Les quatre acteurs forment une équipée délirante. De g. à dr. : Mourade Zeguendi (Mounir), Nader Boussandel (Hassan), Monir Aït Hamou (Aziz) et Julien Courbey (Franck).
Saphirnews : Au vu de votre parcours scolaire, vous n’étiez pas prédestiné à faire du cinéma. Qu’est-ce qui vous a amené à faire ce film ?
Nabil Ben Yadir : J’ai commencé à écrire l’histoire des Barons il y a une dizaine d’années. J’ai toujours voulu écrire, faire du cinéma. Mais on m’a imposé un parcours scolaire qui n’a pas été celui que je voulais. J’ai toujours voulu faire des études artistiques, mais on m’a toujours refusé l’accès aux cours.
Pourquoi vous a-t-on refusé l’accès ?
Nabil Ben Yadir, réalisateur du film « Les Barons »
N. B. Y : J’aime beaucoup dessiner. Pour vous raconter l’anecdote, j’avais été voir le conseiller d’orientation pour qui j'avais fait un dessin. Il m’avait dit : « S’il manipule aussi bien ce crayon qu’un tournevis, il ferait un excellent mécanicien. » [Rires] J’ai donc suivi des études de mécanique. Je suis diplômé d’électromécanique. Je n’ai pas pu faire les études que je voulais, même si j’ai vraiment essayé de m’inscrire dans des écoles d’art.
Sans vouloir entrer dans la paranoïa − loin de là −, j’ai l’impression que certaines personnes ont peut-être une image de nous qui veut qu’on devienne comme nos parents, à savoir des ouvriers spécialisés. Ce qui n’est pas du tout mon ambition. Si on voit un gosse dont le rêve est de réparer les machines à laver, qu’on me le montre et qu’on le photographie parce que c’est rare !
J’ai fait mon parcours de mécanicien, j’ai continué à écrire de mon côté. Puis j’ai fait des rencontres, réalisé un court-métrage (Sortie de clowns, en 2005, ndlr), fait d’autres rencontres et j’ai pu monter ce film.
Mais avant, cela restait de l’ordre de l’inimaginable, de l’impossible. Si on m’empêche de faire du dessin à l’école, comment peut-on me donner les moyens de faire un film ? J’ai toujours fonctionné au feeling : si mes projets aboutissent, tant mieux ; sinon, ce n’est pas grave. J’avais ce côté « no stress », je ne me prenais pas la tête. C’est de cette manière que s’est fait le film.
Sans vouloir entrer dans la paranoïa − loin de là −, j’ai l’impression que certaines personnes ont peut-être une image de nous qui veut qu’on devienne comme nos parents, à savoir des ouvriers spécialisés. Ce qui n’est pas du tout mon ambition. Si on voit un gosse dont le rêve est de réparer les machines à laver, qu’on me le montre et qu’on le photographie parce que c’est rare !
J’ai fait mon parcours de mécanicien, j’ai continué à écrire de mon côté. Puis j’ai fait des rencontres, réalisé un court-métrage (Sortie de clowns, en 2005, ndlr), fait d’autres rencontres et j’ai pu monter ce film.
Mais avant, cela restait de l’ordre de l’inimaginable, de l’impossible. Si on m’empêche de faire du dessin à l’école, comment peut-on me donner les moyens de faire un film ? J’ai toujours fonctionné au feeling : si mes projets aboutissent, tant mieux ; sinon, ce n’est pas grave. J’avais ce côté « no stress », je ne me prenais pas la tête. C’est de cette manière que s’est fait le film.
Au départ, vous vouliez faire un film plutôt sérieux, mais « Les Barons » est finalement une comédie avec sa touche dramatique. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
N. B. Y : Au début de l’écriture, ce n’était même pas une comédie mais, au fur et à mesure, j’en avais marre parce que je commençais à raconter des conneries dans mon film qui finissaient par ressembler à ceux qui représentent un peu les banlieues.
Je n’ai aucune référence cinématographique belge par rapport aux quartiers populaires. Toutes mes références étaient françaises. À un moment donné, j’ai dit stop. On peut raconter nos histoires à notre manière avec de l’humour et sans entrer dans le misérabilisme ni la victimisation. C’est le cadre dans lequel les autres nous voient bien.
Je n’ai aucune référence cinématographique belge par rapport aux quartiers populaires. Toutes mes références étaient françaises. À un moment donné, j’ai dit stop. On peut raconter nos histoires à notre manière avec de l’humour et sans entrer dans le misérabilisme ni la victimisation. C’est le cadre dans lequel les autres nous voient bien.
Vouliez-vous donner une autre image des quartiers ?
N. B. Y : Pas une autre, mais une vraie image des quartiers. Montrer une réalité qui est occultée par les médias. La vraie réalité, c’est que les jeunes des quartiers ne sont pas des drogués, des violents, des terroristes comme tout le monde voudraient bien nous définir, ce qui est ridicule. Seulement, c’est une réalité qui n’est pas sensationnelle, donc ça ne passe pas à la télé ni au cinéma. Pour ma part, j’ai voulu faire un film « glandeur, philosophe et poète », sans surenchérir et entrer dans le sensationnel.
Vous vous êtes fondé sur votre vie personnelle pour réaliser ce film. D’ailleurs, il a été tourné dans votre quartier. À quels personnages vous identifiez-vous ?
N. B. Y : Moi, Nabil Ben Yadir, qui va sortir de son quartier pour faire un film, c’est ce que Hassan [le personnage principal du film, ndlr] finalement fait quand il fait son spectacle. C’est vraiment la même histoire. J’ai été Hassan quand je me posais des questions de savoir si c’était bien de faire un film, à quoi ça va servir, si j’ai du talent et si ce n’est pas plutôt mon quartier qui avait du talent… tout ce questionnement que s’est posé Hassan avant d’arriver à faire de la scène. Avant de devenir Hassan, j’ai été Mounir. La philosophie des Barons était ma philosophie de vie avant ce film. Même pendant sa réalisation, j’ai été un peu baron. Je ne le suis plus aujourd’hui, puisque je voyage, je cours un peu partout pour faire la promo du film, contrairement aux barons !
À travers Hassan, on découvre ainsi que la pression sociale est aussi forte pour les femmes que pour les hommes, au vu des pressions que lui met sa famille…
N. B. Y : La première pression de Hassan, c’est Hassan. C’est lui qui n’ose pas dire, qui n’ose pas affronter. La peur de décevoir le père, la peur d’être considéré comme un traître dans le quartier, de quitter sa bande… Quand on a l’habitude de tout faire ensemble, partir seul faire ses projets est considéré comme une évasion.
La deuxième pression de Hassan, ce n’est pas sa culture ni sa communauté, c’est son quartier, ses potes. C’est toute cette vie dont il doit s’affranchir. Cette vie avec des potes où il ne fout rien de ses journées, où il partage ses Nike et la BM. Il doit juste passer à l’âge adulte et prendre des responsabilités. Prendre ses responsabilités, c’est faire des choix et ce qui arrive à Hassan comme à moi. Hassan ne fait jamais les bons choix en premier, il ne les fait que plus tard.
La deuxième pression de Hassan, ce n’est pas sa culture ni sa communauté, c’est son quartier, ses potes. C’est toute cette vie dont il doit s’affranchir. Cette vie avec des potes où il ne fout rien de ses journées, où il partage ses Nike et la BM. Il doit juste passer à l’âge adulte et prendre des responsabilités. Prendre ses responsabilités, c’est faire des choix et ce qui arrive à Hassan comme à moi. Hassan ne fait jamais les bons choix en premier, il ne les fait que plus tard.
Quel portrait de l’islam dans les quartiers avez-vous voulu dresser pour le film ?
N. B. Y : Entre ce que les gens disent de l’islam et ce que je vois, il y a un océan de différences. Dire que tous les quartiers populaires dont la plupart des habitants sont des musulmans d’origine maghrébine sont des poudrières, ça me fait bien rire. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que ma mère est une intégriste, mon père un terroriste et mon quartier une cellule dormante qui va se réveiller un jour ? C’est ridicule. Les médias grossissent les traits, alors que les problèmes qui existent ne sont pas dus aux religions, quelles qu’elles soient, y compris l’islam.
Dans ce film, la religion joue un rôle mineur dans la vie de ces jeunes. Elle n’est réduite qu’à de simples pratiques « culturelles », à savoir la non-consommation d’alcool et de porc…
N. B. Y : Certains jeunes confondent religion et traditions. Certains feront le Ramadan pour faire plaisir à leurs potes ou parce que la famille le fait. Ils ne font le Ramadan que par pur côté culturel. Il n’existe pas qu’un islam dans la réalité, chacun pratique son islam. Mon film raconte l’histoire de jeunes qui glandent et qui vont passer à l’âge adulte. Il ne raconte que quelques mois de leurs vies. Peut-être que l’islam jouera un rôle plus tard dans leurs vies mais, en tout cas, ce n’est pas une question qu’ils se sont posée à ce moment précis. C’est vrai que ce n’est pas une question dont on parle vraiment en profondeur. Peut-être dans un prochain film.
Considérez-vous alors le personnage de l’imam comme simplement symbolique ? Quels personnages percevez-vous comme incontournables dans la vie des quartiers ?
N. B. Y : Dans Les Barons, c’est un personnage symbolique, car il n’est là que pour les fiançailles et sceller l’acte de mariage, pas pour discuter.
Dans les incontournables, il y a Lucien, l’épicier qui est un peu le phare du quartier, le Belge rescapé, resté dans le quartier et qui est comme un deuxième père pour Aziz ; RG, Renseignements Généraux, interprété par Fellag, incontournable car il sait tout sur tout du quartier, le téléphone arabe ambulant qui reste à la fenêtre pour tout savoir ; et bien sûr Franck Tabla, un mec qui veut être celui qu’il ne sera jamais au-delà du baron. C’est un renégat qui a toujours une saison de retard. On connaît tous un Franck Tabla dans les quartiers, une personne qui veut vous ressembler mais on ne sait pas pourquoi, on ne connaît pas ses projets.
Dans les incontournables, il y a Lucien, l’épicier qui est un peu le phare du quartier, le Belge rescapé, resté dans le quartier et qui est comme un deuxième père pour Aziz ; RG, Renseignements Généraux, interprété par Fellag, incontournable car il sait tout sur tout du quartier, le téléphone arabe ambulant qui reste à la fenêtre pour tout savoir ; et bien sûr Franck Tabla, un mec qui veut être celui qu’il ne sera jamais au-delà du baron. C’est un renégat qui a toujours une saison de retard. On connaît tous un Franck Tabla dans les quartiers, une personne qui veut vous ressembler mais on ne sait pas pourquoi, on ne connaît pas ses projets.
Vous avez reçu bon nombre de prix, dont le prix œcuménique au Festival d’Amiens en novembre dernier. Pourquoi ? Quel sens a ce prix pour vous ?
N. B. Y : Je suis très content d’avoir reçu ce prix comme n’importe lequel, mais j’ai été aussi très surpris. J’ai trouvé drôle que l’évêque d’Amiens me remette un tel prix. Selon lui, Les Barons est un film tendre qui prône les valeurs familiales, ce qui a touché les membres du jury. J’ai trouvé la démarche intéressante et touchante, mais je ne suis pas rentré dans le détail des raisons qui ont poussé le jury à me choisir car j’ai été le premier surpris ! Si le film a touché l’évêque, alors le film plaira à tous, même aux évêques !
Quel message souhaitez-vous faire passer à travers votre film ?
N. B. Y : C’est dire qu’on est tous les mêmes. On peut s’appeler Aziz, Hassan ou Mounir, on a tous un rêve. On peut rêver d’être artiste et on ne naît pas forcément avec l’envie de devenir des chauffeurs de bus ou des ouvriers spécialisés. À un moment donné, on doit chacun faire ses pas, on ne doit pas s’enfermer dans nos quartiers, dans nos banlieues. Tout nous appartient. La France aux Français, la Belgique aux Belges et que les gars des quartiers soient Belges ou Français, on est tous égaux.
J’aborde les tabous mais toujours dans le sens de l’humour. Ce n’est pas un film qui donne des leçons mais qui effleure certaines questions sans remise en question. Je raconte mon histoire à ma manière.
* À l’affiche de nombreux festivals, le film, réalisé par Nabil Ben Yadir, s’est vu décerné le Prix du public du Festival international du film d’Amiens 2009 ainsi que le Prix d’interprétation masculine pour Nader Boussandel, alias Hassan, le personnage principal du long-métrage. Dernièrement, Les Barons s’est vu attribué le Prix du Jury de la 9ème édition du Festival international du film de Marrakech.
J’aborde les tabous mais toujours dans le sens de l’humour. Ce n’est pas un film qui donne des leçons mais qui effleure certaines questions sans remise en question. Je raconte mon histoire à ma manière.
* À l’affiche de nombreux festivals, le film, réalisé par Nabil Ben Yadir, s’est vu décerné le Prix du public du Festival international du film d’Amiens 2009 ainsi que le Prix d’interprétation masculine pour Nader Boussandel, alias Hassan, le personnage principal du long-métrage. Dernièrement, Les Barons s’est vu attribué le Prix du Jury de la 9ème édition du Festival international du film de Marrakech.