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Points de vue

Gaza : la famille et l’école, sources de protection pour des enfants profondément traumatisés

Rédigé par Ziad Medoukh | Mardi 25 Mars 2025 à 17:15

           


© Ziad Medoukh
© Ziad Medoukh
Mardi 18 mars 2025, à l’aube, alors que les habitants dormaient, l’occupation a entièrement rompu une trêve fragile et régulièrement violée, en bombardant partout dans la bande de Gaza, provoquant la mort de 425 Palestiniens dont 175 enfants et 95 femmes. (Près de 800 personnes ont été tuées, selon les autorités locales, depuis le 18 mars, ndlr.)

La situation est toujours dramatique et tragique pour les 2 400 000 Palestiniens de Gaza horrifiés et effrayés. Rien ne semble changer, on attend toujours une solution politique.

Les passages sont complètement fermés depuis plus de trois semaines. Plus rien ne passe par ordre militaire de l’occupation. Il n’y a pas d’eau potable, ni de gaz. On doit cuisiner au bois mais il est devenu presque introuvable. On ne trouve rien sur les marchés et les prix ont flambé en ce mois du Ramadan. La vie quotidienne est donc toujours aussi dramatique pour la population de Gaza.

Ici, je vais parler des enfants de Gaza qui, comme l’ensemble de la population, souffrent au quotidien. Comme pour les femmes et les jeunes, leurs vies ont profondément changé et ils ont aujourd’hui un rôle différent de ce qu'il était dans la société palestinienne d'avant le 7-Octobre.

Un bilan provisoire terrible

Les enfants sont profondément traumatisés. Ils sont sous le choc de ce qu’ils ont vu et vécu. Ils souffrent au quotidien. Quelques chiffres en témoignent. Environ 17 600 enfants palestiniens de moins de 14 ans ont été assassinés depuis octobre 2023. Dans ce triste lot, on compte 250 nouveau-nés et 900 enfants de moins d’un an.

Près de 36 000 enfants sont orphelins d'un ou de leurs deux parents. Chez nous, il n’y a pas de centre d’accueil prévu pour les orphelins. La famille joue un rôle primordial dans la société palestinienne. Les orphelins sont accueillis chez une tante, un oncle, les grands-parents, des proches. Il y a la petite famille et la grande famille, c’est un aspect très important à souligner. La solidarité familiale est très forte chez nous. Cette source de protection familiale a sauvé les enfants qui avaient tout perdu.

Actuellement, 40 000 enfants souffrent de malnutrition. L’hiver est très froid. Les maisons n’ont plus de fenêtres, plus de porte. Il n’y a aucun moyen de chauffage. Pour les personnes déplacées vivant dans les tentes, la situation est pire encore. 14 enfants sont morts de froid entre janvier et mars 2025.

Aussi, 12 000 enfants malades auraient besoin de soins urgents à l’étranger. Malheureusement, beaucoup d’enfants sont déjà morts à cause de la faillite de système de santé.

Depuis le 7 octobre 2023, les enfants - comme toute la population palestinienne de Gaza - vivent dans l'inquiétude, l'angoisse, la peur. Les enfants font partie de la catégorie la plus durement touchée.

Pendant les 17 mois d’agression, la souffrance a été quotidienne. La période a été particulièrement difficile. Il y a eu les déplacements forcés et la situation humanitaire qu’ils ont vécue dans les centres d'accueil ou sous des tentes déchirées et abîmées, dans le froid et la pluie. Les enfants ont été traumatisés, réveillés la nuit par les bruits des drones et des bombardements. Certains souffrent encore aujourd’hui de graves troubles psychologiques.

Autre aspect dramatique, les enfants ont vu beaucoup de leurs parents, d’autres membres de leur famille ainsi que leurs amis assassinés sous leurs yeux. Ils ont aussi vécu l’arrivée des chars et des blindés et assisté à la destruction complète leurs maisons, de leurs quartiers, de leurs écoles, des stades et des centres de loisirs. Les enfants ont vécu des choses dramatiques, avant le cessez-le-feu.

Des changements d’habitudes qui font grandir les enfants trop rapidement

Entre octobre 2023 et octobre 2024, il n’y a pas eu de cours. C’est une année scolaire qui a été perdue. Au lieu d’aller à l’école ou de jouer devant leur maison ou dans leur quartier, les enfants étaient obligés de rester avec leur famille ou dans les centres d’accueil. Ces événements ont provoqué un changement de comportement et dans leurs habitudes.

Les enfants ont dû accomplir de nouvelles tâches pour leur famille. Tout d’abord, le matin, aller chercher de l'eau potable et de l’eau domestique dans les citernes qui passent dans les quartiers une ou deux fois par semaine à la suite de destructions de puits. Ensuite, accompagner leurs parents au marché pour trouver de la nourriture. Puis, trouver du bois pour la cuisine. Enfin, aller recharger les portables dans les lieux où se trouvent des panneaux solaires. Les journées étaient difficiles pour les enfants. Ils n’avaient pas de loisirs et peu de temps pour jouer.

Ces changements d’habitudes et ces nouvelles tâches expliquent que, pendant cette période dramatique, les enfants sont devenus adultes et responsables. Ils ont pris conscience du nouveau rôle très important qu’ils avaient à jouer dans la famille. Privés d’école, de jeu, de nourriture, de médicaments, de soin, ils ont été obligés de s’adapter et d’avoir un comportement responsable vis-à-vis de la famille. Leurs mères avaient besoin de leur aide.

Personnellement, je suis en contact au quotidien avec des enfants pour des activités d'animation et de soutien psychologique organisées par des jeunes bénévoles pour les enfants de Gaza. Soit je suis l’évolution des centres éducatifs ou les tentes éducatives, soit je vais dans les associations de la société civile qui offrent des activités et des services aux femmes et aux enfants.

Je constate que trois éléments ont aidé les enfants à tenir dans cette situation terrible et les ont fait grandir : la famille, l’école et les associations qui offrent leurs services aux femmes, aux jeunes et aux enfants.

Les jeunes enfants ont remarqué et apprécié le rôle très important des femmes, leurs mères ou leurs sœurs en l’absence des pères ou des frères, assassinés, blessés, disparus ou emprisonnés. Les jeunes ont compris tous les efforts qu’ils doivent fournir pour s’occuper de tout dans la maison. Tous ces changements ont rendu les enfants plus rapidement adultes.

Des aspects positifs malgré tout

J’ai remarqué personnellement des changements dans le comportement lors d’activités d’animation et de soutien psychologiques pour les enfants avec les jeunes bénévoles, notamment les jeunes francophones.

D’une part, ils sont devenus moins violents. On s’attendait à ce que les enfants traumatisés soient violents, ce ne fut pas le cas. C’est le résultat du travail des familles, du soutien des enseignants et des associations.

Deuxième aspect positif, les enfants sont devenus sages et responsables. Ils ne font pas beaucoup de bruit pendant les cours. Ils sont plus disciplinés.

Troisième aspect positif, j’ai remarqué, dans les discussions que j’ai avec eux, que les enfants parlent moins de la mort, de l’assassinat de membres de famille, de la destruction de leur maison. Quand on fait des ateliers de dessin aujourd’hui, ils dessinent l’espoir, la paix, les oliviers, la mer… ils ont la nostalgie de la mer. Ils dessinent la vie qui reprend, la réouverture des restaurants dans leur quartier. Ils utilisent des couleurs claires alors qu’avant, ils utilisaient beaucoup le noir et les couleurs foncées. On voit moins de chars, de blindés ou d’avions militaires et de morts.

Les enfants sont devenus adultes, ils ont pris conscience de leur rôle et de leurs responsabilités, ils sont moins violents et gardent l’espoir pour l’avenir. Ces éléments montrent que le travail d’accompagnement, de soutien et de protection par la famille, l’école et les associations porte ses fruits. Des structures grâce à qui on peut dire qu’une grande partie des enfants commencent à surmonter leurs traumatismes profonds.

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Ziad Medoukh est professeur et directeur du département de français de l’université Al-Aqsa de Gaza.

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