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Points de vue

Face au « séparatisme islamiste » - Des écoles « hors contrat », pas « hors la loi »

Rédigé par Soumaya* | Samedi 3 Octobre 2020 à 09:00

           

Dans son discours du 2 octobre 2020 contre « le séparatisme islamiste », Emmanuel Macron a annoncé sa volonté de renforcer drastiquement le contrôle des écoles hors contrat. La responsable d'un établissement musulman réagit ici à des propos qui, à ses yeux, « incriminent des acteurs importants du monde éducatif ».



Face au « séparatisme islamiste » - Des écoles « hors contrat », pas « hors la loi »
Monsieur le Président de la République,

Comme de nombreux concitoyens, j’ai suivi avec attention votre discours. Directrice d’une école confessionnelle hors contrat, c’est la partie de votre propos sur l’instruction scolaire et les écoles privées hors contrat qui m’a le plus interpellée. En effet, étant responsable de la scolarité d’une centaine d’enfants français, de futurs citoyens, votre discours entache mon travail, entache le travail quotidien que nous menons, avec l’ensemble de l’équipe éducative, auprès des enfants mais aussi des familles.

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Car permettez-moi de vous dire, vous qui ne voulez pas jeter l'opprobre sur toute une communauté ou une religion, ne pas stigmatiser, c’est en réalité ce que vous faîtes.

Outre la franche atteinte à la liberté d’enseigner, en interdisant (ou en limitant sévèrement) l’instruction scolaire en famille (IEF) au nom de la lutte contre les séparatismes, vous condamnez toute une communauté éducative pour qui l'IEF est un choix motivé par des arguments pédagogiques, organisationnels, psychologiques, éthiques... Cela ne fera que créer des dissensions au sein même du monde de l’éducation.

Par ailleurs, dans vos propos sur « l'école hors contrat » se comprendrait presque comme « l’école hors la loi » tant elle semblerait poser problème alors même que la loi française permet aux parents de faire ce choix (l’école privée hors contrat). Pourquoi alors incriminer ces écoles en établissant une corrélation directe avec des projets séparatistes ?

Par extension, vous incriminez ces familles françaises et leurs enfants. Par extension, nous nous retrouvons encore une fois dans une situation compliquée traitant tous les acteurs (parents, responsables associatifs, directeurs et directrices d'école...) de suspects potentiels dont le point commun est la confession musulmane.

Des écoles et leurs élèves, des cibles toutes faites

Monsieur le président de la République, malgré votre ardent désir de ne pas stigmatiser, vous mettez mal à l’aise, vous créez des cibles toutes faites. Parmi ces cibles se trouvent des élèves et leurs écoles. J’espère que vous en avez conscience.

Votre discours du 2 octobre 2020 aurait pu être raisonnable et tacler les réels problèmes à l’origine des comportements « anti-républicains ». Mais en établissant publiquement une nouvelle fois une dualité entre « les valeurs de la République » et les musulmans, vous insinuez une potentielle incompatibilité et ainsi une impossible conciliabilité entre les deux.

J’ai bien peur, monsieur le président, que vous participiez à convaincre certaines personnes qu’il n’existe effectivement pas de ponts possibles entre leur identité et la République puisque cette dernière décide constamment de les traiter comme des indésirables, de les pointer du doigt et de faire de leur confession une honte nationale, quelque chose de fondamentalement anti-républicain.

Comment parler de citoyenneté à des personnes se sentant perpétuellement suspectées, contrôlées, exclues ? Comment convaincre de la beauté des principes fondamentaux de ce pays des concitoyens pris en otage ? Et comment faire avancer ceux qui ont besoin de se réconcilier avec la République dans une atmosphère de méfiance systématique ? Comment penser le futur de nos élèves ? Tant de questions que je me pose aujourd’hui, monsieur le Président, comment continuer à incarner notre rôle auprès d’enfants dont les parents sont toujours « les méchants » de l’histoire ?

De la nécessité de renforcer la confiance mutuelle avec les écoles hors contrat

Paradoxalement, si l’instruction à l’école devient obligatoire dès septembre 2021, une partie de ces familles fera le choix de l’école privée hors contrat. Ce n’est qu’en renforçant la confiance mutuelle entre ces écoles et les services académiques que nous pourrons garantir un avenir serein, confiant et pleinement citoyen pour les enfants.

La plupart de ces écoles font un travail remarquable d’accompagnement, de suivi des apprentissages, d’élaborations pédagogiques et de construction d’environnements favorables à la prolifération d’actions intelligentes et positives pour la société française.

Elles sont des plateformes nécessaires dans l’écosystème éducatif actuel, elles arrondissent les angles, répondent à des besoins humains et créent des chemins solides vers une citoyenneté concrète. Elles travaillent de concert avec d’autres écoles : publiques, privées sous contrat catholiques, hors contrat catholiques, alternatives, démocratiques... Elles sont parfois elles-mêmes démocratiques ou alternatives.

Elles débordent de projets, elles sont en constante évolution, elles se forment aux dernières nouveautés de l’éducation, elles développent démarches artistiques et numériques à l’école, elles sont une réelle chance pour les enfants qui les fréquentent.

Voilà comment décrire la plupart de ces « écoles hors contrat » qui participent à enrichir le paysage éducatif français.

En tant que professionnelle de l’éducation, j’espère le meilleur pour l’école de la République dans son ensemble, l’école publique et l’école privée. Peu importe le choix fait par les familles, l’ensemble des acteurs de l’éducation en France ont la même responsabilité : accompagner les élèves français à devenir des citoyens conscients de la pluralité et la richesse de leur identité, de leurs droits et de leurs devoirs.

Faisons le choix de construire ensemble et non en s’érigeant les uns contre les autres.

Monsieur le président, faisons le choix de la confiance, de la coopération, de l’éducation populaire, et non le choix de la méfiance, du contrôle et la division.

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Soumaya (pseudonyme) est directrice d'une école musulmane hors contrat.

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