Une mosquée ibadite de Djerba. © Axel Derriks
Ni sunnite, ni chiite, l'ibadisme est un courant pacifique de l'islam hérité du kharidjisme, apparu au VIIe siècle après le refus d'un groupe de musulmans de choisir entre les clans d'Ali et de Muawiya après la bataille de Siffin en 657. C'est dans le sultanat d'Oman que vivent aujourd'hui la majorité des ibadites, qui constituent au total, dans le monde, à peine 1 % des musulmans. Des minorités continuent de subsister au Maghreb, en particulier sur l'île tunisienne de Djerba.
De quelle façon avez-vous découvert les Ibadites ?
Axel Derriks : En 2009, une agence de voyage ouvrait une ligne internationale de Paris-Orly vers Timimoun, en Algérie. C’est dans ce contexte que je fus invité parmi d’autres auteurs, photographes, bloggeurs et voyageurs pour mettre en valeur la destination. Ce voyage me donnait l’occasion de découvrir une région méconnue de l’Algérie, mais je comptais surtout profiter des quelques dunes de la région pour enrichir mon stock de photos sur le désert. Deux autocars avaient été affrétés par l’office du tourisme. Le moins jeune est tombé malencontreusement en panne au bout d’une centaine de kilomètres. C’est donc dans la bétaillère d’un sympathique éleveur bovin que nous avons continué les 200 km de route restants vers Ghardaïa, la vallée du Mzab. Je dois dire que je n’avais, à ce moment, aucune idée de ce qui m’attendait. C’était si harmonieux que c’en était reposant. L’équilibre parfait entre une religion, une culture et une société se traduisait merveilleusement bien dans son architecture.
La pensée ibadite me fascinait et me fascine encore toujours. C’est très rationnel, c’est du bon sens. Rien n’y est laissé au hasard et le résultat est une architecture essentielle qui a inspiré des grands noms tel que Le Corbusier et André Ravéreau. Considérant que les ibadites représentent 1 % de musulmans, je trouve que ça a beaucoup de sens de mettre en avant les aspects plus positifs d’une minorité religieuse. De plus, je ne parle pas tant religion. Je parle patrimoine, culture et histoire. Mais, entre-temps, j’ai vite réalisé que le sujet ne méritait pas d’être abordé à la légère. Cette histoire était trop importante pour laisser un amateur raconter des bêtises.
La pensée ibadite me fascinait et me fascine encore toujours. C’est très rationnel, c’est du bon sens. Rien n’y est laissé au hasard et le résultat est une architecture essentielle qui a inspiré des grands noms tel que Le Corbusier et André Ravéreau. Considérant que les ibadites représentent 1 % de musulmans, je trouve que ça a beaucoup de sens de mettre en avant les aspects plus positifs d’une minorité religieuse. De plus, je ne parle pas tant religion. Je parle patrimoine, culture et histoire. Mais, entre-temps, j’ai vite réalisé que le sujet ne méritait pas d’être abordé à la légère. Cette histoire était trop importante pour laisser un amateur raconter des bêtises.
Comment avez-vous rencontré Virginie Prévost avec qui vous avez co-réalisé ce livre ?
Axel Derriks : C’était en 2010. Afin de tester en quelque sorte mon coup de cœur pour le sujet, je me suis rendu quelques jours à Djerba dans la foulée de la première expérience. Je me suis pris à jouer le photographe des mosquées ibadites. Ça confirmait mon coup de cœur pour ce patrimoine. Mais la chose la plus précieuse que j’ai ramenée de ce premier passage à Djerba est la carte de visite de Virginie Prevost. Nous étions liés par une même passion dont elle est certainement une des spécialistes les plus engagées. Ses connaissances alliées à mes images allaient pouvoir s’unir au service de ce patrimoine.
Deux mois plus tard, on était en Libye, dans le Jebel Nafûsa. Virginie s’est vite avérée aussi à l’aise sur le terrain que dans ses bibliothèques. Moi, je n’avais plus qu’à me concentrer sur l’image et photographier tous les sujets soigneusement sélectionnés par elle. En 2011, je complétais ma collection de zones ibadites avec un reportage à Oman, sans Virginie, mais avec un carnet de route soigneusement préparé par elle.
Deux mois plus tard, on était en Libye, dans le Jebel Nafûsa. Virginie s’est vite avérée aussi à l’aise sur le terrain que dans ses bibliothèques. Moi, je n’avais plus qu’à me concentrer sur l’image et photographier tous les sujets soigneusement sélectionnés par elle. En 2011, je complétais ma collection de zones ibadites avec un reportage à Oman, sans Virginie, mais avec un carnet de route soigneusement préparé par elle.
Comment vous est venue l’idée de photographier les mosquées ibadites ?
Axel Derriks : Mes sujets portent généralement sur la société et le patrimoine. Je me suis également consacré à des sujets purement esthétiques, mais je dois admettre que le travail de recherche qui accompagne un sujet documentaire me passionne autant que la simple prise de vue. De plus, un travail plus artistique est compliqué à vendre, les galeries d’art étant des lieux très fermés qui demandent beaucoup d’énergie et de démarchage que je préfère investir dans le travail. Un jour, une galerie me trouvera comme j’ai été trouvé par mon éditeur ici, à Tunis.
Les religieux vous ont-ils laissé photographier les mosquées facilement ?
Axel Derriks : Bonne question ! J’ai eu parfois des difficultés à l’approche de certaines mosquées, mais vu que la majorité des sites que nous documentons sont des mosquées abandonnées ou isolées en pleine campagne, nous y sommes souvent bien reçus. Les anciens nous accueillent généralement très volontiers et nous apprécions les échanges avec eux qui connaissent bien le sujet qui nous anime.
Qu’est-ce que vous aimez le plus photographier ?
Axel Derriks : Très concrètement, j’apprécie les ombres que dessinent les formes très spéciales des mihrabs et des contreforts. J’ai un faible aussi pour des éléments typiques de la mosquée ibadite comme le minaret-escalier, les petits minarets, les clochetons, les pinacles… La manière à laquelle ces éléments se marient et se mélangent compose l’âme de cette architecture vernaculaire. Avec le temps, on apprend à lire aussi l’histoire d’un bâtiment à travers les éléments qui le composent. C’est passionnant.
A force de travailler sur les mosquées, qu’avez-vous observé sur l’entretien des mosquées ?
Mosquée ibadite de Djerba. © Axel Derriks
Axel Derriks : Un vaste sujet ! Mais si important. Pour parler de Djerba, il faut bien comprendre qu’une grande partie des mosquées sont isolées et, de ce fait, sans surveillance. Certaines mosquées ne sont plus en fonction. Elles sont parfois reconverties en bergerie, parfois laissées à l’abandon.
Malgré le travail assidu de l’ASSIDJE (Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba, ndlr) et le travail réalisé par certaines communautés locales pour entretenir « leur » mosquée, les problèmes et les risques de détériorations sont nombreux. Il y a ces « chasseurs de trésors » qui, pour tuer le temps, viennent creuser dans les mosquées en quête d’hypothétiques trésors byzantins. D’autres viennent démonter des éléments de style de cette architecture pour décorer des villas bourgeoises. Il y a le vandalisme, tout simplement, par de jeunes gens ennuyés par trop de café et trop peu de travail. Bien sûr, il y a le temps aussi qui fait que certains sites finissent en ruine, faute d’entretien. Et puis, il y a les influences de courants salafistes qui tendent à détériorer des sites historiques en y implantant des éléments modernes tels la climatisation, des minarets imposants, des fenêtres et des châssis en aluminium.
Malgré le travail assidu de l’ASSIDJE (Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba, ndlr) et le travail réalisé par certaines communautés locales pour entretenir « leur » mosquée, les problèmes et les risques de détériorations sont nombreux. Il y a ces « chasseurs de trésors » qui, pour tuer le temps, viennent creuser dans les mosquées en quête d’hypothétiques trésors byzantins. D’autres viennent démonter des éléments de style de cette architecture pour décorer des villas bourgeoises. Il y a le vandalisme, tout simplement, par de jeunes gens ennuyés par trop de café et trop peu de travail. Bien sûr, il y a le temps aussi qui fait que certains sites finissent en ruine, faute d’entretien. Et puis, il y a les influences de courants salafistes qui tendent à détériorer des sites historiques en y implantant des éléments modernes tels la climatisation, des minarets imposants, des fenêtres et des châssis en aluminium.
Pourquoi avoir voulu publier aux éditions tunisiennes Cérès ?
Axel Derriks : Cela fait cinq ans que je vis en Tunisie. Avec le soutien de l’ambassade de Belgique à Tunis, j’ai obtenu les financements nécessaires pour une exposition. Et l’exposition est devenue un beau livre.
Mais tout cela ne s’est pas passé aussi facilement. L’argent du financement s’est « endormi » chez un partenaire non fiable... Fort heureusement, grâce à la communauté ibadite de Paris, le projet a pu se financer, et le livre existe. Le bruit de mes mésaventures était arrivé jusqu’à l’édition d’Ibadica. Ainsi, de généreux donateurs anonymes m’ont fait parvenir les fonds nécessaires pour concrétiser ce projet. Cela m’émeut encore aujourd’hui.
Je sentais qu’il y avait du monde qui attendait ce livre, c’était très touchant. Cela m’a donné beaucoup de confiance et m’a finalement permis d’être édité par Cérès. On s’est rencontrés en 2016. Le livre est sorti en mars 2018 et a été tiré à 1 800 exemplaires.
Mais tout cela ne s’est pas passé aussi facilement. L’argent du financement s’est « endormi » chez un partenaire non fiable... Fort heureusement, grâce à la communauté ibadite de Paris, le projet a pu se financer, et le livre existe. Le bruit de mes mésaventures était arrivé jusqu’à l’édition d’Ibadica. Ainsi, de généreux donateurs anonymes m’ont fait parvenir les fonds nécessaires pour concrétiser ce projet. Cela m’émeut encore aujourd’hui.
Je sentais qu’il y avait du monde qui attendait ce livre, c’était très touchant. Cela m’a donné beaucoup de confiance et m’a finalement permis d’être édité par Cérès. On s’est rencontrés en 2016. Le livre est sorti en mars 2018 et a été tiré à 1 800 exemplaires.
Quelle suite envisagez-vous ?
Axel Derriks : Une version plus scientifique, plus complète sur le patrimoine ibadite de Djerba est en cours. On travaille aussi sur une nouvelle carte des mosquées de Djerba. Il y a d’autres publications prévues dans la foulée de ce premier beau livre. Un rêve, ça serait de pouvoir proposer un jour un coffret contenant quatre livres, dont le récent Djerba, accompagné de ses sœurs et composé sur le même modèle, présentant le Mzab, le Nafûsa et Oman.
Axel Derriks, Virgine Prevost, Djerba. Les mosquées ibadites, Cérès, 2018, 240 p., 69 dinars (23 €).