Fériel Berraies Guigny : Les Etats-Unis ont transmis à Israël et aux Palestiniens un plan détaillé sur l'allégement des restrictions de circulation dans les territoires palestiniens et sur l'amélioration de la sécurité, qu’en pensez vous ?
Hind Khoury : L’Administration américaine et Mme Rice précisément, ont depuis toujours insisté en vue de créer un véritable horizon politique qui puisse amener une solution au conflit israélo palestinien.
A l’heure actuelle, il est vrai que l’on est dans une logique d’un processus de paix qui ne mène nulle part. Et il est vrai que la résistance palestinienne a joué un grand rôle dans la prise de décision américaine en vue de trouver un modus vivendi entre les deux partis. Aujourd’hui, nous sommes au degré zéro de l’intervention politique. Cette nouvelle proposition américaine vise donc à améliorer dans un premier temps, le problème de mobilité des palestiniens en Cis Jordanie. Gaza est une prison à ciel ouvert, c’est un endroit assiégé, appauvri, bombardé, c’est l’enfer complet. Pourtant nos frontières sont toujours fermées. L’Accord de fin 2005, n’a jamais été mis en œuvre et cette nouvelle initiative a été décidée aux prix de la pression américaine. Dans toute la Cis Jordanie, nous comptons des barrières militaires à perte de vue. A côté de cela, notre économie s’est complètement effondrée. Tous les rapports de la Banque Mondiale ont bien démontré que ces barrages militaires étaient la mort de l’économie palestinienne. Rien n’a évolué à ce jour. Les familles palestiniennes ont besoin de vivre, sans commerce, sans moyens, ils ne peuvent se projeter dans l’avenir. Et mon constat personnel, c’est qu’Israël encourage cette situation afin de pousser notre peuple à quitter la Palestine. Je ne vois pas de futur dans ces conditions, pour nos enfants. Pourtant Ehud Olmert avait promis de diminuer les barrages militaires mais ce fut le cas contraire, ils ont augmenté. Avec Israël non seulement le conflit interne va perdurer mais en plus, il y aura la continuation de la violence en violation de la trêve qui avait été instaurée.
Que pensez vous des mesures citées dans ce plan, sont elles réalistes ?
Hind Khoury : Depuis 2000, on ne peut pas dire qu’il y avait les conditions d’un processus de paix, en fait depuis la seconde Intifada et notamment, l’accès de Sharon au pouvoir qui nous a valu des incursions militaires d’une rare violence. On l’a érigé en véritable héros de la paix. Au niveau de la tactique militaire, c’est un véritable géni, car son plan de désengagement militaire de la bande de Gaza lui a valu, les honneurs auprès de la Communauté Internationale. En réalité, ce n’est pas un héros pour la paix. Et ce désengagement de Gaza n’était qu’un miroir aux alouettes, pour cacher le plan de colonisation sur la Bande de Gaza, mais également pour légitimer la construction du mur, et cela lui a également permis de renforcer les barrages militaires. Jusqu’à aujourd’hui, toutes perspectives en vue d’établir un processus de paix, sont obsolètes.
Pensez vous que la perpétuation de la deuxième Intifada fera avancer les choses ?
Hind Khoury : Le président Abbas, moi-même et beaucoup de mes concitoyens ne sont pas pour la militarisation de l’Intifada. D’un point de vue stratégique, nous avons certes droit à la résistance, nous devons nous ériger contre l’injustice et l’oppression, d’autant que nous subissons cette situation depuis prés de quarante ans. Nous sommes devenus un peuple dur. Mais je pense qu’il faut cesser la spirale de violence. Mais après Oslo, le peuple palestinien n’a plus été capable de retourner au plan B, c'est-à-dire dans le cas où le processus de paix n’a pas amené de solution, retourner à la résistance. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un stade, où les différentes factions et groupes, étant éparpillés ont commencé à avoir leur propre définition de la résistance. Cela a engendré un véritable chaos. Ce chaos sert considérablement la stratégie d’Israël. La situation économique et sociale aidant, l’absence de sécurité, de police nous a fait perdre notre ancienne cohésion sociale. La pression économique et sociale a eu le dernier mot sur notre volonté.
S’agissant du Sommet de Riad, pensez vous que c’est une avancée pour le monde arabe ?
Hind Khoury : J’étais pleine d’espoir au sortir de ce Sommet. Et j’y crois encore. Pour la Palestine, c’est le monde arabe et son soutien qui est notre seul flambeau. C’est à travers eux, que nous pourrons peser sur l’échiquier international. Cette proposition est attirante, même pour Israël, qui reste un pays oppresseur, un pays occupant dans la région. Cela signifierait entre autre pour elle, la normalisation de ses relations avec le reste des Etats Arabes, en échange du retour de tous les territoires occupés. Malheureusement, Israël n’accepte pas cette initiative de paix arabe. Concrètement, ils sont contre cette initiative et donc l’espoir résidera uniquement, dans la diplomatie arabe. Il faut que les arabes appliquent cette diplomatie « à la moderne », c’est le seul espoir pour la cause palestinienne.
Que reprochez vous à l’heure actuelle à l’Union Européenne, à la France, au Monde Arabe ?
Hind Khoury : Les Palestiniens reprochent au monde entier, leur manque total de responsabilité envers les droits des Palestiniens. Soixante ans qui ont passé depuis l’expulsion des palestiniens de leur territoire, quarante ans d’oppression et toutes les résolutions, les 180 résolutions ; n’ont jamais été appliquées.
Presque un siècle d’une histoire qui ne trouve pas son sens, pour les palestiniens. Cette politique de double poids double mesure qui perdure dans le monde arabe est intolérable. On n’arrive pas à la paix, si le droit n’est pas mis en œuvre. Et ce chaos est partout, de l’Irak, à la Palestine, au Soudan, au Liban, l’Iran etc.…
Cette situation est également un grave préjugé pour les intérêts américains et européens eux-mêmes.
Dans le monde arabe, le pouvoir américain est diabolisé, car hégémonique et parti pris. Il y va de l’intérêt des américains de se faire respecter par le monde arabe. Cette politique d’affaiblissement des Etats arabes par les Etats-Unis, doit cesser. Ce sont « des failed States » une stratégie américaine qui est en cours et qui est très nocive pour la région. Il faut responsabiliser les Etats en question, et cesser d’encourager la politique d’oppression d’Israël. C’est ainsi que les Etats-Unis se feront respecter par le monde arabe. Et la thèse de Hunttington est un leurre, c’est une stratégie, ce concept n’existe pas. Durant toute l’histoire, les civilisations ont échangé et ont cohabité dans la paix. Ce retour au concept du clash entre les civilisations est une philosophie qui veut alimenter une politique « d’instabilité constructive ». Ceci est soutenu par les Etats-Unis qui se voient comme le leader du monde.
Durant la visite du Président Abbas en France, l’accent à été mis sur l’importance du soutien français. Avec Nicolas Sarkozy ne craignez vous un changement d’orientation de la politique arabe de France ?
Hind Khoury : Je reste positive, car durant les dernières visites de l’autorité palestinienne avec Chirac, la France a soutenu fermement la politique et les institutions palestiniennes. Au sein de l’Union Européenne, la France est également intervenue pour enliser les sanctions économiques. Nous avons bénéficié d’un soutien financier par le Ministère des Finances. Pour moi, il n’y aura pas de grands changements par rapport à cette politique avec la nouvelle gouvernance. Mais il est vrai, que le discours du Président Sarkozy reste opaque, la question du Moyen Orient, n’a pas été évoquée, comme si c’était un tabou. Cela pourrait être interprété comme étant de mauvais augure. Et quant à son projet d’unification de la Meditterannée, la Palestine faisant parti de cet espace, pourquoi pas, cela pourrait faire avancer les choses. Si ce projet est sérieux, à défaut du processus de Barcelone qui n’a pas réussi, on pourra avoir de nouvelles perspectives. Mais à mon humble avis, tant que la question palestinienne ne sera pas réglée, ce projet n’aura aucune chance de viabilité. « Il faut finir, avec cet abcès au Moyen Orient »…
Avec Bernard Kouchner, fervent défenseur de l’humanitaire et des Droits de l’Homme, nous espérons que le Quai D’Orsay pèsera davantage sur la balance de la justice et de l’équité. Donc pour l’instant, avec Monsieur Sarkozy, je vais faire l’avocat du diable, je vais attendre et voir. Et s’il est véritablement un pro américain et un « ami d’Israël » véritable, il faudra qu’il tente de raisonner Israël, afin qu’elle cesse cette politique du pire.
Koffi Annan dans sa dernière déclaration est désireux d’insuffler un nouveau souffle au processus de paix, que pensez vous du rôle des Nations Unies dans ce conflit tant pour le passé que pour l’avenir?
Hind Khoury : On a un problème de gouvernance international au sein des Nations Unies. Et ce phénomène n’est pas nouveau. Il faut une réforme, et un renforcement de ce pouvoir. A l’heure actuelle, c’est celui qui se dit le seul pouvoir au monde, qui continue de gouverner et de faire pression. Les européens eux-mêmes, sur le plan politique ne prennent aucune position. Dans ce contexte précis, la voie de la gouvernance internationale est biaisée. Les groupements régionaux n’ont plus de poids. Or cette politique unilatérale américaine a ses limites actuelles, avec toutes les crises dans le monde, force pour nous de constater qu’il faille avoir recours au droit international. Il faut cesser le leurre que constitue la politique d’intervention préventive américaine qui a provoqué des désartres et a assassiné la démocratie. On tue la démocratie or on la revendique !
Le seul choix est le retour au multilatérale. Là l’Europe et le Monde arabe ont un poids très important.
Aujourd’hui la reconnaissance du nouveau gouvernement palestinien est encore en question pour certains Etats, pensez vous que cela est une impasse irrémédiable pour faire avancer le dialogue ?
Hind Khoury : On voit bien les conséquences néfastes de ces différentes luttes inter palestiniennes. C’est inacceptable par principe, mais si on analyse le contexte dans lequel elles prennent forme, on peut comprendre. C’est la pression des enjeux économiques et sociaux, militaires, l’assiégement actuel, qui alimentent ce chaos. Le seul espoir réside dans le renforcement d’un gouvernement d’union nationale. Ce gouvernement actuel qui est acceptable et qui a été accepté par toutes les mouvances palestiniennes, qui ont adopté le programme avalisé par la Communauté internationale, doit être reconnu. Il faut arrêter les sanctions politiques et économiques. Soit on pratique la démocratie, soit c’est le chaos. Il faut arrêter d’aller dans le sens des israéliens qui veulent démontrer au monde entier que nous ne sommes pas des partenaires fiables en vue de négocier la paix !
Malheureusement, les américains poursuivent cette politique israélienne et l’Europe hésite. Nous sommes dans une situation d’impasse, alors que ce nouveau gouvernement est véritablement le cœur de l’initiative de paix arabe. Nous sommes otage de cette situation, tant qu’Israël résistera à reconnaître notre nouvelle gouvernance.
Hamas et Fatah peuvent ils cohabiter dans cette nouvelle gouvernance ?
Hind Khoury : Le peuple palestinien est au delà de ces factions. Il y a beaucoup d’éléments qui dérangent dans ce conflit fratricide. « On se suicide nous même » ! C’est un crime contre notre cause qui est noble et juste. Ils seront jugés par le peuple palestinien. Après un demi siècle de lutte, c’est inadmissible. Aujourd’hui nous vivons un moment pas très glorieux de l’histoire de notre résistance. Mais nous avons des luttes pacifistes, comme ce qui se passe à Bel Ain, où ont été réunis des hommes de bonne volonté de tous bords, palestiniens, israéliens, français etc.…qui ont fait un sitting contre le mur.
Cela donne de l’espoir, ces milices ne sont que les minorités. Malheureusement c’est ultra médiatisé en occident et les israéliens récupèrent cela contre nous, pour dire que l’on est incapable de solidarité entre nous. « On est des terroristes », on est chaotiques » on n’aime que la violence, on est incapables d’ériger un gouvernement. Par contre, les médias ne disent rien de toutes ces bonnes volontés, des personnalités actuelles qui constituent notre gouvernement. Toutes des personnalités de calibre international au parcours irréprochable. Nos Ministres des Finance, des Affaires Etrangéres etc.… des individus de grande qualité. Malgré les défis immenses de l’occupation, ces hommes ont réussi à maintenir la cohésion sociale. C’est lamentable ce travail de déconstruction de notre image et j’adresse ce message également au monde arabe, sur les dangers des mythes, de l’acharnement médiatique occidental qui peuvent ternir à jamais notre réputation. L’Oumma entière est en danger, il faut résister et nous devons investir davantage sur notre travail de communication et des médias. On ne peut préserver nos droits qu’en protégeant notre image !
L’élection probable d’un démocrate à la Maison Blanche est –elle source d’espoirs ?
Hind Khoury : La politique des conservateurs américains est le pire qu’on ait pu vivre dans le monde musulman, la guerre en Irak est un crime !
J’ai l’espoir que les américains qui reste un peuple bon à la base, comprendra les nuances. La politique américaine vers Israël, ces dernières années s’est renforcée au point de s’éloigner de leur propre discours à l’égard du Moyen Orient. Ceci est inquiétant. Ils sont sous l’influence de mouvements sionistes. Pourtant le rapport de Baker Hamilton est sage, le livre du Président Carter par ailleurs avait aussi souligné les limites de la politique des conservateurs et mettait l’accent sur la nécessité de mettre « fin à l’apartheid d’Israël sur la Palestine ». Il y a très souvent dans le New York Times des articles très éclairés sur notre situation économique en rapport avec la Banque Mondiale. Donc il y a véritablement une prise de conscience. Le rapport de la croix rouge sur les mesures à Jérusalem Est a également été publié dans les journaux américains. Donc pour un certain courant intellectuel américain, le processus de paix au Moyen Orient a un véritable sens. L’échec de la politique étrangère de Bush, fait qu’il est paralysé pour les deux ans à venir vis-à-vis du Congrès américains, même pour mettre en œuvre c es mesures en vue de rendre la cohabitation viable.
Que pensez vous du conflit qui oppose l’Iran à la Communauté Internationale à propos de l’enrichissement d’uranium ?
Hind Khoury : L’idéal serait d’avoir un Moyen Orient, sans arme nucléaire, mais il faut lutter à l’échelle mondiale pour la non prolifération nucléaire. Malheureusement, d’Israël aux Etats-Unis, la politique du double poids double mesure, persiste. Sur les peuples du Moyen Orient, cela a un effet néfaste, car on réagit par un regain de l’extrémisme, de la radicalisation, à la fanatisation. Les peuples en colères réagissent avec la violence pour lutter contre le néocolonialisme. Avec l’affaiblissement de l’Irak, l’Iran est revenue en puissance, encouragée par les américains et ensuite on lui refuse le nucléaire. Actuellement, la tactique israélienne consiste à dire que le problème vient de l’Iran, sans aucune mention de la situation d’occupation. On transfère le problème ailleurs, au travers de l’Iran, nouveau bouc émissaire, mais avec la perspective de militariser le problème également. Il ne faut pas s’étonner un jour, si Israël bombarde l’Iran.
Pensez vous que l’influence de la religion sur le politique soit un facteur positif dans les conflits du proche et du moyen orient ?
Hind Khoury : La religion ne peut pas servir la paix, la politique est sans foi, elle est dure et elle se base sur les intérêts. La religion ne peut qu’apporter l’amour et la paix, les trois religions à la base sont amour. Il faut une séparation, ce qui n’empêche pas de la pratiquer et de conserver ses valeurs. Il faut maintenir la cohésion sociale et ses valeurs. La politique doit aussi avoir ses valeurs, mais elle fonctionne grâce à la diplomatie, tout en protégeant les intérêts des peuples, c’est un autre langage. Je ne suis pas pour une société complètement laïque mais il faut faire attention aux amalgames sous couvert de la religion.
Si vous aviez à formuler trois vœux pour l’homme ou la planète, quels seraient – ils ?
Hind Khoury : La paix a perdu tout son sens, avec toutes ces initiatives qui n’ont jamais vu le jour. Néanmoins, l’espoir est dans la paix, on a trop souffert mais nous devons reconstruire nos sociétés. Cela prendra des années, et nous voulons tout simplement une vie normale pour nous et nos enfants. Nos jeunes doivent avoir droit à l’éducation, à la sécurité, ils doivent réapprendre à s’aimer et à croire en l’avenir.
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