Copie d'écran de l'émission d'Action discrète : les humoristes avaient investi le débat sur l'identité nationale, organisé à la préfecture de l'Aube.
Tandis que 200 personnalités ont lancé une pétition pour l’arrêt du débat sur l’identité nationale et que 50 % des Français se prononcent contre ce débat et 34 % en sa faveur, il convient de revenir non pas sur les causes de ces controverses, mais plutôt sur ce qu’elles révèlent.
Derrière les récents dérapages politiques et émotionnels, il y a bien plus que l’agenda politique. Alors que le poids de l’héritage colonial se fait sentir, une grande partie du passé historique de la France est paradoxalement niée.
Michel Agier, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), vient de publier Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire (Flammarion). Il répond à nos questions.
Derrière les récents dérapages politiques et émotionnels, il y a bien plus que l’agenda politique. Alors que le poids de l’héritage colonial se fait sentir, une grande partie du passé historique de la France est paradoxalement niée.
Michel Agier, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), vient de publier Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire (Flammarion). Il répond à nos questions.
Dans votre ouvrage « La Sagesse de l’ethnologue » vous dites : « L’ethnologue est un penseur qui conteste les définitions. » Quelle est donc, pour vous, la définition de l’identité nationale ?
Michel Agier : Eh bien, justement, je crois que c’est ça le point, c’est qu’il n’y en a pas. Et ce n’est surtout pas au chercheur de donner des définitions. Ce que nous faisons, en particulier les anthropologues, c’est comprendre ce que les gens font avec leur préoccupation identitaire. Chose à la fois très individuelle et très collective.
Alors pourquoi, selon vous, a-t-on lancé le débat sur l’identité nationale ? Quel est son but ?
Michel Agier, anthropologue, est directeur d'études à l'EHESS.
M. A. : Je pense qu’il y a plusieurs niveaux de compréhension. Je pense qu’il y a ce qu’on dit en général, un but électoraliste et que c’est très risqué. Alors que les politiques suivies depuis deux ans n’ont pas amélioré l’Audimat du gouvernement, on ratisse aujourd’hui vers l’extrême droite et on ramène une partie de son électorat. Mais c’est très dangereux parce que cela veut dire que cette droite là [au pouvoir] nous installe dans un horizon politique extrême. Avec, notamment, tous ces relents de xénophobie, de racisme, etc. Cela est une première explication qui, je pense, est à courte vue.
Mais cela ne suffit pas, il y a autre chose. Je pense qu’il y a un effet, on peut dire, de la mondialisation en général, qui produit sur les élites et sur les gouvernements une volonté de résister à la circulation des hommes. Je ne vois pas bien l’intérêt. Là, cette espèce de débat prétendument d’idées ramène sans arrêt à des propos xénophobes, des propos racistes et des stigmatisations religieuses.
Dans sa tribune sur l’identité nationale publiée dans Le Monde, Nicolas Sarkozy dit, après avoir évoqué les musulmans : « Ces peuples d’Europe ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturées. » Pensez-vous que l’islam pourrait dénaturer la vie des Français ?
Là où je sursaute en tant qu’anthropologue, c’est sur le mot « dénaturé ». On prend un état comme s’il était donné : c’est donc une réflexion binaire qui reproduit le « nous » et les « autres ». C’est la raison pour laquelle on a eu cette réaction très forte avec quelques chercheurs en disant qu’il faut arrêter complètement cette affaire et supprimer ce ministère [ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale]. Depuis quelques mois, la manière dont cette affaire évolue, c’est une manière de plus en plus binaire, entre « nous » et « eux ».
On renvoie, par exemple, la religion de l’islam aux migrants. Cela va à l’encontre de l’Histoire de la présence de l’islam, que ce soit dans l’Empire colonial français ou en France, où des migrations existent depuis les années 1960. L’islam est une des religions de France et cela ne date pas d’aujourd’hui. C’est quelque chose d’ancien. Reproduire tout à coup le clivage « eux » et « nous » désigne bien sûr tous ceux qui sont non seulement musulmans mais aussi descendants de migrants venant de pays d’islam. Des étrangers de l’intérieur, si l'on peut dire.
Cela introduit une manière de penser dans laquelle je ne me reconnais absolument pas, et je réagis là en tant que citoyen.
Mais cela ne suffit pas, il y a autre chose. Je pense qu’il y a un effet, on peut dire, de la mondialisation en général, qui produit sur les élites et sur les gouvernements une volonté de résister à la circulation des hommes. Je ne vois pas bien l’intérêt. Là, cette espèce de débat prétendument d’idées ramène sans arrêt à des propos xénophobes, des propos racistes et des stigmatisations religieuses.
Dans sa tribune sur l’identité nationale publiée dans Le Monde, Nicolas Sarkozy dit, après avoir évoqué les musulmans : « Ces peuples d’Europe ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturées. » Pensez-vous que l’islam pourrait dénaturer la vie des Français ?
Là où je sursaute en tant qu’anthropologue, c’est sur le mot « dénaturé ». On prend un état comme s’il était donné : c’est donc une réflexion binaire qui reproduit le « nous » et les « autres ». C’est la raison pour laquelle on a eu cette réaction très forte avec quelques chercheurs en disant qu’il faut arrêter complètement cette affaire et supprimer ce ministère [ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale]. Depuis quelques mois, la manière dont cette affaire évolue, c’est une manière de plus en plus binaire, entre « nous » et « eux ».
On renvoie, par exemple, la religion de l’islam aux migrants. Cela va à l’encontre de l’Histoire de la présence de l’islam, que ce soit dans l’Empire colonial français ou en France, où des migrations existent depuis les années 1960. L’islam est une des religions de France et cela ne date pas d’aujourd’hui. C’est quelque chose d’ancien. Reproduire tout à coup le clivage « eux » et « nous » désigne bien sûr tous ceux qui sont non seulement musulmans mais aussi descendants de migrants venant de pays d’islam. Des étrangers de l’intérieur, si l'on peut dire.
Cela introduit une manière de penser dans laquelle je ne me reconnais absolument pas, et je réagis là en tant que citoyen.
Dans quelle mesure les immigrés en général participent-ils à l’identité française, à la culture française ?
M. A. : En tant qu’anthropologue, je suis persuadé qu’on participe tous à la culture d’un Etat-nation à un moment donné ainsi qu’à sa transformation permanente. Donc, oui, toutes les vagues migratoires ont depuis toujours transformé la dynamique culturelle en France. Les manières de croire ainsi que les productions artistiques ont transformé en permanence toute cette culture de notre Etat-nation français.
Les immigrés et leurs descendants font partie du paysage français depuis longtemps. Pourquoi continue-t-on aujourd’hui à les stigmatiser bien qu’ils soient maintenant nés en France et y travaillent ?
M. A. : Il faut replacer cela dans le contexte historique, la France s’est constituée avec des migrants. Mais nous sommes encore dans une situation post-coloniale. La France a eu son Empire : la colonisation politique et économique allait de pair avec une colonisation culturelle. Aujourd’hui, l'on reste avec cet héritage, et en même temps avec cette très belle et forte tradition de la res publica, des droits de l’homme et des citoyens, de l’idée d’égalité en tout cas. Il y a quelque chose de contradictoire à avoir tout cela en France.
Quelles solutions apporter à ce débat sur l’identité nationale ?
M. A. : La première solution serait de supprimer ce ministère. C’est ce ministère-là qui incarne la crispation qui a été introduite par la droite de Sarkozy en France, et pas seulement aux frontières. Cela divise le pays et explique l’état dans lequel il est maintenant.
On voit qu’il y a de nombreuses fractures qui sont en train d’être mises en place par ce ministère et ce qu’il symbolise : les religions, il y en a des bonnes et des pas bonnes... la manière de se vêtir, la manière de vivre, la couleur de peau, la manière de parler...
De façon absolue, il faudrait isoler cette pensée de droite, identitaire. Je pense que cela va bien au-delà d’une affaire électorale.
On voit qu’il y a de nombreuses fractures qui sont en train d’être mises en place par ce ministère et ce qu’il symbolise : les religions, il y en a des bonnes et des pas bonnes... la manière de se vêtir, la manière de vivre, la couleur de peau, la manière de parler...
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