Points de vue

Feu ou société d’un autre temps ?

Rédigé par Khedimellah Moussa | Samedi 27 Aout 2005 à 00:00

Tôt ce matin, la radio ressasse le drame. Flash : à Paris, un incendie cette nuit...17 morts, plusieurs blessés dont 2 graves. Parmi les corps sans vie dégagés par les pompiers de Paris arrivés rapidement sur les lieux, 14 enfants, probablement en bas âge, morts asphyxiés et brûlés car incapables de fuir. Je suis abasourdi ; sur 17 morts, 14 sont des petits enfants, parisiens ou parisiennes peut être ? Enfants enjoués après une journée d’été, un jour harassant de vacances, dormant paisiblement et que le feu vorace a tué cette nuit dans un vieil immeuble du Boulevard Auriol dans le 13ème arrondissement. Morts de mort atroce. Feu, cris d’enfants brûlés vifs, cris qui ont réveillés le voisinage. Feux et cris arrachés à la nuit de Paris feutré.



Un feu d’un autre temps. Les corps brûlés et méconnaissables des petits enfants noirs vont nécessiter l’intervention de spécialistes de la reconnaissance des cadavres tant leur état est jugé horriblement méconnaissable. Imaginer une minute l’enfer de ce violent incendie surprenant ces personnes en pleine nuit glace le sang et la conscience. Et le citoyen lambda que je suis ne peut rester silencieux. C’est un drame inconcevable, insupportable et impardonnable à notre beau pays et à sa belle capitale. Un feu révoltant qui réclame déjà à corps et à cris les coupables, à l’image des rescapés ayant perdu fils, fille, femme ou tous ensemble. Un feu de tristesse de notre société et de ses dysfonctionnements administratifs, de solidarité ou pire de ses dysfonctionnements des principes républicains de liberté, d’égalité, de fraternité et de non discrimination.

Feu d’un autre temps. Les 150 personnes qui se trouvaient dans cet immeuble vétuste, fissuré et surpeuplé payaient un loyer. Elles sont d’origine malienne, sénégalaise ou de côte d’Ivoire. Le président de « France Euro Habitat », Jacques Oudod, a précisé aux journalistes qu’il gérait cet immeuble pour le compte d’Emmaüs France et que le dit immeuble était en instance de rénovation dès que...ses habitants seraient relogés ailleurs après avoir été chassés d’ailleurs. Fine politique où les acteurs et décideurs se renvoient les responsabilités du drame. L’immeuble appartenant à l’Etat, -le comble-, hébergeait, selon Bernard Brunhes, responsable Logement chez Emmaüs France 33 familles, installées pour le moment et en catastrophe dans un gymnase qu’elles ne veulent plus quitter sous le choc entourés d’une cellule de crise. La plupart de ces familles ont connu le parcours du combattant avant d’arriver à cette nuit de malheur consumée par le feu. Chassées par les pelleteuses, beaucoup ont quitté le squat, le campement que dis-je le bidonville contemporain des quais de Seine, devenus jardins fleuris et bibliothèque Mitterand. Des campements des quais de la gare à ces immeubles insalubres et vétustes, du pareil au même : Bidonvilles des temps modernes, - comme jadis, il n’y a pas si longtemps ceux réservés aux Maghrébins à Nanterre ou à Belleville, favellas parisiennes, township français, plaies sociales qui ont vu grandir une génération d’enfants dont Ciré Djako est probablement le meilleur emblème de ces tentes militaires des quais de la gare, sortis elles aussi, d’un autre temps. Ce parcours du combattant pour le logement dont le DAL s’est noblement fait le héraut fait écho aussi à celui des populations tsiganes et Roms que les communes rechignent à accueillir, malgré la nouvelle et mauvaise, - car insuffisante, loi qui les y obligent, ce qui m’indigne au plus profond de mon être.

Temps d’un autre feu. Mais le feu dont nous parlions a pris sous l’escalier au rez-de-chaussée, lieu où étaient parquées les poussettes d’enfants et où aucune possibilité technique d’un début d’incendie n’est plausible ou envisageable. Car ce feu parisien est le second du genre en quelques mois. Malgré la loi des séries, une telle catastrophe d’un incendie bien français, de nouveau dans la capitale, de nouveau dans un immeuble vétuste, insalubre, et de nouveau surpeuplé de gens de couleur est bien difficile à croire. Acte de malveillance ou vétusté de l’immeuble ? Reste donc le pire, l’inimaginable : la terrifiante idée d’un acte criminel ? Serait-ce aussi le temps de cet autre feu, ce feu criminel, le feu odieux et intolérable du racisme ? Racisme qui tue, et qui veut tuer l’Autre, pauvres noirs symbolisant par leur couleur de peau l’altérité absolue ? L’autre feu, c’est celui de l’hôtel Paris-Opéra qui a fait 24 morts parmi la même population, celle de la négritude, proies bien faciles. Les précédents en Allemagne nous l’ont prouvé lorsque des groupes d’extrême droite ont mis le feu à des foyers de travailleurs immigrés étrangers. Le crime raciste anti-arabe en Corse montre aussi que cette folie hargneuse existe et qu’elle peut défigurer et déshonorer notre pays. Mais le procureur général de Paris, Monsieur Jean-Claude Marin ne veut rien privilégier pour le moment.

Société d’un autre temps. Ce drame intolérable révèle au cœur du monde civilisé, au cœur de notre capitale et de notre pays, le gouffre dans lequel plonge notre société individualiste, intolérante et dépassée dans ses idéaux mythiques et mythologiques d’égalité et de solidarité. Notre pauvre société française est en retard d’un train et se coupe de ses forces vives par le fléau du racisme. Les voies qui s’élèvent pour proposer un soutien aux plus défavorisés ou des plus démunis (appelons là comme on veut : discrimination positive, équité, égalité des chances...) se voient eux-mêmes stigmatisés par des républicanistes, fers de lance d’un communautarisme chic et bourgeois qui ne veut pas dire son nom. La capacité d’intégration économique défaillante, la capacité d’émotion, de confiance, d’ouverture et de solidarité manquent gravement à notre pays qui ne cesse de bannir des populations étranges ou étrangères voire françaises de parents immigrés dans « cet exil de l’intérieur » : celui de l’indifférence et de la stigmatisation. Et la responsabilité des politiques est immense voire incommensurable dans cet exil intérieur et cette stigmatisation progressifs de l’Autre : pauvre, noir, femme, maghrébin, juifs, handicapés, homos. Relents d’intolérance cristallisés surtout envers la figure du noir et de l’Arabe, intolérance teintée de racisme de notre société où les icônes de Zizou et de Turam sont encensées mais que la réalité de la « France raciste », - selon le titre d’un ouvrage de Michel Wieviorka-, désavoue en criant : racisme au quotidien dans le logement, au travail, aux discriminations en tous genres notamment aux cours de contrôles policiers fait au faciès ou aux guichets de nos chères administrations nationales. Notre société uniformiste et discriminante (ghetto du 16ème, ghettos de banlieues, immeubles vétustes de pauvres étrangers dans Paris intra muros) construit ses propres ghettos mentaux, ses propres exilés de l’intérieur et génère ses propres maux et ce qu’elle dénonce : les communautarismes dénoncés vigoureusement et en grande pompe aux 20 heures par les représentants du peuple en pleine perte de crédibilité. La peur n’est pas un programme politique, elle ne le sera jamais. La politique outre atlantique de l’administration Bush le prouve chaque jour. D’ailleurs, rien n’est plus éloquent que les silences de Nicolas Sarkozy, pourtant loquace, survolté et toujours prompt à la répartie, arrivé en pleine nuit ou les silences diurnes d’un Jean Louis Borloo, grave et hautain, tous 2 face à la colère des familles de victimes ou rescapés.

Contre feux. Oui, la phrase de Rocard restée dans les annales, la France ne peut accueillir toute la misère du monde mais la misère de ces feux d’un autre temps au cœur même de notre pays brûle aussi à petit feux le sentiment d’adhésion à la Nation d’une grande frange de français de « fraîche date » selon l’expression heureuse d’Ahmed Boubeker. Notre société doit réagir est redécouvrir d’urgence, - sous peine d’implosion-, sa capacité de cohésion envers le moins nantis : pauvres, étrangers, populations discriminées au regard du sexe, de la religion ou de l’origine sociale ou culturelle à l’heure des prophètes d’apocalypse en tout genre. Prophètes qui, quelques fois avec l’aval des médias (souvenons-nous de la vraie fausse affaire antisémite du RER D, il y a un an jour pour jour) étiquettent et culturalisent sans cesse le débat public, le danger, le malheur, le terroriste, le délinquant, le pauvre...souvent résumés dans la figure du noir ou de l’Arabe de cités ou dernière trouvaille le « musulman agent dormant », prêt à se réveiller, bien évidemment, même si des dérives de ce type existent. Mais jeter l’opprobre sur toute une population sensible aux suspicions répétées à son égard est un jeu dangereux de la stigmatisation, notamment envers ces 2 dernières figures, et de fil en aiguille, incendies, drame ou délit criminel, où immeubles insalubres et populations noires sont liées est en train de devenir un poncif français et parisien.

La justice doit très rapidement nous dire si ces 2 feux sont d’origine criminelle ou non auquel cas, elle devra statuer sur la responsabilité politiques. Mais ni le message bien protocolaire de compassion et de condoléances aux familles du Président Jacques Chirac, qui n’a pas daigné se déplacer alors qu’il se trouve dans la capitale, ni les larmes silencieuses du Maire de Paris venu sur les lieux du drame ne ramèneront à la vie les sourires et les corps des 14 enfants morts brûlés vifs cette nuit dans la ville la plus prestigieuse du monde dans ce feu d’un autre âge.

Par Moussa Khedimellah
Sociologue, rattaché au Cadis (EHESS)