre 45 et 47 et Saint Paul y fit plusieurs séjours.
Parmi les premiers convertis, Sainte Thècle a fait l’objet d’un culte, notamment en Séleucie d’Isaurie. Elle doit notamment sa notoriété à un apocryphe du IIe siècle : Les actes de Paul et de Thècle. (2) Le culte se répandit jusqu’en Syrie, en particulier à Ma‘lula. Chrétiens et musulmans venaient se recueillir jusqu’à très récemment dans la grotte où elle se serait éteinte. Konya est donc aussi importante pour les chrétiens d’Orient que pour les musulmans. A l’époque de Rumi, au XIIIe siècle, les trois religions monothéistes y vivaient en harmonie. (3)
Parmi les premiers convertis, Sainte Thècle a fait l’objet d’un culte, notamment en Séleucie d’Isaurie. Elle doit notamment sa notoriété à un apocryphe du IIe siècle : Les actes de Paul et de Thècle. (2) Le culte se répandit jusqu’en Syrie, en particulier à Ma‘lula. Chrétiens et musulmans venaient se recueillir jusqu’à très récemment dans la grotte où elle se serait éteinte. Konya est donc aussi importante pour les chrétiens d’Orient que pour les musulmans. A l’époque de Rumi, au XIIIe siècle, les trois religions monothéistes y vivaient en harmonie. (3)
Quand le rêve se réalise
Dans son ouvrage Manaqib al-‘Ârifîn, le biographe et historien Shams al-Din Ahmad Aflaki (mort en 1360) relate les obsèques de Rumi qui ont lieu en 1273 à Konya :
« Après qu’on eût apporté dehors le corps sur le brancard, la totalité des grands et du peuple se découvrit la tête… (Les différentes communautés et populations de Konya) étaient présentes, Chrétiens, Juifs, Grecs, Arabes, Turcs, etc. Ils marchaient devant, chacun tenant haut son Livre (sacré). Conformément à leurs coutumes, ils lisaient des versets des Psaumes, du Pentateuque et de l’Évangile, et poussaient des gémissements de funérailles...
La nouvelle parvint au grand sultan et au Perwâné, son ministre, et on leur demanda quel rapport cet événement pouvait avoir avec eux. Ils répondirent : "En le voyant, nous avons compris la vraie nature de Jésus, de Moïse et de tous les Prophètes ; nous avons trouvé en lui la même conduite que celle des prophètes parfaits, telle que nous l'avons lue dans nos livres. Si vous autres, musulmans, vous dites que "Notre Maître" est le Mahomet de son époque, nous le reconnaissons de même pour le Moïse et le Jésus de notre temps ; de même que vous êtes ses amis sincères, nous aussi, nous sommes, mille fois plus, ses serviteurs et ses disciples." » (4)
En 1955, alors qu’elle entreprend sa recherche doctorale sur Rumi et qu’elle fait ses premiers pas vers l’islam, Eva fait un rêve : « J’étais enterrée et, par une sorte de dédoublement, je voyais ma tombe, une tombe comme je n’en avais jamais vue et sur laquelle mon prénom, Eva, avait été écrit en caractères arabes ou persans, ce qui donnait Hawa. » (in L’Islam l’autre visage, op.cit.)
Elle en avait alors conclu qu’elle serait enterrée comme une musulmane. Dont acte.
* Cet article est rédigé d’après l’intervention de Muriel Roiland, ingénieure à l'Institut de recherche et d'histoire des textes et secrétaire de l'association Les Amis d’Eva de Vitray, à l’Institut catholique de Vendée (ICES) à La Roche-sur-Yon, le 16 mars 2018.
A l’agenda, l’association organise prochainement la conférence « Le féminin en islam chez l’Ibn Arabî et l’émir Abd el-Kader ».
(1) Lire aussi l’article de Nathalie Reizmann sur son blog Du Bretzel au Simit, avec des photos de l’événement prises par Şamil Kucur, journaliste turc d'Istanbul.
(2) Richard Thoumin, « Le culte de Sainte Thècle dans le jebel Qalamun », Mélanges de l'Institut Français de Damas. Section Des Arabisants 1, 1929.
(3) Eva de Vitray, Konya ou la danse cosmique, Paris, éditions Jacqueline Renard, 1989.
(4) Extrait de la seule traduction en français : Les Saints des derviches tourneurs, trad. Clément Huart, Paris, E. Leroux, 1918-1922, p. 96-97. L’ouvrage a fait l’objet d’une nouvelle édition en persan en 2017 par Narjis Tawḥīdīʹfar (Téhéran). La traduction la plus proche de la version originale est la traduction anglaise du persan par John O'Kane, The Feats of the knowers of God, Leyde, Boston, Cologne, Brill, 2002.
Lire aussi :
Cheikha Nur : « Le message de Rumi nous invite au respect de la diversité dans ce monde »
Le sama’ des derviches tourneurs et l’enseignement de Rumi à l’épreuve du temps
« Après qu’on eût apporté dehors le corps sur le brancard, la totalité des grands et du peuple se découvrit la tête… (Les différentes communautés et populations de Konya) étaient présentes, Chrétiens, Juifs, Grecs, Arabes, Turcs, etc. Ils marchaient devant, chacun tenant haut son Livre (sacré). Conformément à leurs coutumes, ils lisaient des versets des Psaumes, du Pentateuque et de l’Évangile, et poussaient des gémissements de funérailles...
La nouvelle parvint au grand sultan et au Perwâné, son ministre, et on leur demanda quel rapport cet événement pouvait avoir avec eux. Ils répondirent : "En le voyant, nous avons compris la vraie nature de Jésus, de Moïse et de tous les Prophètes ; nous avons trouvé en lui la même conduite que celle des prophètes parfaits, telle que nous l'avons lue dans nos livres. Si vous autres, musulmans, vous dites que "Notre Maître" est le Mahomet de son époque, nous le reconnaissons de même pour le Moïse et le Jésus de notre temps ; de même que vous êtes ses amis sincères, nous aussi, nous sommes, mille fois plus, ses serviteurs et ses disciples." » (4)
En 1955, alors qu’elle entreprend sa recherche doctorale sur Rumi et qu’elle fait ses premiers pas vers l’islam, Eva fait un rêve : « J’étais enterrée et, par une sorte de dédoublement, je voyais ma tombe, une tombe comme je n’en avais jamais vue et sur laquelle mon prénom, Eva, avait été écrit en caractères arabes ou persans, ce qui donnait Hawa. » (in L’Islam l’autre visage, op.cit.)
Elle en avait alors conclu qu’elle serait enterrée comme une musulmane. Dont acte.
* Cet article est rédigé d’après l’intervention de Muriel Roiland, ingénieure à l'Institut de recherche et d'histoire des textes et secrétaire de l'association Les Amis d’Eva de Vitray, à l’Institut catholique de Vendée (ICES) à La Roche-sur-Yon, le 16 mars 2018.
A l’agenda, l’association organise prochainement la conférence « Le féminin en islam chez l’Ibn Arabî et l’émir Abd el-Kader ».
(1) Lire aussi l’article de Nathalie Reizmann sur son blog Du Bretzel au Simit, avec des photos de l’événement prises par Şamil Kucur, journaliste turc d'Istanbul.
(2) Richard Thoumin, « Le culte de Sainte Thècle dans le jebel Qalamun », Mélanges de l'Institut Français de Damas. Section Des Arabisants 1, 1929.
(3) Eva de Vitray, Konya ou la danse cosmique, Paris, éditions Jacqueline Renard, 1989.
(4) Extrait de la seule traduction en français : Les Saints des derviches tourneurs, trad. Clément Huart, Paris, E. Leroux, 1918-1922, p. 96-97. L’ouvrage a fait l’objet d’une nouvelle édition en persan en 2017 par Narjis Tawḥīdīʹfar (Téhéran). La traduction la plus proche de la version originale est la traduction anglaise du persan par John O'Kane, The Feats of the knowers of God, Leyde, Boston, Cologne, Brill, 2002.
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