Société

Face à l'ambiance de « chasse aux sorcières », l’Observatoire de la laïcité contre-attaque

Rédigé par | Samedi 24 Octobre 2020 à 12:50

Après l'annonce d'un renouvellement de la direction de l'Observatoire de la laïcité, l’instance présidée par Jean-Louis Bianco s’est défendue, vendredi 23 octobre, des attaques dont elle est la cible depuis des années. Aux côtés de l’ODL, de nombreuses organisations et personnalités, consternées, ont affiché leur soutien.



Le remplacement annoncé de Nicolas Cadène, qui occupe depuis 2013 le poste de rapporteur général à l'Observatoire de la laïcité (ODL), soulève depuis lundi 19 octobre un bouclier d'incompréhensions et de critiques. Et pour cause, cette information est tombée trois jours après l'attentat perpétrée à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines. et pourrait intervenir bien avant le terme du mandat en avril 2021, ce qui serait alors vécue comme une injuste punition.

Dans le collimateur de plusieurs membres du gouvernement dont la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, Nicolas Cadène se voit reprocher, selon un proche de l'ex-secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes, de prôner « une laïcité d'apaisement ».

A l'ODL, « on a besoin de gens convaincus, de vrais laïques, pas de gens qui plaident pour une "laïcité d'apaisement" ou qui sont obnubilés par les dérives d'extrême droite alors que les militants islamistes piétinent tous les jours la République », rapporte ainsi Le Point de l'entourage de la ministre pour qui « il n'est plus crédible ». « Il semble plus préoccupé par la lutte contre la stigmatisation des musulmans que par la défense de la laïcité. Le fait qu'il s'affiche et discute avec le CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France) a achevé d'agacer en très haut lieu », est-il aussi rapporté.

De faux procès dont s’agace en haut lieu la direction de l’ODL, qui a fini par l’exprimer publiquement dans un communiqué paru vendredi 23 octobre avec, pour objet, la volonté de « rétablir la vérité » face à une « "chasse aux sorcières" partie des réseaux sociaux ».

Sa mise au point intervient quelques jours après l’annonce de Matignon d'un renouvellement de cette instance afin qu’elle soit « davantage en phase avec la stratégie de lutte contre les séparatismes ». « A l’évidence cette conception n’est pas partagée par tous et le gouvernement en tirera toutes les conclusions dans les prochains jours », a-t-on même signifié, faisant ainsi planer la menace non plus uniquement sur Nicolas Cadène mais aussi sur Jean-Louis Bianco, à la tête de l'ODL depuis 2013.

Un procès en laxisme dont l’ODL se défend

L’instance, dont les prises de position sont fort peu goûtées par ses détracteurs, en particulier dans les rangs du Printemps républicain et de ses soutiens, s’est insurgée contre la « multitude de mensonges » formulés à leur encontre et « lancés par quelques militants identitaires suite à des propos parus dans Le Point », à commencer par sa prétendue défense d’une « laïcité souple ».

L’instance « n'adjective jamais la laïcité et rappelle très strictement le droit, c'est-à-dire celui qui découle des lois laïques (loi de 1905, loi de 2004, etc.). Tous ses avis sont adoptés à l'unanimité de ses 22 membres (parlementaires de l'opposition comme de la majorité, hauts fonctionnaires, personnalités qualifiées) et ont tous été confirmés par les plus hautes juridictions », a-t-elle signifié.

L’ODL, qui avait félicité la teneur du discours d’Emmanuel Macron contre « le séparatisme islamiste »,, a rappelé qu’il est à l'origine de la circulaire « contre l'islamisme et pour la laïcité » de février 2020, de l'abrogation du délit de blasphème qui subsistait en Alsace-Moselle, ou encore de l'obligation pour les imams détachés et les aumôniers d'être formés à la laïcité.

Une complaisance avec le CCIF réfutée

Quant à ses supposées accointances avec le CCIF, nourries depuis 2016 lorsque l’ODL a signé la tribune « Nous sommes unis », elle rappelle que celle-ci n’émane pas d’elle et « a été signée par près de 15 000 personnes dont près de 100 personnalités » de divers horizons comme le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, l'ancien grand maître du Grand Orient, Jean-Michel Quillardet, ou encore le grand rabbin de France, Haïm Korsia, comme en témoigne ici le site. « Ces personnalités sont-elles "proches de l'islamisme" ou "proches du CCIF", qui est également signataire ? », s’interroge l’ODL, qui a été au cœur d'une vive passe d'armes à laquelle Manuel Valls s'était mêlé à l'époque.

Lire aussi : Contre les instrumentalisations, l'Observatoire de la laïcité rappelle le droit

Le dernier échange public dont Saphirnews a connaissance date du mois d'août 2020 sur Twitter et Nicolas Cadène ne faisait pas montre de complaisance envers le CCIF. Il lui opposait alors un « non » à la demande de l'association, qui appelait la France, à l'occasion du 22 août, à « reconnaitre la communauté musulmane (comme d’autres d’ailleurs) comme une des minorités vivant sur son territoire », ceci « afin de mener ce travail de prévention et de protection de l’intégrité physique des citoyens français de confession musulmane ».

« Non. L’universalisme pose le principe de l'égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs appartenances. Avec la laïcité, il n’y a pas une majorité convictionnelle face à des minorités. Il n’y a que des Français. Ça n’empêche en rien la lutte contre la haine à raison religieuse », avait-il alors écrit à juste titre le 25 août. Autrement, « le risque est de permettre des droits et devoirs distincts entre citoyens selon leurs appartenances propres. Ce qui s’oppose à notre système républicain ».

Des marques de soutiens nombreux

Depuis plusieurs jours, de nombreuses organisations et personnalités appréciant le travail mené par l’ODL sous la présidence de Jean-Louis Bianco, y compris dans les rangs de la majorité présidentielle, sont montées au créneau sur les réseaux sociaux.

Une quinzaine d’universitaires et de chercheurs ont ainsi exprimé leur plein soutien à l’instance dans une tribune à l'adresse d'Emmanuel Macron parue sur Libération mardi 20 octobre. « Dans l’adversité, alors que les angoisses légitimes des Français peuvent conduire à des confusions qui renforceraient l’adversaire, nous croyons qu’il importe de garder recul et équanimité. C’est à cette condition que l’Etat de droit républicain sera préservé dans ses principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité », ont-ils signifié.

« Au-delà de nos différences, nous reconnaissons unanimement le travail salutaire de Jean-Louis Bianco et de Nicolas Cadène à la tête de l’ODL, tant il est considérable et palpable sur le terrain. Et il est, à notre sens, absolument indispensable que ce travail continue et soit publiquement soutenu par les pouvoirs publics contre les injustes attaques et les tentatives de déstabilisation dont il fait l’objet, en particulier venant – entre autres – de courants identitaires, comme de ceux qui se plaisent à faire de la laïcité un catalogue d’interdits, oubliant qu’elle est d’abord un système de libertés », ont-ils conclu.

Solidarité Laïque, la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des Droits de l’Homme et la Libre Pensée ont aussi apporté leur soutien à l’ODL, à son président et à son rapporteur général, rappelant que « les actions pédagogiques ont une importance capitale » pour mieux faire comprendre la laïcité, « à un moment où la laïcité est trop souvent réduite à des slogans ».

« Nous avons besoin de l’Observatoire de la laïcité dans notre travail au quotidien pour défendre et illustrer la laïcité, et cela plus que jamais quand elle est attaquée par l’obscurantisme, la bêtise et la haine, par les ennemis de la République », ont-elles plaidé.

Un appel à « faire bloc »... à l'eau ?

L’ODL « ne s'inscrit pas dans les polémiques des réseaux sociaux. La vraie vie, ce n'est pas Twitter ou Facebook, ce sont les 350 000 acteurs de terrain que nous avons formés, ce sont les plus de 900 déplacements de terrain que nous avons effectués partout en France. Tout cela, avec un budget moyen de 59 000 euros par an. Tout cela grâce à l'action d'une équipe permanente de seulement 7 personnes que coordonne, avec un talent reconnu de tous, le rapporteur général Nicolas Cadène », a appuyé avec vigueur l’ODL, qui déclare son refus de participer à des « "guéguerres politiciennes" d'un autre temps ».

« Le combat contre l'islamisme et contre tous les fanatismes suppose l'unité et, comme l'a dit le Président de la République, de "faire bloc" », a affirmé l’ODL. L’heure n’est malheureusement pas à la concorde. Le Premier ministre, Jean Castex, devrait recevoir prochainement Jean-Louis Bianco afin de lui faire part de la décision du gouvernement.

Mise à jour mardi 3 novembre : Jean-Louis Bianco a été reçu par Matignon vendredi 30 octobre. Au grand dam de ses détracteurs, le président de l'ODL et Nicolas Cadène sont parvenus à conserver leur poste jusqu'à la fin de leur mandat en avril 2021.

Selon une source proche du dossier citée par le HuffPost.]urlblank:https://www.huffingtonpost.fr, « ils ont reçu de très nombreux soutiens, leur travail est reconnu ».

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur