Finance éthique

Finance islamique en France, où en est-on en 2015 ?

Rédigé par | Jeudi 22 Janvier 2015 à 18:24



Avec une fourchette comprise entre 2,1 et 5 millions de musulmans, la France compte davantage de musulmans que pas moins de huit pays membres de la Ligue arabe (Liban, Koweït, Qatar, Bahreïn, Émirats arabes unis, Palestine, Îles Comores et Djibouti). Ce chiffre indique de facto que la France est le premier pays européen par l’importance de sa communauté musulmane et le demeurera à l’horizon 2030.

Un décollage plus difficile que prévu

On peut se demander pourquoi il semble si complexe de développer en France cette finance alternative, éthique et participative qu’est la finance islamique, alors que la France est, proportionnellement à sa superficie et à sa population, le plus important foyer musulman du monde occidental.

Les explications peuvent être multiples. Tout d’abord, il existe une absence de volonté politique depuis les efforts entrepris par Christine Lagarde lorsqu’elle était ministre de l’Économie et des Finances en 2008. En effet, un réel volontarisme politique a été affiché dans tous les pays où la finance islamique s’est développée de manière satisfaisante : adoption de nouvelles lois, engagement direct des États via des émissions souveraines de sukuk.

Un autre facteur explicatif réside dans le fait que la finance islamique n’étant pas développée dans les pays d’origine des musulmans de France (Maghreb et anciennes colonies françaises), la population musulmane française n’est pas suffisamment consciente de l’importance de ce sujet.

Les atouts du marché français

Les atouts du marché français sont loin d’être négligeables. Prêtons attention au taux de bancarisation des musulmans français : ils sont parmi les musulmans au monde à être les plus équipés de comptes bancaires. Aussi, avec 41 % des Français musulmans « pratiquants », selon l’institut de sondage Ifop, la cible de clientèle pourrait représenter plus de 2 millions de clients potentiels.

Autre exemple de la vivacité du marché français, le marché de la nourriture halal est estimé à 5,5 milliards d’euros, la pratique sociale de l’islam en France a évolué vers la recherche d’une consommation plus respectueuse de son éthique et de ses valeurs. Un acteur en mesure d’offrir des produits conformes et performants aurait donc de belles perspectives de développement. Ce marché émergent dans le domaine de l’économie halal peut représenter une réserve de croissance considérable pour le développement de la finance islamique et de l’assurance takaful.

Il existe d’ailleurs deux universités qui dispensent un enseignement en finance islamique : l’Université de Strasbourg avec un Executive MBA et un master 2 et l’Université de Dauphine avec un Executive Master. Les profils des personnes qui suivent ces formations sont pluridisciplinaires : assureurs, actuaires, risk et asset managers, juristes, banquiers privés et d’affaires, etc.

Avec l’adoption d’instructions fiscales destinées à ne pas pénaliser les opérations de finance islamique par rapport aux opérations conventionnelles, le cadre juridique est présent. De plus, le droit des assurances prévoit des statuts parfaitement compatibles avec les principes du takaful sans qu’il soit nécessaire de légiférer ni d’amender. La France est, d’après la revue SIGMA éditée par Swiss Re, le cinquième marché mondial de l’assurance avec un taux de pénétration de presque 10 %. Le rapport annuel 2013 de la FFSA fait état de 188 milliards d’euros de cotisations tous marchés en France, si des solutions takaful arrivaient à capter ne serait-ce que 2 % du marché français la France deviendrait le second marché mondial du takaful qui ne représente d’après EY que 11 milliards d’euros en 2014.

Cela serait également un excellent moyen de se différencier des places londoniennes et luxembourgeoises qui ont fait le choix d’émettre des sukuk souverains afin d’attirer les investisseurs moyen- orientaux.

Ce sont toutes ces raisons qui expliquent que la Banque centrale européenne a estimé dans un rapport paru en juin 2013 que la finance islamique semblait avoir un bon potentiel à développer en France.

Une offre limitée

Malgré tout, du côté de l’offre, les produits proposés sont très limités : une seule banque aujourd’hui réalise des opérations de financement sharia compliant. Effectivement, la Banque Chaabi, filiale française de la banque marocaine, propose une solution de financement immobilier murabaha et une convention de compte de dépôt.

Concernant l’assurance, il n’y a pas de solutions takaful dommages. Seules existent des solutions takaful famille qui se matérialisent par trois contrats d’assurance-vie : Salam Épargne & Placement de Swiss Life, Amâne Exclusive Life de Vitis Life et plus récemment Ethra’a Takaful Famille de la compagnie luxembourgeoise Atlanticlux.

Pour permettre l’éclosion, puis le développement d’un vrai marché pour la finance islamique et l’assurance takaful en France, il est nécessaire d’investir par la création et l’offre de nouveaux produits répondant aux besoins de la population, il faut également démystifier et faire preuve de pédagogie. L’offre doit créer le marché. La démystification doit pouvoir convaincre les institutionnels de la réserve de croissance considérable qu’offre ce segment et les encourager à investir. La pédagogie, quant à elle, doit servir à stimuler la demande.
Aux acteurs privés de s’organiser, d'investir et de créer le marché...




Ezzedine GHLAMALLAH est consultant, fondateur de SAAFI, cabinet de conseil en finance islamique et… En savoir plus sur cet auteur