Finance éthique

Finance islamique : la détermination « intacte » de Bercy

Finance islamique en France : pour 2010 ?

Rédigé par | Lundi 9 Novembre 2009 à 01:00

Faire de Paris la capitale européenne de la finance islamique reste toujours d’actualité pour le ministère de l’Économie et des Finances, qui a accueilli en son sein une conférence sur la finance islamique, mardi 3 novembre. L’occasion pour Christine Lagarde de faire un point sur l'avancée des travaux et de rappeler les opportunités financières qui s'offrent à la France.



Christine Lagarde : « Je ne suis pas une opportuniste. Je ne me suis pas aperçue soudainement de l'intérêt de la finance islamique. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour élargir les compétences de la place de Paris à la finance islamique.
En présence de nombreux banquiers, PDG et hommes d’affaires, à l’instar de Carlos Ghosn, patron de Renault-Nissan, la ministre de l’Économie Christine Lagarde a réaffirmé, mardi 3 novembre, sa détermination à favoriser l’intégration de la finance islamique en France. Une détermination demeurée « intacte » malgré la censure constitutionnelle, début octobre d’un article de loi visant à modifier le régime de la fiducie pour faciliter l’émission des obligations islamiques (sukuks) en France.

Le Conseil constitutionnel n’a cependant pas statué sur le fond. Surtout, ce contretemps n’a entamé en rien la volonté de la ministre de voir « réintroduire (la modification) dans un véhicule législatif plus approprié » afin d’éviter une autre censure. Aux députés socialistes qui ont saisi les Sages du Conseil sous prétexte d’une atteinte à la laïcité, le sénateur Jean Arthuis, président de la Commission des finances, rassure : il n’y aura « aucun bouleversement du droit français pour l’instauration de la finance islamique en France ». En d’autres termes, il s’agit non pas d’introduire la charia ou le Coran dans le droit, mais d’adapter les outils financiers existants.

La finance islamique, une des solutions à la crise

Un constat se dégage parmi les intervenants. La finance islamique, qui donne la primeur à l’économie réelle en interdisant l’usure (riba), la spéculation et les investissements considérés comme illicites tels que la pornographie, l’alcool, l’armement ou les jeux d’argent, a été particulièrement performante face à la crise qui a secoué le monde en 2008.

Source de liquidités très importante, la finance islamique a permis le financement de projets majeurs au Moyen-Orient, où se sont implantés de grands groupes français. « Dans le domaine de financements de projets énergétiques, les banques islamiques sont devenues − au moins − aussi compétitives que les banques commerciales conventionnelles », affirme Pierre Chareyre, directeur général en charge des investissements et des acquisitions au sein de GDF-Suez. En 2006, l'entreprise a eu recours à la finance islamique pour la construction de centrales électriques et de sites de dessalement d'eau de mer. A ce jour, c'est près de 1 milliard de dollars sur les quelque 4,6 milliards de dollars d'investissement en Arabie Saoudite et au Bahrein qui est issu de la finance islamique.

« Il faut poursuivre l'adaptation du cadre légal et fiscal en France : l'adaptation de la finance islamique au crédit-bail et à la location-vente est particulièrement attendue, car c'est ce que nous utilisons beraucoup dans le montage de projets », souligne Pierre Chareyre. « De plus, il faut absolument que les banques islamiques aient accès à l'euro. Si ces contraintes sont levées, les entreprises françaises pourraient alors diversifier leurs sources de financement, via la finance islamique », lance-t-il optimiste.

« De par ses principes, la finance islamique a évité les actifs toxiques (fondés sur les crédits à risque type subprimes, ndlr) hautement spéculatifs et usant le riba », affirme pour sa part Anouar Hassoune, vice-président du cabinet Moody’s en charge de la finance islamique. Elle « réconcilie l’éthique de la responsabilité et l’éthique de la conviction », ce qui montre que « ses principes sont universalisables » et donc ouverts aux non-musulmans, poursuit-il.

Estimée à 700 milliards d’euros dans le monde, la finance islamique pourrait permettre à la France de capter 100 milliards d’euros. Elle souhaite, de fait, rattraper son retard sur la Grande-Bretagne, le seul pays européen à avoir légiféré en faveur de la finance islamique en 2006. Cependant, le processus d’intégration de la finance islamique se veut différent des deux côtés de la Manche.

Les particuliers ont aussi leur rôle à jouer

Alors que Bercy se concentre pour n’attirer que les pétrodollars du Golfe, l'autorité financière britannique a facilité l'émergence de banques de détail dès le départ. Pourtant, la France est forte de 5 à 6 millions de musulmans contre 2 au Royaume-Uni. « Il est nécessaire d’avoir accès aux déposants locaux pour permettre un bon développement de la finance islamique en France », assure Sultan Choudhury, directeur commercial de l'Islamic Bank of Britain, le premier établissement bancaire à avoir ouvert ses portes en 2004.

Comme elle, la Qatar Islamic Bank − qui a demandé un agrément à la Banque de France pour ouvrir une succursale − s’intéresse de près au marché français au vu du potentiel de clients qu’elle recèle. Selon une enquête de l'IFOP, 55 % des musulmans sont potentiellement intéressées par des prêts bancaires sharia-compliant.

La promesse de Bercy de voir la finance islamique émerger en France à la fin de l’année est ratée. Mais des progrès sont à noter. Le cadre fiscal et juridique français a été adapté, en décembre dernier, pour accueillir deux produits conformes à la charia sur son territoire. Le Crédit Agricole a lancé, fin septembre, une SICAV islamique. « Le rôle des pouvoirs publics est essentiel pour en assurer le démarrage », conclut M. Ghosn.



Visionner la conférence « Finance islamique : quelles opportunités pour les entreprises françaises ? », du mardi 3 novembre, au ministère de l'Économie et des Finances.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur