Hatem Bazian, co-fondateur de Zaytuna College, première université privée musulmane américaine et directeur du centre de recherches dédié à l’islamophobie à l'Université de Berkeley, Californie.
Hatem Bazian a un CV long comme le bras. Avec le CADIS, l’Américano-Palestinien a été à l’initiative d’un colloque de haute tenue à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) portant sur les enjeux autour de la reconnaissance de l’islamophobie en Europe et aux Etats-Unis les 12 et 13 décembre à Paris. A l'issue de celui-ci, Hatem Bazian a annoncé son intention d'organiser un nouveau colloque en décembre 2014 dans la même institution académique. La série de tables rondes s’est tenue la veille du Forum international contre l’islamophobie, qui avait, lui aussi, été organisé dans la capitale.
Saphirnews : Quelle importance a pour vous et votre centre d’organiser un colloque aussi important sur l'islamophobie en France ?
Hatem Bazian : Le colloque a été organisé sur l'invitation de musulmans de France et je veux souligner ici le rôle particulier de Houria Bouteldja des Indigènes de la République (dont elle est la porte-parole, ndlr) dans notre initiative. Elle a assisté à notre conférence (sur l’islamophobie, ndlr) organisée l’an dernier (en avril 2013, ndlr) à Berkeley, qui a abouti à une résolution déclarant notre soutien et notre solidarité auprès des Français musulmans (lire des extraits plus bas, ndlr). Cette résolution a été unanimement approuvée par l’assemblée. Dès ce moment, nous avons décidé d'organiser des conférences en France traitant de l’islamophobie. Par notre venue ici, notre travail est de contribuer au débat sur l'islamophobie que nous observons, que ce soit sur le hijab (voile), la visibilité musulmane, la nourriture halal ou la charia... toutes ces questions qui problématisent la présence des musulmans dans les sociétés occidentales.
En tant qu’Americain mais aussi expert sur l’islamophobie, quelle est votre vision de la situation en France ?
Hatem Bazian : La France est, pour moi, l’un des cas les plus problématiques car le discours libéral est utilisé comme moyen pour créer des mesures d’exclusion contre un groupe, les musulmans, par la construction d'une altérité incompatible avec cette tradition (libérale). Un tel discours induit des restrictions particulières sur les individus qui affirment leur identité islamique, qui est elle-même vue comme un problème. Les notions de laïcité et de liberté d’expression des individus ont été revisitées par l’Etat pour régir le code vestimentaire des personnes. L’affichage du religieux est au centre du débat en France... Aux Etats-Unis, nous faisons face à une autre forme d’islamophobie davantage liée aux questions sécuritaires, avec le terrorisme pour point focal. Bien que la lentille soit différente pour les deux pays, la problématique est la même.
Pour de nombreux Français musulmans, ce pays est le lieu où l’expérience de l’islamophobie est la plus difficile de toutes les sociétés occidentales, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
Hatem Bazian : Le cas français est particulier. Je pense que l'islamophobie a un impact plus intense sur un public plus large qu’ailleurs ; mais plutôt que de dire que telle ou telle situation est pire que l’autre, je préfère dire que toutes les expériences islamophobes sont racistes et brutales, quelle que soit son intensité. Aux États-Unis, il y a un grand nombre de musulmans qui sont arrêtés par le biais d'un processus « légal » en vertu des lois anti-terroristes. (...) Je dirai donc que nous faisons face à un phénomène mondial qui problématise les musulmans et l'islam en tant que groupe qui devrait être traité comme une catégorie distincte, traitement à l’origine d’un discours racial qui les transforme en sous-hommes.
Mais les réponses contre l’islamophobie diffèrent d’un endroit à l’autre, selon la manière dont les musulmans sont organisés en tant que communauté…
Hatem Bazian : Bien sûr... La résistance contre l'islamophobie est tributaire du type de communauté musulmane que vous avez et les alliances qui se font avec et autour d'eux ; et je pense que nous devons apprendre de chaque expérience pour percevoir où sont les similitudes et les différences. (…) L’islamophobie est bien un phénomène mondial, qui a une manifestation différente selon les pays et qui génère également des réactions et des réponses différentes en fonction des statuts social, économique, politique et éducative des communautés musulmanes.
Qu’est-ce qui fait le succès de la lutte contre l’islamophobie ? L’autonomie des communautés musulmanes, selon vous ?
Hatem Bazian : Le succès présente de nombreux traits, l'autonomie des musulmans en est un, mais aussi l'empowerment, la visibilité, la respectabilité sont autant d'éléments qui poussent le succès contre l'islamophobie. Le succès doit être mesuré lorsque être musulman n'est plus un problème ou que dire « Je suis musulman » ne provoque pas de réactions négatives. Que les musulmans ne sont finalement pas plus différents des autres groupes d'hommes et, pour en arriver à ce point, il faudra un certain temps.
Quelle serait, pour vous, la meilleure réponse à apporter contre l’islamophobie et la racialisation des musulmans ?
Hatem Bazian : La racialisation des musulmans implique qu’il existe diverses catégories d’êtres humains, donc la réponse à tenir face à cela est de défier les racistes sur leurs thèses, non aux musulmans d’essayer de se faire beaux pour les racistes. Il est nécessaire de les pousser à réfléchir à deux fois avant de vous frapper au visage et de ne pas céder au discours du choc des civilisations.
Résolution de soutien aux Français musulmans et contre les discours islamophobes en France lors de la 4e conférence internationale annuelle sur l’islamophobie à l’université de Californie, à Berkeley, le 20 avril 2013
Considérant que ces dix dernières années, l’islamophobie a progressé dans le monde de manière alarmante. (…) Considérant que la France est l’un des pays où ce racisme progresse le plus. Prétextant la lutte contre le terrorisme, la laïcité, les droits des femmes, ou la défense des « valeurs de la République », les expressions de l’islamophobie affectent toutes les sphères de la société et notamment dans les champs politique, médiatique et intellectuel.
Considérant que l’État lui-même – pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire –, de ses plus hauts sommets à ses institutions locales, se fait le promoteur de l’islamophobie. La loi contre le voile de mars 2004 est au cœur de la légitimité publique donnée à l’ensemble des pratiques discriminatoires à l’encontre des musulmans. (…) Considérant que les discriminations déjà en place se maintiennent. Considérant que le débat français autour de l’idée que les principes de la République et ses valeurs sont menacées par les foulards et la religion de l’une des communautés les plus opprimées de France et d’Europe semble ridicule.
Par conséquent, nous, participants à la 4e conférence internationale annuelle sur l’islamophobie à l’université de Californie-Berkeley, en vertu de notre engagement antiraciste, condamnons avec force les lois liberticides annoncées par le gouvernement français, qui créent une catégorie d’exception : les femmes voilées. En outre, nous appelons le gouvernement français et les dirigeants politiques à mieux respecter les principes et l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme en considérant pleinement la minorité musulmane et en abrogeant toutes les lois d’exception déjà existantes.
Considérant que ces dix dernières années, l’islamophobie a progressé dans le monde de manière alarmante. (…) Considérant que la France est l’un des pays où ce racisme progresse le plus. Prétextant la lutte contre le terrorisme, la laïcité, les droits des femmes, ou la défense des « valeurs de la République », les expressions de l’islamophobie affectent toutes les sphères de la société et notamment dans les champs politique, médiatique et intellectuel.
Considérant que l’État lui-même – pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire –, de ses plus hauts sommets à ses institutions locales, se fait le promoteur de l’islamophobie. La loi contre le voile de mars 2004 est au cœur de la légitimité publique donnée à l’ensemble des pratiques discriminatoires à l’encontre des musulmans. (…) Considérant que les discriminations déjà en place se maintiennent. Considérant que le débat français autour de l’idée que les principes de la République et ses valeurs sont menacées par les foulards et la religion de l’une des communautés les plus opprimées de France et d’Europe semble ridicule.
Par conséquent, nous, participants à la 4e conférence internationale annuelle sur l’islamophobie à l’université de Californie-Berkeley, en vertu de notre engagement antiraciste, condamnons avec force les lois liberticides annoncées par le gouvernement français, qui créent une catégorie d’exception : les femmes voilées. En outre, nous appelons le gouvernement français et les dirigeants politiques à mieux respecter les principes et l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme en considérant pleinement la minorité musulmane et en abrogeant toutes les lois d’exception déjà existantes.
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