Economie

Fouad Alaoui (UOIF) : « L'anarchie du marché halal ne réside pas dans l'absence de charte »

La désignation des sacrificateurs, une priorité

Rédigé par Propos recueillis par Hanan Ben Rhouma | Vendredi 28 Janvier 2011 à 00:00

La charte du halal, élaborée par le Conseil français du culte musulman (CFCM), devait être entérinée le 23 janvier à l’issue d’une réunion du conseil d’administration de l’institution. En ne participant pas à cette réunion, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) a joué les trouble-fêtes et a ainsi marqué son désaccord avec d’autres composantes du CFCM quant au contenu et à la mise en application de la charte. Pour faire mieux comprendre sa position, Fouad Alaoui, président de l’UOIF, s’est quelque peu prêté au jeu des questions-réponses de Saphirnews. Interview.



Fouad Alaoui, président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF)

Saphirnews : Pourquoi l'UOIF n'a pas souhaité participer à la réunion du CA du CFCM dimanche 23 janvier ?

Fouad Alaoui : Nous avons estimé que les conditions n'étaient pas réunies pour assurer un débat serein au sein du conseil d'administration du CFCM autour des sujets proposés à l'ordre du jour. En plus, la réflexion autour de ces sujets était inachevée entre les composantes du CFCM.

Qu’est-ce qui vous dérange dans la charte dans son état actuel ?

F. A. : Contrairement à ce qui a circulé, l'UOIF a exprimé son accord de principe sur l'aspect normatif contenu dans ce projet auquel elle a d'ailleurs participé. L'UOIF a depuis longtemps insisté sur la nécessité de mettre en place des normes sur lesquelles les composantes du CFCM devaient se mettre d'accord.
Or il s'est avéré qu'un désaccord, qui était prévisible, s'est installé sur la question de l'étourdissement préalable. En effet, des composantes du CFCM intervenant dans ce domaine refusent, à ce jour, l'interdiction systématique de l'étourdissement préalable ; ce qui n’est pas notre position. Nous considérons que cette charte n'aura pas l'impact recherché si nous divergeons sur son contenu et les musulmans de notre pays en paieront le prix.

Pourquoi et sur quels avis se fondent vos détracteurs pour autoriser l’électronarcose et autres procédés d’étourdissement ?

F. A. : C’est au président du CFCM de répondre.

D’autres fédérations ont-elles décidé de ne pas voter, pour le moment, la charte ? Lesquelles et pour quelles raisons ?

F. A. : Je préfère exposer la position de l'UOIF. Nous jugeons que les garanties de réussite de la mise en œuvre de cette charte sont au nombre de trois : l'adhésion des composantes du CFCM et, au-delà, des principaux intervenants actuels dans ce champ ; l'ouverture du dossier de la nomination des sacrificateurs et de leur formation ; une transparence des mécanismes à mettre en place pour assurer les contrôles que cette charte devra exiger. Or ces garanties ne sont actuellement pas réunies.

Comment concevez-vous cette charte ? Pensez-vous que celle-ci doit être « une solution globale » à tous les problèmes du marché du halal comme vous l'aviez signifié dans un de vos communiqués ?

F. A. : Il est important que le consommateur musulman sache que la difficulté ne réside pas essentiellement dans la mise en place d'une charte, car à entendre parler certains on a tendance à penser que la raison de l'anarchie dans ce domaine est l'absence de charte : ce qui est faux !
Des chartes existent, et elles ne sont pas toutes mauvaises, loin de là. En revanche, qui contrôle la mise en application de ces chartes une fois que les produits certifiés sont sur le marché ? Aucune transparence dans ce domaine !

Ne devrait-elle pas, dans un premier temps, exister pour mettre un terme aux conflits sur ce que signifie le halal ?

F. A. : Le problème est non pas dans son existence, mais dans les mécanismes garantissant son respect et sa mise en œuvre. Sinon, le risque est fort qu'on se retrouve avec une charte en plus, ni plus ni moins. Notre crainte se renforce encore plus lorsqu'on connaît la fragilité interne du CFCM.

Si plusieurs chartes existent, c’est parce que chacun a sa définition du halal. Se référer à une unique charte n’aiderait-il pas à mettre en place les mécanismes de contrôle que vous souhaitez voir mis en œuvre ?

F. A. : Effectivement. Mais il faut qu’ils se mettent d’accord et qu’ils annoncent éventuellement les raisons de leur désaccord, comme nous le faisons ; le moment est venu d’opérer une transparence avec le consommateur musulman sur ce sujet. En plus, il serait illogique d’adopter une charte et de renvoyer l’adoption des mécanismes de son contrôle à un avenir incertain.

Vous souhaitez une réforme quant à la désignation et à la formation des sacrificateurs, qu'aujourd'hui seules trois mosquées sont habilitées à nommer. Pourquoi est-ce important pour l'UOIF ?

F. A. : Bien sûr que c'est important. Ce sont ces sacrificateurs qui assurent le sacrifice rituel, et l'enjeu est aussi à ce niveau. Il est anormal que la situation actuelle perdure, et le moment est venu pour que ce dossier soit abordé.

Que dénoncez-vous sur la situation actuelle ?

F. A. : Dénoncer et réagir au cas par cas ne suffit plus ! Il est plus productif d’être proactif et que les énergies se cumulent pour mettre en place les alternatives qui apporteront le « plus » nécessaire dans ce domaine.

En quoi le CFCM peut aider à allonger la liste des mosquées, sachant que le seul décisionnaire est le ministère de l’Agriculture ?

F. A. : Le problème est qu'on ne peut être juge et partie. Quand on parle du CFCM, il faut tenir compte que plusieurs de ses composantes bénéficient d'un privilège historique dans le domaine. Bien sûr, sur le plan légal, rien n'empêche que des demandes soient formulées auprès des autorités concernées pour obtenir cette autorisation ; mais entre le possible et la réalité, le chemin est long.
Nous ne demandons aucun privilège ; en revanche, nous exigeons que ces dossiers ne soient plus passés sous un silence concerté.

Certains vous reprochent de vouloir bloquer la charte, car vous souhaiteriez que la mosquée de Lille, affiliée à votre fédération, soit reconnue. Est-ce le cas ? Que répondez-vous à cette affirmation ?

F. A. : Cela fait partie des campagnes de diversion. A aucun moment, nous n'avons fait une telle demande au sujet de la mosquée de Lille, ni d'autres de nos mosquées.

Pensez-vous que le CFCM est l’institution la plus légitime pour qu’un label « cfcm-halal » soit apposé à tout produit halal en France ? Halal Services* serait-il prêt à faire partie des organismes de contrôle halal signataires de la charte ?

F. A. : C'est le souhaitable, mais nous sommes loin de cet objectif. Le CFCM a d'abord besoin d'une réforme en profondeur, avant de s'atteler à des dossiers qu'il risque de ne pas maîtriser sur la longue durée.



* Halal Services est un organisme associatif, né en 2007 et dépendant de l'UOIF, de contrôle et de certification halal. Lire l'interview des responsables de Halal Services ici.