Points de vue

Ingrid Bétancourt libre, Ya Basta

Rédigé par Youssef Chems | Lundi 21 Juillet 2008 à 10:34

Devant l’Assemblée Nationale française, une fois encore l’angélisme béat d’une élite germanopratine s’extasie devant une Colombienne: Ingrid Bétancourt. Ce sénateur d’une Colombie en proie aux narco trafiquants a voulu, il y a six ans, jouer à la Che-pasionaria. Et malgré l’avis des autorités qui avaient refusé de l’embarquer dans un hélico des forces armées, elle prend la route pour un village perdu. Elle signe une décharge et, quelques minutes plus loin, se fait cueillir la fleur au canon par les forces marxistes d’opposition, les FARC. Elle enchaîne alors des mois d’une détention certainement violente et provoque on ne sait trop pourquoi une mobilisation internationale sans précédent. Essayons d’expliquer ce mécanisme trop parfait.



On attendait le retour d’une invalide, touchée au plus profond de sa chair par six terribles années de jungle profonde. Des compagnons d’infortune hirsutes auraient pu porter son brancard, un médecin d’urgence soulèverait une poche de sérum qui lui rendrait les forces abandonnées dans son terrifiant combat. Pas du tout, on voit descendre une femme à la mince quarantaine, une natte bien tressée, quelques symboles bien visibles, un foulard de boxeur noir à un poignet, une chapelet de chanvre à l’autre. On voit un militaire colombien exhiber à la télévision des chaînes neuves avec cadenas et clés brillantes et lorsqu’on regarde avec un peu d’attention le cou ou les poignets de Bétancourt, rien, pas la moindre cicatrice ou trace de ces entraves qu’elle aurait portées toutes les nuits. Les yeux levés au ciel en une pose extatique voire mystique, et surtout un discours formaté, structuré à l’extrême, un grand oral de Siences-Po bien léché avec une sérénité et une fraîcheur déroutante. Les déclarations plus qu’alarmantes de son fils Lorenzo nous avaient préparés à autre chose, hépatite B, amibiase et leishmaniose. Rien de tout cela ne sera confirmé par les examens que la France lui offre au Val de Grâce. Juste un peu de fatigue nous dit-on dans la jet-lag . Un infirmier aurait su depuis 2007 lui injecter des solutions miracles. Encore plus fort que les gélules du Professeur Niehans.


Qui est Ingrid Bétancourt ?


Une grande bourgeoise issue de la diplomatie paternelle et conjugale. Paris, rue Saint Guillaume, de Villepin comme professeur et ami. Plus avenue Foch que bidonvilles de Bogota. Cette amitié réelle avec un premier ministre chiraquien et connaissant bien l’Amérique Latine pour avoir grandi à Caracas entraînera une opération de barbouze quelques années plus tard. Il va tenter en chevalier blanc et sur la foi d’un tuyau crevé, de ramener son élève sans avertir son Ministre de l’Intérieur et pas davantage Chirac, chef de l’Etat, dont il dépend. Fiasco à la limite du ridicule. Mais elle s’en souviendra et rendra hommage à ce banni de la république sarkoziste dès son arrivée sur le tarmac français, puis partagera avec lui une pasta à la terrasse d’une trattoria de Saint Germain-des- Près juste avant de s’effondrer en prières devant quelques centaines de journalistes sous les grandes orgues de Saint-Sulpice. Un scénario digne d’une Madone des Pampas !
Les implications médiatiques et surtout politiques étonnantes par leur efficacité sont directement issues des traditions familiales. Les deux sœurs sont unies à des diplomates en fonction. Les réseaux du Quai d’Orsay ont fonctionné à plein, et c’est tant mieux. Pour elle et les quelques uns qui ont la chance de l’entourer. Ce sénateur d’un petit parti plafonne à 2% lors des présidentielles colombiennes de 2002. Pas de quoi inquiéter Uribe et son équipe pro américaine. Elle joue les têtes brûlées et ira droit vers son destin. Et là commence une aventure médiatique remarquable.


Sauvée par un campagne média exemplaire


Quelques années plus tôt, le publicitaire Jacques Séguela provoque une rencontre avec un éditeur parisien Fixot. Ils veulent la publier. Ils ont tous deux senti l’effet de mode que cette jeune femme peut lancer avec en retour quelques belles royalties. Elle hésite, ne se sent pas vraiment prête. Mais Fixot la décide en décochant « Je vais vous rendre célèbre dans le monde entier et un jour ce livre vous sauvera la vie. Le monde entier viendra à votre secours ». Augure savant ou coup de chance, il a eu mille fois raison et pourtant on ne l’apercevra à aucune des larmoyantes congratulations. Il va la présenter comme une splendide héroïne se dressant face aux forces des narcodollars de son pays. Elle va séduire le monde et ses dépendances, sauf les FARC et la presse colombienne qui claque le, « Vous avez été écrire un livre en France, vous leur demandez des conseils et vous osez prétendre à la Présidence de la République de Colombie ! ».

Néanmoins la valeur politique de l’otage monte en flèche. Tous se précipitent et veulent une part de sa notoriété. Facile de verser quelques larmes de crocodiles sur l’esplanade du Trocadéro ou de faire griller quelques brochettes devant une mairie en mal de subventions. Tout est bon du briquet à l’affiche, du foulard à la chansonnette qui pompe les sanglots d’une sensiblerie bien orchestrée par Renaud ou par quelques maires qui pour quelques jours font le plein de bonnes intentions. Quelconque et inutile surtout, çà se passe ailleurs, dans les couloirs des ambassades ou dans les placards des officines plus secrètes qu’une soutane vaticane. Les enfants Betancourt sont catapultés sur les plateaux, leurs discours bien ordonnés font illusion. Ils souffrent c’est certain, ils veulent revoir leur maman et ils suivent ceux qui promettent. On leur a dit de se battre et ont leur en donne les moyens, énormes. Aucune fausse note, tout est parfait, trop parfait. On aimerait y croire.

Mais Les dissensions montent dans le clan des Betancourt. L’ancien mari se heurte de plus en plus aux belle sœur et belle mère, les deux autres maîtresses femmes de la tribu. Le mari actuel est complètement zappé. On le voit quelques secondes soulager sa femme du sac à dos au pied de l’avion de Bogota et il disparaît. Pas diplomate cet homme là, fausse note dans le paysage. Les intérêts sont ailleurs, bien loin des états d’âme d’une population qui, petites lumières au bout des doigts, remplit jour après jour des podiums savamment préparés.


Les intérêts en jeu


L’écume remonte petit à petit. La vérité émergera. Des millions de dollars auraient été versés, à qui, par qui, pourquoi ! Pourquoi pas finalement? si cela sauve des vies. Mais pas en Palestine par exemple, pour ramener à leur mère des fils qui croupissent depuis des années dans les murs israéliens. Ceux-là, on les oublie. Leurs visages restent anonymes et ne couvrent pas, eux, les 2.000 municipalités de l’hexagone. Ils sont enterrés vivants et ils en meurent. Pas de réception à l’Elysée ou d’avions sanitaires pour amener leurs petits cousins en un va et vient chiquissime aux côtés d’un Kouchner sautillant à Bogota. Non, eux n’ont pas eu un Fixot, un Séguela ou quelques attachés d’ambassade dans leur couffin.
Sarkozy apprend parait-il cette libération lundi vers 21h00. Il est chez son épouse dans le 16e et se précipite aussitôt à l’Elysée pour tenter de récupérer quelques retombées. Il s’est tant démené depuis sa campagne électorale, il a senti depuis longtemps qu’un coup politique se joue là, et il veut en être. Il y a un an jour pour jour Cécilia ramène les bulgares, pourquoi Carla n’aurait-elle pas sa minute de gloire elle aussi. Trop tard, les colombiens et surtout les américains vont lui voler les FrontPage, à lui le reste. Pourtant deux hommes, un Français (Noël Saez) qui rentrera dans l’avion de Kouchner et un Suisse (Jean-Pierre Gontard) sur place depuis quelques temps ont essayé de renverser les tendances. Ils obtiennent presque des FARC qu’ils libèrent une quarantaine de prisonniers dont Betancourt, en échange de 500 guérilleros. En vain, il y a conflit d’intérêts entre la France, la Colombie et les Etats-Unis. Uribe sait que le temps joue en sa faveur. Ses coups de boutoirs contre les FARC pèsent de plus en plus lourd, ses alliés du Nord l’aident financièrement en injectant 600 millions de dollars et assurent une logistique imparable. La Colombie sert de plateforme militaire aux USA qui en oublient le passé trouble d’Uribe. Les accords de coopération militaire avec l’Equateur tombent en 2009 et il faut un autre terrain pour les marines et autres mercenaires. On croit revivre l’éradication d’Haïti lorsque les accords de la base sous marine de Cuantanamo s’achevant vers 1986, les stratèges américains pensèrent à la fosse profonde du bout de cette Perle des Antilles et qu’après une parodie de tentatives de démocratie ils expulsèrent, avec l’envoi d’une douzaine d’agents secrets, la famille Duvalier.

Aujourd’hui tous veulent recueillir les lauriers d’une libération. Sarkozy consolidant le quartet Chavez-Farc-Equateur-Paris obtiendra même quelques élargissements spectaculaires, mais toujours pas de Betancourt. Uribe se sent pris au piège et accélère. Il programme des bombardements nocturnes, Reis est tué et on retrouve trois ordinateurs aux disques durs miraculeusement intacts qui révèleront 300 millions de dollars versés par l’Equateur et Le Venezuela aux FARC. Voilà la preuve d’une collusion coupable avec des terroristes, alors qu’il en a fallu bien moins pour envahir l’Afghanistan.

Le commandement des FARC ainsi affaibli, les USA peuvent monter une opération de libération et écarter Chavez. La lutte contre le terrorisme est l’argument vertueux qui justifie tout au nom de la défense de la démocratie. Bush sait parfaitement l’utiliser pour intervenir là où son impérialisme est contesté, surtout si les pays en question regorgent de pétrole. Voici donc comment l’affaire Bétancourt devient un enjeu politique considérable sur la scène internationale sous couvert de nobles intentions que chacun va exploiter devant les objectifs d’un mondialisme triomphant.

La Colombie a-t-elle menti et tous les autres avec !


Simon Gonzalez, considéré réfugié politique en Suisse mais surtout véritable ombre des FARC est la source d’informations intox sur Bétancourt et sa libération d’opérette. Il manipule deux journalistes locaux et lance « Une rançon de 20.000.000 de dollars a été versée ». Et en quoi cela serait-il condamnable s’il s’agit de sauver des vies. Préférable à des dizaines de morts, quel que soit le côté. Qui comprend d’ailleurs en Europe les combats de ces guérilleros vieillissants pris dans l’étau américain, économique et politique, qui étrangle depuis si longtemps une Amérique latine qui n’en peut plus.

Le scénario de la libération semble trop facile. Une infiltration avec quelques valises de billets et le tour est joué, pas une goutte de sang. Et personne n’y avait pensé avant ! En vérité tout a été coordonné par de vrais professionnels du retournement et de la logistique. Une société Israélienne depuis longtemps spécialiste en enlèvements et punitions des Palestiniens, la « Global CST » avec pour principaux actionnaires l’ex chef d’état major israélien le général Ziv mais aussi un ancien patron des renseignements de Tel Aviv, le général Yosi Kuperwasser.

Une hypothèse circule aussi, la France aurait obtenu secrètement la réouverture de canaux avec les FARC et que les autres s’y seraient engouffrés. Les guérilleros qui surveillaient les prisonniers auraient donc reçu des consignes sur l’imminence d’une libération, mais au dernier moment les Colombiens ont basculé le scénario inscrivant l’opération militaire à leur crédit. Ceci n’expliquerait-il pas l’obligation de recevoir un avion officiel français qui ramène quelques heures plus tard l’otage le plus célèbre du monde à Paris.

Et maintenant


Le grand cirque Bétancourt est arrivé en France. Il s’est dit-on prêté à une intox humanitaire franco-vénézuélienne sans précédent. Deux diplomates de haut niveau, époux et beau frère s’y sont impliqués tant et plus. De son côté Ingrid Bétancourt n’a cessé de condamner les opérations militaires colombiennes. Sa maman dénonce chaque fois la violence d’Uribe. Les deux faisant hommage à un humanitaire inefficace face à une méthode militaire réaliste. Pourtant c’est lui qui a ramené Ingrid, sans une balle ni une seule goutte de sang. Les enfants et la famille ne cessent de réciter leur catéchisme anti colombien alors qu’Uribe leur a rendu leur mère.
Seule Ingrid lui rendra hommage au pied de la passerelle, elle sait d’où elle revient et qui que ce soit qui l’ait libérée, elle est dehors. Alors un peu de décence. Elle est désormais une icône avec laquelle il va falloir compter.

Co-pouvoir avec Uribe en Colombie, député européen, médiateur en charge d’un rapprochement FARC-Uribe, mais plus encore une position à l’international, ambassadrice à l’ONU en charge des prisonniers politiques dans le monde. Elle, sait vraiment de quoi il s’agit, et il serait formidable qu’elle commence, juste avant un prix Nobel qui l’attend certainement, par nos frères palestiniens.

Bienvenue madame dans le monde des vivants, Dieu vous a soutenu pendant ces longs mois ; il est juste que vous Le remerciiez, mais s’il vous plaît ne convoquez plus les photographes au Sacré Cœur ou à Saint Sulpice, ne lancez plus vos yeux éplorés vers ce ciel que les futaies épaisses de la jungle vous ont caché pendant de si long mois. Reprenez votre naturel et retrouvez donc la place qui est la vôtre, celle d’une femme aux deux enfants qui ont besoin maintenant d’exister avec une maman qui doit réapprendre à vivre, simplement.

Enfin relativisons cette déferlante Bétancourt, sans rien enlever à la souffrance de cette femme courageuse à la Jeanne d’Arc, sans oublier tous les otages du monde victimes de la barbarie de l’homme et disons que toutes ces poussées d’un humanisme télévisuel retombent aussi vite qu’elles sont nées et qu’après Wimbledon hier, le Tour de France aujourd’hui et les Jeux Olympiques après demain le monde tourne et que les plages sont pleines.

Youssef Chems
Ecrivain
A paraître « Hadj Amor »
(Pour l’amour de Dieu)