Politique

France − États-Unis : L'Oncle Sam forme nos élites politiques des banlieues

Diversité et politique, un mariage de raison

Rédigé par Gwénola de Coutard | Mardi 8 Juin 2010 à 13:37

Comment s’attirer des sympathisants, pour conquérir le pouvoir ? Pour aider les jeunes talents politiques des banlieues à répondre à cette question, l’ambassade américaine et la French-American Foundation France ont organisé, vendredi 4 et samedi 5 juin, un séminaire de formation, suivi par 70 responsables associatifs et élus de la diversité.



Les étapes essentielles d'une communication réussie, vues par Vincent Ducrey, devant 70 élus et responsables associatifs de la diversité, invités par l'ambassade des États-Unis et la French-American Foundation.
« Ici, j’ai la confirmation de ce que je ressentais sur le terrain. Par exemple, qu’il vaut mieux privilégier le face-à-face aux envois de mails ou aux coups de téléphone : on a environ trente fois plus de chances de gagner ainsi une voix. » Jusque-là, Yassine Ayari, 31 ans, s’était surtout formé « sur le tas » grâce à ses qualités d’ingénieur et son engagement de longue date dans diverses associations d’aide scolaire, de banque alimentaire et de mobilisation citoyenne.

Originaire de Tunisie, né en France, il est depuis peu responsable du groupe local des Verts de l’agglomération du Val-de-France, qui regroupe plusieurs communes du Val-d’Oise : Villiers-le-Bel, Sarcelles, Arnouville-lès-Gonesse et Garges-lès-Gonesse. « L’année dernière, j’ai ressenti la nécessité d’intégrer un parti, pour être plus efficace, confie-t-il. Mais même chez les Verts, c’est difficile de se faire accepter quand on est issu d’une minorité. Ils ont beau venir des classes moyennes, ces gens-là ne vont pas dans les banlieues. »

Alors, comme 70 autres élus locaux ou responsables associatifs, il a accepté de participer au séminaire « Comment construire sa base », vendredi 4 et samedi 5 juin, à la mairie du XIIe arrondissement, à Paris.

Stratégie d'influence américaine

Organisé par l’ambassade des États-Unis et la French-American Foundation, l’événement vise à donner des outils à des jeunes talents de la diversité. Un élément, parmi tant d’autres − des séjours aux États-Unis / sont ainsi régulièrement proposés aux meilleurs éléments −, qui témoigne de la stratégie d’influence américaine, qui veut dénicher dans les banlieues les futures élites françaises.

« Nous avions remarqué que la diversité fleurissait en France au niveau local, mais que des gens pourtant talentueux avaient du mal à franchir cette étape. Alors nous avons proposé aux partis politiques et à des réseaux de la diversité (Graines de France, FOJIM, Emergence ,l’ANELD*) de nous envoyer quelques candidats, pour les former lors de ce séminaire », explique Lora Berg, l’attachée culturelle de l'ambassade américaine.

« L’an dernier, la première édition survolait les différentes composantes d’une campagne électorale. Cette fois-ci, nous avons choisi de rentrer davantage dans les détails techniques », ajoute Janet Steinmetzer, de la French-American Foundation France.

Le secret : la proximité

Comment motiver ses troupes, monter une campagne en ligne, faire venir les journalistes ? Autant de questions auxquelles ont répondu les intervenants, parmi lesquels trois Américains, membres du Parti démocrate, qui ont aidé Barack Obama à gagner la présidentielle il y a deux ans. Karen Finney s’était alors occupée de la communication.

« Les gens sont de plus en plus cyniques vis-à-vis des messages politiques, fait observer cette Afro-Américaine au parcours brillant. C’est pourquoi il faut leur parler avant tout de valeurs, et des problématiques qui les touchent personnellement. Être un bon candidat, c’est être à l’écoute, être proche. Tout le monde préfère être informé par un ami que par un journal ou une télé ! »

Cornell Belcher, lui, est sondeur. Il insiste sur l’organisation de la « base », ce réseau de sympathisants, thème central du séminaire. « Le pouvoir n’est jamais donné, il se prend. Et pour cela, il faut savoir créer une communauté, dans laquelle les idées ne viennent pas uniquement du haut vers le bas. Le but, c’est de créer une interaction. »

Pour y arriver, Vincent Ducrey, auteur d’un « Guide de l’influence », pense qu’il est indispensable d’avoir un flux personnel, où poster des messages écrits, audio ou vidéo. « Cela peut-être un blog, un profil Twitter ou Facebook, mais l’essentiel est d’être visible, et de montrer qu’on est un "couteau-suisse", à l’aise dans tous les médias et formats, et que les gens puissent réagir », conseille cet autodidacte qui a grimpé les échelons de l’UMP jusqu’à devenir, à 32 ans, conseiller Internet du gouvernement.

Ces bonnes recettes, si encourageantes, sont-elles vraiment applicables en France, où, comme l’ont montré les dernières régionales, les élus de la diversité peinent toujours à s’imposer ?

Pour Karen Finney et Cornell Belcher, les différences leur pays et le nôtre sont minimes. « Certes, en France, vous avez peut-être un peu plus de réticences à ranger les gens par groupes, ce que nous faisons sans problèmes lorsque nous cherchons à capter les votes des Hispano-Américains ou des femmes. Mais c’est important de bien savoir à qui on parle, ce n’est pas réducteur », selon Karen Finney.

« Malgré notre histoire, nous avons réussi à élire un président noir. Alors, vous pouvez bien le faire aussi ! », conclut Cornell Belcher. En tout cas, si ce scénario se réalise un jour, il est peu probable que l’heureux élu soit anti-américain...


* Graines de France a été fondé en octobre dernier, par Reda Didi ; le FOJIM (Forum de la jeunesse issue des migrations), a été créé en 2006 par des acteurs du codéveloppement ; Emergence est une liste indépendante, qui s'était présentée en Île-de-France lors des dernières régionales ; l'ANELD (Association des élus locaux de la diversité) a été fondée par Kamel Hamza début 2009.