Finance éthique

Finance islamique : focus sur les sukuk

Rédigé par | Mardi 24 Juin 2014 à 09:44



Dans son édition du 13 juin, Islamic Finance News rapporte que dans les semaines à venir le gouvernement britannique a pour projet d’émettre un sukuk de près de 250 millions d’euros.

Ayant d’abord été annoncée pour octobre dernier, cette émission fait partie d’un plan à long terme du gouvernement visant à établir le Royaume-Uni comme place financière internationale incontournable. Ce sukuk ijarah aura une maturité de 5 ans, son rendement sera généré durant le temps de l’opération par le revenu locatif de 3 immeubles qui resteront la propriété du gouvernement.

Plusieurs autres pays non islamiques ont annoncé des intentions semblables, notamment l’Afrique du Sud, le Luxembourg et Hong Kong. Le 10 juin, le journal sénégalais L’Enquête indiquait déjà que le Sénégal s’apprêtait à émettre un sukuk d’un montant de 152 millions d’euros tandis qu’en Malaisie un sukuk d’un montant de 221 millions d’euros allait être émis par Societe Generale Bank and Trust.

Qu’est-ce que les sukuk ?

Petit rappel : la finance islamique est un compartiment de la finance éthique. Elle recouvre l’ensemble des transactions et produits financiers conformes à la loi islamique (la charia), qui repose sur 5 piliers : interdiction de l’intérêt, réalisation d’investissements aléatoires et incertains, spéculation hasardeuse, obligation de partager les pertes et profits et investissement exclusif dans l’économie réelle et tangible.

À ces règles s’ajoute l’exclusion de certains secteurs d’investissement : le tabac, l’alcool, la pornographie et les jeux d’argent.

Les sukuk (pluriel de sakk, ancêtre du mot « chèque »), eux, sont une alternative aux obligations (emprunts à intérêts), illicites en islam. Ces titres, dont le rendement est lié à la performance d’un actif sous-jacent, confèrent à leurs porteurs un droit de copropriété direct ou indirect sur l’actif sous-jacent. Les porteurs de sukuk sont intéressés aux produits générés par le sous-jacent et sont soumis, en cas de diminution de la valeur dudit sous-jacent, à un risque éventuel de perte en capital.

Il n’y a donc pas de taux d’intérêt dans les sukuk et, à ce titre, ils ne sont pas comparables aux obligations conventionnelles : ce sont des certificats d’investissements islamiques, plus proches des actions que des obligations.

La France, prête pour un sukuk souverain ?

Le marché des sukuk en Malaisie a commencé en 1990. Depuis lors, il s’est rapidement développé à travers le monde pour y inclure des pays comme les Émirats arabes unis (EAU), l’Arabie Saoudite, l’Indonésie, le Bahreïn, les États-Unis, le Pakistan puis, récemment, la Turquie.

En France, l’administration fiscale a publié une instruction, le 23 juillet 2010, décrivant les principales caractéristiques des sukuk et les conditions permettant de bénéficier d’un régime fiscal neutre par rapport aux obligations conventionnelles. Ainsi, pour l’émetteur, la rémunération versée aux porteurs de sukuk est traitée fiscalement comme des intérêts déductibles du bénéfice imposable.

Selon l’Agence France Trésor, les besoins de financement de la France en 2014 s’élèvent à 176,4 milliards d’euros, couverts pour l’essentiel par 173 milliards d’emprunts et complétés par des ressources annexes.

Peut-on envisager que la France puisse un jour en faire autant que le Royaume-Uni ou le Luxembourg en émettant un sukuk souverain ? Non, pas tant que le taux moyen des emprunts à moyen et long terme s’établira à 1,54 %, un plus bas historique ; et dès lors que l’État français arrive à trouver des investisseurs pour financer son déficit.

Cependant, lorsque l’on observe l’évolution de la dette française et de ce qu’elle représente par rapport au PIB, on peut légitimement penser que cela ne durera pas éternellement. Il pourrait être judicieux d’anticiper le jour où les sources de financement viendront à se tarir à l’instar de nos voisins britanniques et luxembourgeois.



Ezzedine GHLAMALLAH est consultant, fondateur de SAAFI, cabinet de conseil en finance islamique et… En savoir plus sur cet auteur