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Points de vue

Face au coronavirus, ne fuyons pas nos responsabilités

Rédigé par Cheikha Hayat Nur Artiran | Mardi 21 Avril 2020 à 08:00

           


Face au coronavirus, ne fuyons pas nos responsabilités
« Ne crains pas le Destin ! A la fin, c’est encore le Destin qui te prendra par la main ! »

« De même que Dieu octroie des bienfaits à Ses serviteurs afin qu’ils Le louent et Lui rendent grâce, de la même manière, Il les éprouve par un malheur ou une calamité afin que le serviteur, en proie à l’indigence, se tourne vers Lui. »
Mevlana (Jalal ud-Din Rumi)

Mes chers amis,

Puisse votre temps être béni, puissent les bonnes actions être conquises, puissent toutes les maladies, toutes les calamités et tous les maux être chassés, puissent les cœurs s’éveiller, et puisse ce que nous voyons, inchaAllah, devenir la Réalité.

Comme vous le savez, nous traversons tous ensemble un moment crucial en raison du nouveau coronavirus. Ce moment exige de tous une attention et une vigilance accrues. Durant cette période, toute la vigilance dont nous faisons preuve à l’égard de ce virus sera vaine si nous ne l’exerçons pas également à l’égard de notre propre conscience.

Face au coronavirus, ne fuyons pas nos responsabilités
Il va de soi qu’il nous incombe de prendre toutes les mesures de précaution requises afin de nous protéger, mais nous devons aussi être en éveil sur le plan spirituel ; nous devons affûter notre conscience et notre discernement dans le même temps !

Les livres sacrés dont le Coran relatent l’histoire de communautés qui ont dû faire face à des tornades, d’autres à des raz-de-marée ; certaines ont été éprouvées par des pluies de pierre ou de boue ; d’autres ont été frappées par des maladies contagieuses, d’autres encore par des incendies dévastateurs. Des tremblements de terre sont advenus à certains moments, et des disettes à d’autres moments ; certains ont été en proie à des boules de feu, d’autres ont été attaqués par de petits oiseaux, divers insectes, et certains par un minuscule moustique…

De tels événements ne sont-ils pas clairement relatés dans les livres sacrés ? A qui sont-ils racontés ? Pourquoi sont-ils racontés ? Combien de fois avons-nous entendu que tout cela était relaté afin de servir de leçon aux peuples à venir ? Dans ces récits, les Hommes ont péri parce qu’ils se sont limités à la forme et à l’apparence des choses. Un seul peuple y a échappé : le peuple du Prophète Jonas (Yunus, que la paix soit sur lui). L’histoire de ce peuple est une démonstration et une preuve manifeste que les humbles lamentations et supplications peuvent éviter l’affliction envoyée du Ciel. Et Dieu le Très-Haut agit par un libre choix : c’est pourquoi l’humble imploration et le respect sont acceptés auprès de Lui.

S'arrêter pour réfléchir au dérèglement du monde

Ce que nous raconte le Mesnevî (ouvrage du maître soufi Jalal ud-Din Rumi), c’est que le peuple de Jonas fut délivré de la calamité qui l’a frappé parce qu’il a su prendre au sérieux l’avertissement que le malheur abattu sur lui représentait. Il doit en être de même pour nous.

Ce confinement des Hommes du monde entier dans leur demeure doit être profitable. Nous devons collectivement nous arrêter pour réfléchir au dérèglement du monde. Au lieu de nous ressaisir, nous ne faisons rien d’autre que de craindre la mort et prendre la fuite, alors pourtant que nous avons tous connaissance de cette maxime proverbiale : « La crainte n’est d’aucun secours pour empêcher la mort. »

Le Mesnevî raconte cette vérité d’une fort belle manière dans l’histoire qui suit :

Comment Azrâ’îl regarda un homme, et comment cet homme courut vers palais de Salomon (Mesnevî, Livre 1, 956) :

Un matin, un homme ingénu arriva en courant se réfugier dans le palais de justice de Salomon.

Son visage était pâle d’angoisse et ses lèvres bleuies. Salomon lui demanda : « Beau sire, qu’y a-t-il ? ».

Il répondit : « Azrail m’a lancé un tel coup d’œil, plein de courroux et de haine. »

« Soit, dit Salomon, dis-moi à présent ce que tu veux de moi ! » « Ô protecteur des vies, répliqua-t-il, ordonne au vent...

De m’emporter d’ici en Inde. Ainsi, peut-être votre serviteur parviendra-t-il à sauver sa vie. »

Salomon ordonna au vent de l’emporter prestement par-dessus la mer jusqu’au fin fond de l’Inde.

Le lendemain, lors de l’audience en présence de Salomon, ce dernier dit à Azrail :

« As-tu regardé avec colère ce musulman, de sorte qu’il doive errer loin de chez lui, séparé de ses biens, de ses proches et de sa demeure ? »

Azrail répondit : « Je ne l’ai pas regardé avec colère. Je l’ai vu, sur mon chemin, et l’ai regardé pour cette raison avec étonnement. »

Car Dieu m’avait donné un ordre : « Prends son âme aujourd’hui en Inde. »

En proie à la stupéfaction, je me suis dit : « Même si cet homme possédait cent ailes, c’est extrêmement difficile pour lui de faire ce voyage lointain et d’arriver aujourd’hui en Inde. »

Ô toi qui, en proie à la cupidité, craint la pauvreté et le Destin ! Juge de cette façon les affaires de ce monde, ouvre tes yeux et vois la vérité.

De qui nous enfuirons-nous ? De nous-mêmes ? Quelle impossibilité ! Qu’essayons-nous de soustraire à autrui et de qui ? De Dieu ? Quel malheur... »


Ne crains pas le Destin ! A la fin, c’est encore le Destin qui te prendra par la main !

« Ce Destin est un nuage qui recouvre le soleil. Par lui, lions et dragons deviennent comme des souris.

Si je ne vois pas un piège à l’heure du Destin, je ne suis pas le seul à être ignorant dans ce chemin…

Oh ! Heureux celui qui s’en est tenu à ce qui est bien ! Il a renoncé à ses propres forces et a emprunté le chemin de l’humble supplication et des pleurs.

Ne sois pas chagriné si le Destin t’enveloppe de ténèbres comme la nuit, car à la fin, c’est encore le Destin qui te prendra par la main pour t’emmener vers la clarté.

Si le Destin attente cent fois à ta vie, cependant c’est encore lui qui te donnera la vie et t’apportera la guérison.

Ce Destin, s’il t’égare cent fois, cependant c’est encore lui qui dressera ta tente au plus haut du firmament.

Sache que, si le Destin t’effraie, cela provient de la Générosité divine, car cette crainte est nécessaire pour t’emmener vers l’ange de la sécurité. »
(Mesnevî, Livre 1, 1255-1261)

Des épreuves pour nous faire prendre conscience de notre nature spirituelle

L’histoire qu’a si bien contée Mevlana, il y a de cela huit siècles, nous permet de comprendre que la fuite de la mort et la peur irraisonnée que sa proximité provoque en nous est stérile ; que la crainte des événements qui adviennent en vertu du Destin est vaine. Ce que nous entendons ici par Destin, c’est, à l’instar du coronavirus, une manifestation divine. Un événement comme celui-là est destiné à nous guider vers ce qui constitue notre réalisation véritable, vers ce pour quoi nous avons été créés.

Un événement tel que celui que nous vivons est destiné à nous éveiller spirituellement, à nous faire prendre conscience de notre nature spirituelle et des devoirs que nous avons envers elle. Il nous revient de nous intérioriser durant une période telle que celle-ci. Prendre le temps de méditer, de nous interroger sur notre monde, et notre fonction dans la société que nous avons contribué à construire.

De même que Dieu octroie des bienfaits à Ses serviteurs afin qu’ils Le louent et Lui rendent grâce, de même, les éprouve-t-Il par un malheur ou une calamité afin qu’en proie à l’impuissance, ils se tournent vers Lui. Qu’adviendra-t-il de nous si nous ne prêtons pas attention à ces avertissements divins qui prennent la forme de malheur ou de calamité, et si nous ne nous orientons pas vers notre Seigneur, dans l’état d’impuissance qui est le nôtre ? Je vous laisse juge de cela !

Face au coronavirus, ne fuyons pas nos responsabilités

Nous avons une dette de demande de pardon envers l’Univers

Observons notre comportement, nos peurs, nos manques. En vérité, ceux qui ont du pain et de l’eau n’ont jamais réellement ressenti la douleur de la privation des gens affamés et assoiffés. Toutes les portes ont été fermées à ceux qui voulaient fuir la mort, car ceux qui, comme nous, vivent dans des pays prospères ne connaissaient pas encore la nature de cette peur.

Cependant, il a suffi qu’une crainte minime d’éprouver la faim se profile pour qu’instantanément les supermarchés soient vidés et qu’alors nous puissions entrevoir ce que des peuples en souffrance vivent. Ce virus nous a enseigné ce que nous ne parvenions pas à appréhender, par manque de compassion.

L’être humain a déréglé l’équilibre de la nature, et n’accorde plus de prix aux valeurs humaines. Même les animaux ont pris refuge dans la miséricorde du Seigneur face à l’injustice humaine. Si l’on pouvait comprendre le langage de la nature, on verrait que les montagnes, les mers, les cours d’eau, les arbres et les plantes se plaignent de l’homme… Nous avons donc une dette de demande de pardon envers l’Univers, envers toutes les créatures, et donc envers le Créateur suprême !

Comme le dit Mevlana, le peu est une indication du beaucoup ; prions afin que nous puissions vivre avec conscience ces jours-ci, qui exigent un éveil Divin.

Que notre Seigneur fasse miséricorde à l’humanité entière, qu’Il la protège avec Sa compassion, qu’Il prodigue la dilatation aux cœurs, qu’Il octroie l’éveil du cœur et le discernement.

*****
Cheikha Hayat Nur Artiran est présidente de la Fondation Internationale Şefik Can pour l’éducation et la culture sur Mevlana, à İstanbul, en Turquie.

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