Religions

Fouad Alaoui : « Les musulmans doivent cesser d’être les maillons faibles »

Rédigé par Leïla Belghiti et Huê Trinh Nguyên | Mardi 6 Avril 2010 à 14:24

Qui a dit que l’UOIF, c’est uniquement la Rencontre annuelle des musulmans de France (RAMF) ? Pour son premier discours à la RAMF en tant que président (élu en novembre 2009), Fouad Alaoui, un quarantenaire militant au charisme pacifique, a tenu à « réveiller les consciences ». Entretien exclusif.



Fouad Aloui, président de l'UOIF : « Il faut que les musulmans se prennent en charge eux-mêmes. Ils ne sont pas assez présents, pas assez influents dans la société ! »

Saphirnews : Lors de votre discours prononcé à la 27e RAMF, vous n’avez pas abordé les récentes polémiques sur la burqa, l’identité nationale, pourquoi ?

Fouad Alaoui : Plusieurs de nos intervenants ont fait un bref passage sur ces questions. Nous n’avons pas voulu nous y attarder car, tout en sachant qu’il y a eu un vrai tapage politique sur un phénomène marginal, nous n’allions pas faire d’un phénomène marginal le thème central des quatre jours qu’a duré la 27e Rencontre annuelle des musulmans de France.

Toutefois, quelle est votre position sur la burqa ?

F. A. : Je préfère parler de « voile facial », parce que la burqa – rappelons-le − n’existe pas en France. Ce que nous ne cessons d’affirmer, c’est que, lorsqu’il y a exigence de sécurité et d’identification, il est tout à fait normal de se découvrir le visage. Un exemple : si, à la sortie d’un établissement scolaire, un homme se présente avec une cagoule, est-ce qu’on lui délivrera l’enfant ? On ne le lui délivre pas ! A-t-on besoin d’une loi pour le faire ?
Notre conviction est qu’à chaque fois qu’approchent des échéances électorales on revient vers le maillon le plus faible au sein de la société. À un certain moment, c’était la question de la sécurité, ensuite celle de l’intégration : maintenant, c’est carrément la question de l’islam, de la capacité du musulman à s’intégrer dans la société.
Il y a un certain nombre d’années, si on avait eu une affiche comme celle qui a été faite récemment par le Front national, le parti aurait été interdit, parce que la portée de l’affiche est contraire à toutes les valeurs de la République. Aujourd’hui, les valeurs républicaines ne sont plus, on est à la recherche des voix des électeurs coûte que coûte. Lorsque viendront les élections présidentielles, j’ai le sentiment que les polémiques reprendront…

Lors de votre discours, vous avez utilisé l’expression « les musulmans sont les maillons faibles », qu’entendez-vous par là ?

F. A. : Je veux dire qu’il y a des dynamiques qui sont actives dans la société − et cela n’est d’ailleurs pas spécifique à la France. Ainsi, lorsqu’il y a des enjeux politiques, les politiques cherchent des voix, et il faut qu’ils les trouvent. S’ils voient qu’ils peuvent aborder un sujet, et qu’à travers des attaques cela leur permet de gagner facilement chaque jour un peu plus de voix, ils continueront à attaquer. C’est la logique politique, malheureusement. Elle est inhumaine, et elle n’est pas morale, mais c’est cette logique qui s’installe.
Ainsi, tout le monde sait que si l’on attaque des musulmans − à travers le discours sur l’identité nationale, le voile intégral, etc. −, que vont bien pouvoir faire les musulmans ?

Alors comment y remédier ?

F. A. : Notre ligne directrice est celle-ci. Il faut que les musulmans se prennent en charge eux-mêmes. Ils ne sont pas assez présents, pas assez influents dans la société ! Nous sommes dans cette logique sociétale : si vous n’êtes pas influent, si vous n’avez pas de présence conséquente, personne ne vous écoutera !
Les musulmans ne seront respectés que lorsque leurs enfants réussiront dans leurs études, quand ils accèderont à des postes à responsabilité, non pas pour défendre les musulmans mais pour défendre la justice. Car nous avons le sentiment que, lorsqu’il y a l’intérêt partisan, la justice, elle, n’existe plus. Soit vous êtes fort, soit vous êtes faible. Si vous êtes faible, eh bien, quiconque a un intérêt vous écrasera.

Il y a quelques années, l’UOIF recevait des personnalités politiques lors de la RAMF… Cette année, personne ?

F. A. : C’est tout simplement parce qu’il n’y a pas d’échéances électorales. Et c’est un choix que nous avons fait. Le titre (« Être musulman aujourd’hui », ndlr), certains l’ont peut-être trouvé « bateau », mais c’était fait exprès : c’est que nous voulons parler d’un sujet qui n’est pas problématique. Tous ces derniers mois, on a trop voulu enfermer les musulmans dans des polémiques stériles.

En période électorale, invitez-vous spontanément les politiques ou ce sont plutôt eux qui s’invitent ?

F. A. : Vous savez, il faut différencier l’échelle locale et l’échelle nationale. À l’échelle locale, il est bien connu que tous les hommes et femmes politiques veulent avoir cette proximité politique : ils se rendent dans les mosquées, ils enlèvent leurs chaussures… parce que c’est la loi de la proximité, c’est tout à fait naturel, car les voix se comptent une par une.
Or, à travers une rencontre nationale, la présence des politiques relève davantage du symbolique que du comptage de voix ! C’est pourquoi si un politique décide de venir à une rencontre nationale comme la RAMF, il faut qu’il en fasse sciemment le choix. Et ce choix politique, bien sûr, il n’est pas toujours facile, je le conçois très bien.

Lorsque vous dites : « Il faut arrêter de faire des discours revendicatifs et prendre ses responsabilités », concrètement que cela engage-t-il pour l’UOIF ?

F. A. : Je vous donne un exemple. Pour ce mandat, nous avons mis en place un département de formation de la gestion des ressources humaines, où tous les cadres associatifs qui sont dans le giron de l’UOIF seront bénéficiaires d’une formation pointue pour être à la hauteur de leur responsabilité. Pour un budget de 200 000 euros annuels, cette formation concernera 2 000 cadres associatifs. La formation consistera à apprendre à gérer financièrement, à monter des projets, à savoir élaborer une stratégie. Quand vous formez les responsables, vous garantissez naturellement une qualité de travail sur le plan associatif. Nous partons également avec un objectif : assurer un renouvellement.

Renouveler les élites de l’UOIF, dites-vous ?

F. A. : Oui, certainement ! Il y a un staff professionnel qui est dédié à la RAMF toute l’année. Notre exigence consiste à ce que ce staff, à la moitié de notre mandat, puisse nous présenter la moitié du staff renouvelée. Il s’agit de drainer d’autres personnes qui s’impliquent, acquièrent de l’expérience et qui reprennent le flambeau. Les anciens deviendront en quelque sorte les experts. Nous n’avons pas le choix : dans tout le travail que nous faisons, on opère cette mutation, sinon la pauvreté s’installe.

On a l’impression que, dans le nouveau bureau*, ce sont finalement les mêmes têtes que l’on retrouve ?

F. A. : Pas du tout ! Le bureau est formé de neuf personnes, quatre font partie de l’ancienne équipe, dont moi-même, et les autres sont nouveaux. Quand le président propose son bureau, il peut choisir ses membres au sein du conseil d’administration comme à l’extérieur de ce conseil. Mais, bien sûr, tout président, lorsqu’il veut composer son équipe, choisit avant tout des personnes qui ont de l’expérience.
Moi comme toutes les personnes présentes au bureau aujourd’hui seront amenés un jour à partir ! C’est pour cela que nous nous efforçons d’assurer une relève !


* Sont membres de l'actuel bureau exécutif de l'UOIF (Union des organisations islamiques de France) : Fouad Alaoui (président) ; Mohsen Ngazou (vice-président) ; Makhlouf Mamèche (secrétaire général) ; Salim Agoudjil (trésorier) ; Hassan Safoui (responsable communication) ; Fatima Ayache (responsable des relations avec les associations) ; Latifa Aït Taleb (responsable de l'enseignement de l'islam) ; Amar Lasfar (responsable des relations publiques) et Abdenaceur Zerrouky (responsable de la gestion des ressources humaines).