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Génocide au Rwanda : ce que dit le rapport Duclert des responsabilités « lourdes et accablantes » de la France

Rédigé par Myriam Attaf et Lina Farelli | Mercredi 7 Avril 2021 à 11:31

Quelques jours avant la Journée Internationale de réflexion sur le génocide au Rwanda le 7 avril, un rapport remis à Emmanuel Macron éclaire le rôle et l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Il pointe les lourdes responsabilités de l’Etat français face à l'entreprise d'extermination des Tustis tout en soulignant l'absence de complicité de génocide.



La France n'est pas « complice » du génocide au Rwanda en 1994 mais les responsabilités de la France au plus haut niveau dans les multiples dérives qui ont mené au fait génocidaire sont « lourdes et accablantes ». C'est ainsi que pourrait être résumé le rapport de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, présidée par l’historien Vincent Duclert.

Son rapport, « le résultat de deux années de travail dans les fonds d’archives français et d’écriture collective de la recherche », a été remis au président de la République vendredi 26 mars, quelques jours avant la 27e commémoration du génocide. Dans ce document de 1 000 pages qui revient sur l’implication de la France dans un génocide qui a entrainé la mort de près d'un millions de Tutsis et de Hutus modérés au Rwanda, la commission démontre que, si la France n’a pas participé activement au génocide, elle a fait preuve de d’inaction, voire même de complaisance.

Le soutien français au pouvoir rwandais mis en cause

Ainsi, elle relève les responsabilités politiques, morales, institutionnelles, éthiques et intellectuelles de la France dans une situation qui préparait au génocide des Tutsi en 1994, démontrant que les autorités françaises avaient connaissance des violences qui se déroulaient dans plusieurs villes du pays. « Tous ces événements, assez bien observés par les représentants français à Kigali, constituent autant de signaux d’alarme du génocide en préparation », fait savoir la commission, évoquant en exemple le meurtre de deux responsables du Parti social-démocrate rwandais (PSD) ou encore des passes d’armes sanglantes entre les forces armées rwandaises, soutenues par l’Etat français, et le Front Patriotique du Rwanda (FPR), autre parti d’opposition.

Le rapport révèle parallèlement qu’au plus fort de la crise, et alors que l'Hexagone se chargeait de ramener ses ressortissants sur le territoire, l'Etat français n'ont pas pris d'emblée des mesures pour venir en aide aux victimes rwandaises : « L’évacuation des personnes rwandaises menacées n’est d’emblée pas une priorité pour les autorités françaises qui supervisent l’opération Amaryllis. Non envisagé dans les intentions initiales de l’intervention française, le sort de ces personnes grandement menacées, et notamment les Tutsi, n’est véritablement soulevé qu’une fois l’évacuation des ressortissants français achevée. »

Vincent Duclert
Outre cette passivité, la commission met aussi en cause la nature des relations entre François Mitterrand, président aux moment des faits, et le dirigeant rwandais d’alors, Juvénal Habyarimana.

« Un élément surplombe cette politique : le positionnement du président de la République, François Mitterrand, qui entretient une relation forte, personnelle et directe, avec le chef de l'État rwandais. Cette relation éclaire la grande implication de tous les services de l’Élysée », lit-on dans le rapport, observant à l’aune des fouilles d’archives que « les demandes de protection et de défense du président rwandais sont toujours relayées, entendues et prioritaires ».

Une position qui amène la France à ne plus considérer le processus de démocratisation du pays comme une priorité et à n’accorder « que très progressivement de l’intérêt aux partis d’opposition qui se créent en 1991 et qui contestent le pouvoir du président Habyarimana. Elle ne leur apporte pas toujours le soutien nécessaire aux moments décisifs. »

Affronter le passé pour se libérer des traumatismes

« La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l'entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. La France s’est néanmoins longuement investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime » conclut la commission Duclert, avant de pointer du doigt « des responsabilités lourdes et accablantes ».

« Ces responsabilités sont politiques dans la mesure où les autorités françaises ont fait preuve d’un aveuglement continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent », signifie-t-on. « Dans le même temps, aucune politique d’encouragement à la lutte contre l’extrémisme hutu et de déracialisation de l’état n’est décidée, en dépit des alertes lancées depuis Kigali, Kampala ou Paris. Nulle réponse n’est donnée non plus aux demandes de négociations directes du FPR dont la perception demeure enfermée dans des catégories ethno-nationalistes. »

« Au constat de ces responsabilités institutionnelles s’ajoutent des responsabilités intellectuelles qui, cumulées, font système et témoignent d’une défaite de la pensée. (...) Les responsabilités éthiques concernant l’action politique mettent gravement en question des décisions au plus haut niveau qui ont méconnu les événements y compris quand toute l’information était disponible », estime-t-elle encore. Avant d'ajouter : « Affronter le passé en acceptant les faits de vérité qu’il transmet est la seule voie pour se libérer des traumatismes et des blessures. Les enseignements de l’histoire ne doivent pas être combattus, ils permettent au contraire la paix et le souvenir, ils redonnent de l’honneur et de la dignité quand vient ce temps de la conscience, de la connaissance de toute la réalité du monde. La réalité fut celle d’un génocide, précipitant les Tutsi dans la destruction et la terreur. Nous ne les oublierons jamais. »

L'accusation de complicité aux oubliettes ?

Les conclusions du rapport n’ont cependant pas fait l'unanimité, à l'instar de Survie, l’association de lutte contre la Françafrique. Ses militants dénoncent un rapport qui ne mentionne pas l’accusation de « complicité de génocide » au motif que « l’intention génocidaire » du régime rwandais de l’époque « n’était pas partagée par Paris ».

« La commission se permet ainsi de conclure "responsable mais pas coupable", au sujet d’une complicité qu’elle a par ailleurs évité d’aborder en ne travaillant que sur les archives. A ce titre, elle fait pire que la mission d’information parlementaire de 1998, qui avait déjà contribué, dans un exercice similaire, à masquer la complicité de l’Etat français », indique-t-elle.

Pour la commission Duclert, « l’historien doit cependant faire preuve d’humilité et souligner les limites de son travail. Certains documents ont sans doute échappé à la Commission, qu’ils aient disparu ou qu’ils n’aient jamais été déposés dans des centres d’archives publiques ». « Les archives publiques françaises ne suffisent pas, à elles seules, à rendre compte de façon exhaustive de l’histoire du rôle et de l’engagement de la France au Rwanda. Il faudrait, pour parvenir à une compréhension vraiment complète de ces cinq années, avoir recours, en France, aux archives de la société civile (associations, ONG, partis politiques) et, pour l’étranger, aux archives de la Belgique, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, des États-Unis, du Saint-Siège, et des pays africains dont, bien sûr, le Rwanda », fait-elle part.

Dans une tribune publiée par Le Monde le 31 mars, l'écrivain Patrick de Saint-Exupéry salue, pour sa part, un travail obligeant la France à se confronter « brutalement » à la réalité historique. « Voilà donc tout un pays brutalement confronté à une vérité jusqu’ici niée depuis près de 30 ans par une poignée d’hommes d’Etat qui tentaient d’esquiver leurs responsabilités en se drapant dans "l’honneur" d’une nation, la patrie des "droits de l’homme", pour construire, année après année, un discours négationniste, pas après pas, comme on bâtissait un château de cartes mensonger. C’est ce château de cartes que le rapport Duclert a écroulé. »

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