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Forgiven : le long et douloureux chemin vers la réconciliation en Afrique du Sud post-apartheid

Rédigé par | Jeudi 27 Décembre 2018 à 09:00

Affronter la vérité pour emprunter le chemin du pardon et entamer ainsi le processus de réconciliation d’une nation sud-africaine encore fracturée au sortir des années apartheid : c’est le pari fait par Nelson Mandela dès son accession au pouvoir en créant la commission Vérité et Réconciliation, qui avait pour objectif de recenser et faire reconnaître les crimes commis pendant l’apartheid. C’est sur cette histoire que le réalisateur franco-britannique Roland Joffé a choisi de revenir avec « Forgiven », film plaidoyer pour le pardon.



Afrique du Sud, 1996. Le pays, alors dirigée depuis 1994 par le mythique Nelson Mandela, est libéré de l’apartheid mais il demeure bien fragile. Pour panser les plaies béantes causées par la haine, prévenir d’effroyables bains de sang et apaiser les tensions raciales encore très vives dans une société sud-africaine longtemps dominée par la minorité blanche, la commission Vérité et Réconciliation est créée pour faire toute la lumière sur les crimes commis durant l’apartheid afin d’engager un processus de réconciliation nationale. Nelson Mandela considérant le pardon comme un puissant instrument de guérison, la commission pouvait prévoir, dans certains cas, une amnistie pour les auteurs de crimes, une fois leurs aveux complets enregistrés, la sincérité de leurs regrets évaluée et les victimes entendues.

A la tête de cette commission, a été désigné le très respecté archevêque Desmond Tutu, lauréat du prix Nobel de la paix en 1984. Incarné dans Forgiven par Forest Whitaker, distingué pour ses rôles dans Le Dernier Roi d’Écosse (2006) ou encore Le Majordome (2013), ce fervent admirateur de Nelson Mandela, dans l'optique d'élucider l'assassinat d'une jeune fille, est confronté à Piet Blomfeld – le talentueux Eric Bana à l’écran –, un suprématiste blanc condamné à perpétuité pour meurtres cherchant à être amnistié.

De l'enfant innocent à l'adulte assassin

Ce sont deux visions de l’humanité qui s’entrechoquent : tandis que le premier, en bon apôtre du vivre ensemble, plaide pour une société où chacun, dans sa diversité, peut vivre à égalité de droits et de devoirs dans une certaine harmonie, le second dessine un monde plus sombre courant forcément à la guerre. Une guerre dont le vainqueur serait toujours blanc face aux « kaffer », synonyme en afrikaans du mot irrespectueux « nègre » et tiré à l’origine du terme arabe « kafir » signifiant « mécréant ».

Mais au fil de ses confrontations avec l'archevêque, le changement est perceptible chez Piet Blomfeld. Doucement, il emprunte le chemin de la rédemption, possible même pour le pire d’entre les Hommes, rappelle Mgr Desmond Tutu. Derrière sa carapace de gros dur que l’assassin s’est forgé avec le temps se cache en réalité un homme à l’enfance tourmentée, conditionné par son père dans la haine de l’Autre, du « Noir » en l’occurrence. Une haine qu’il ne connaissait pas à l’origine… Le film vient ainsi rappeler une évidence : l’Homme ne naît pas mauvais, son inclination pour la bonté ou pour la barbarie est le produit de l’éducation et de l’environnement dans lequel il grandit.

En parallèle, le film expose les souffrances d'une mère de famille qui cherche, depuis des années, vérité sur la disparition de sa fille adolescente. Une vérité qui, une fois trouvée, finira par la libérer au point d'accorder son pardon aux coupables du crime. Pour Desmond Tutu, Forgiven est « un hommage au remarquable pouvoir de guérison du pardon et à l’exceptionnel compassion et courage de ceux qui offrent amour et pardon comme antidote à la haine et à la barbarie ». S’il n’y avait qu’une chose à retenir de ce film, pour Forest Whitaker : « Qu’il n’est pas faible de pardonner. »

Une plongée réaliste dans l’univers carcéral de Pollsmoor

Avec Forgiven, adapté de la pièce de théâtre « l’Archevêque et l’Antéchrist » de Michael Ashton, le réalisateur n’épargne pas les spectateurs des scènes de violences quotidiennes dans le milieu carcéral. C’est d'ailleurs dans la prison de Pollsmoor, au Cap, connu aujourd’hui pour être l’une des prisons les plus dangereuses au monde mais également celle où Nelson Mandela a été détenu entre 1982 et 1988, que l’équipe de tournage a posé ses caméras.

Elle s’est aussi octroyée les services de Welcome Witbooi, un ancien membre d'un gang repenti, incarcéré à la prison de Pollsmoor, pour guider les acteurs dans leur jeu… et jouer son propre rôle. En cela, la plongée, réaliste, dans le milieu carcéral est réussie.

Un double bémol au film qui dure près de deux heures : quelques scènes sont tirées en longueur sans toujours être utiles. Le film se concentre sur le personnage de Piet Blomfeld - la superbe performance d'Eric Bana est vraiment à souligner - mais il aurait gagné à mieux introduire la personne de Desmond Tutu et le parcours de cette figure religieuse mondialement respectée qui l'a mené à présider la commission Vérité et Réconciliation.

Forgiven, film de Roland Joffé (Grande-Bretagne, 1h55)
Avec Forest Whitaker et Eric Bana

En salles le 9 janvier 2019


Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur