Points de vue

Fêter l’Aïd al-Adha avec conscience

Rédigé par | Mardi 21 Aout 2018 à 12:00



L’Aïd al-Adha est arrivé. D’aucuns en parlent comme de « la fête du mouton », un raccourci grossier qui en dit long sur le besoin d’expliquer cette fête qui est celle des enfants. Selon les pays, on parle d’Aïd el-Kébir, d’Aïd al-Adha, de Tabaski ou de Kurban... Il s’agit de commémorer le sacrifice d’Abraham. Au lieu de tuer son enfant, Abraham a tué un bélier.

Dans les deux cas, il s’agit de sang à verser. Or Dieu n’a pas besoin de sang. La violence apparente peut donc sembler inutile. Elle occasionne, chaque année, les réflexions polémiques des « amis des animaux » qui qualifient ce jour de fête de « jour de deuil ». Ceux-là incriminent le rite musulman du sacrifice, surévaluent le nombre d’animaux sacrifiés en dénonçant les autorisations accordées par l’Etat. Ils montent des escadrons qui recherchent des abattoirs clandestins pour les dénoncer à la police. Ces femmes et ces hommes vivraient mieux si l’Aïd al-Adha était interdite.

Toutefois, les lieux et les conditions d’abattage sont strictement contrôlés en France. Pour faire face à la demande inhabituelle, des abattoirs temporaires sont aménagés., les bêtes sont tracées… Toute une organisation qui ne suffit jamais pour une couverture territoriale.

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Il y a déjà six ans que j’ai écrit sur Saphirnews « Je n’aime plus l’Aïd al-Adha » pour dénoncer les tueries devenues inutiles à l’occasion de l’Aïd al-Adha. Je n’étais pas encore végétarien mais aujourd’hui, comme à l’époque, j’estime que briser une vie animale est un symbole peu compris et qui mérite explications.

Derrière tout symbole, il y a un message

En islam, nul n’a le droit d’attenter à la vie, y compris la sienne. C’est un principe. Il faut une raison valable pour tuer un animal ou une plante. Parce que le principe de vie est divin, chaque vie est noble comme « manifestation divine », un cadeau divin offert à chaque entité vivante.

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Pourtant, à l’Aïd al-Adha, la tradition musulmane recommande un sacrifice d’ovins ou de bovins. Cela peut paraître contradictoire, à moins de distinguer l’objet du symbole et le symbole du message. Car il faut un objet, un geste pour faire un symbole. Et derrière tout symbole, il y a un message.

Le symbole de l’Aïd al-Adha n’est pas le mouton.

Dans l’histoire traditionnelle, dans sa version courte, Abraham était bien vieux quand il devint père. C’est alors que Dieu lui demande de sacrifier son fils (unique) Ismaël. Une épreuve ardue qu’Abraham accepte avec l’accord de son fils. Puis un miracle se produit : Dieu lui offrit un bélier à immoler à la place de son fils.

Abraham est l’ancêtre spirituel des juifs, des chrétiens et des musulmans. Les exégètes du Coran en font le premier homme à propos de qui le Texte utilise le mot « islam ». Depuis l’enfance, il chemina seul jusqu’à trouver Dieu dans une formidable histoire pleine d’anecdotes délicieuses.

Cependant, il est bon de savoir qu’à l’époque d’Abraham, le sacrifice humain était un acte de piété. Les raisons étaient multiples. Mais en décidant de tuer son fils par ferveur religieuse, Abraham n’a pas initié un acte singulier, hors de l’ordinaire. Il suit une coutume ordinaire des siens.

C’est une époque où le rapport à Dieu, le rapport à la vie ainsi que le rapport à l’enfant, la famille, font qu’immoler un être pur et cher faisait partie de la piété. L’éveil de la conscience humaine était à un stade où ce geste était accepté, valorisé. Nous avons bien évolué depuis même si des sources anthropologiques indiquent que ce type de pratiques existait encore jusqu’à des époques récentes. L’actualité des sectes nous rappelle, de temps en temps, des pratiques sataniques qui montrent que toutes les consciences humaines n’ont pas suivi l’évolution collective. Mais, à partir de l’histoire d’Abraham, nous savons que le sacrifice d’enfants a été aboli pour ses descendants.

Le sacrifice d’Abraham nous renvoie à notre rapport à la vie

En l’an 640, lorsque les colonnes d’Amr ibn al-As entrent en Egypte, le compagnon du Prophète Muhammad a promis de respecter les coutumes locales. Il ne savait pas que, chaque année, une jeune fille était jetée en sacrifice dans le Nil pour favoriser sa crue indispensable à l’agriculture. Cette coutume ancienne mit Amr ibn al-As dans l’embarras. Il s’en référera au calife Omar. De Médine, le calife adressa alors une « lettre au Nil ». La lettre fut jetée dans le fleuve à la place de la jeune fille. La crue du Nil eut lieu et ce fut la fin de cette coutume.

Ainsi, peut-on dire que le calife Omar ibn al Khattab a sauvé les filles d’Egypte comme Abraham a sauvé les enfants du monde entier. C’est une généralisation abusive qui souligne le message dont l’Aïd al-Adha est le symbole et qui en fait la fête des enfants.

Le sacrifice d’Abraham nous renvoie à notre rapport à la vie. A l’époque, supprimer une vie animale au lieu d’une vie humaine est un message d’évolution. Une évolution spirituelle vers une conscience nouvelle dans notre rapport à la vie. Etape par étape, d’Adam à Abraham, d’Abraham au Prophète de l’islam, l’être humain a acquis des connaissances, il a gagné en conscience pour accomplir de mieux en mieux son rôle sur Terre, dans l’Amour divin dont chacun de nous est une manifestation.

Il est temps de libérer l’Aïd al-Adha

Aujourd’hui, notre évolution est telle qu’il n’est plus nécessaire d’emprisonner l’Aïd al-Adha dans la viande et l’estomac pour finir dans la cuvette des toilettes. Nous avons les moyens et des raisons de libérer Abraham des carcasses de moutons pour le rehausser dans la force de la foi en Dieu, là où les Textes juifs, chrétiens et musulmans le situent. Un niveau plus spirituel, conforme à l’évolution de notre conscience collective contemporaine.

Nous sommes à un temps où manger de la viande n’est plus un luxe en France. C’est une norme quasi quotidienne. Est-il donc sensé de tuer plus de 100 000 animaux, en un jour, en souvenir d’Abraham quand on n’a pas besoin de viande ? J’en doute. Nous sommes nombreux à penser que, nos valeurs sont celles du Prophète mais que notre société n’est pas la sienne. Aujourd’hui, égorger autant de moutons en si peu de temps n’est plus honorable pour l’image d’Abraham.

Ceux qui pensent ainsi n’osent pas le dire haut. Ils craignent d’être confondus avec les islamophobes qui veulent interdire l’Aïd al-Adha en France. Avec Brigitte Bardot à leur tête, ces défenseurs des animaux ont de beaux accès médiatiques. Qu’à cela ne tienne, l’association AVS, référence nationale pour la certification halal, a ouvert gentiment la voie vers une pratique éthique de l’Aïd al-Adha.

En annonçant qu’elle s’abstient de participer à la fête cette année, AVS nous invite à réviser nos usages dans le rapport à la vie animale, surtout à l’occasion de l’Aïd. La décision est d’une grande élégance spirituelle car AVS explique qu’elle est en droit d’exprimer des doutes généralisés sur le traitement des animaux conformément à l’éthique islamique.

Autre signe d’évolution, les ONG humanitaires qui travaillent pour les enfants. Elles nous invitent à leur verser le prix d’un mouton pour commémorer le sacrifice d’Abraham. C’est une alternative de notre temps qui associe Abraham à la solidarité internationale sinon au soutien des enfants dans le besoin. Son succès dépend de notre courage à assumer l’évolution de notre rapport aux différentes formes de vie qui partagent notre expérience sur Terre.

Abraham sortira un jour du sang des abattoirs pour habiter les cœurs d’enfants

Je sais qu’il faudra du temps. Mais j’estime que le changement en cours est sain. Il se fera contre les frileux qui disent qu’on commence par changer l’Aïd al-Adha, puis on adapte le Ramadan avant de s’attaquer à la salat, puis au Coran… Une crainte légitime motivée par l’amour du Prophète et la volonté de se conformer à son exemple.

A ces musulmans orthodoxes réfractaires qui, en 2018, veulent tenir le couteau, réciter la Basmala pour voir gicler le sang chaud du coup de la bête, j’aimerais rappeler l’histoire du Saint Coran. Si l’on avait suivi l’exemple du Prophète, il n’y aurait pas eu de livre nommé Coran. Le Prophète avait tous les moyens pour compiler le Coran. Mais il ne l’a pas fait. C’est en prenant en compte l’évolution de la réalité sociale, que le premier calife a pris l’initiative de compiler le Coran pour en faire un livre. On connait la place du Coran en islam, et il y a un enseignement dans cette histoire.

Je n’ai aucun doute que l’Aïd al-Adha évoluera en France. Il a fallu des décennies pour que certains musulmans osent se servir d’un téléphone car le Prophète n’a jamais parlé à personne à distance. Il faudra donc du temps, mais Abraham sortira du sang des abattoirs pour habiter les cœurs d’enfants, ces vies humaines qu’il a préservées. Pour cela, fêtons l’Aïd al-Adha avec la conscience du message d’Abraham, le vrai message d’Abraham qui n’est pas celui des marchands de viande de mouton.

Bonne fête de l’Aïd al-Adha.


Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de… En savoir plus sur cet auteur