L'inquisition, par Goya
Une véritable intégration de la communauté musulmane au niveau national et européen ne sera possible que par la reconnaissance et l’acceptation de l’Islam en tant que religion, culture, histoire et civilisation. Sans cette reconnaissance légitime d’une “identité” musulmane qui soit ouverte sur la société mais aussi sur l’humanité, il n’est pas possible de parler d’insertion politique et économique des citoyens de confession musulmane ou d’envisager un quelconque épanouissement social de leur condition.
Il serait temps d’enterrer définitivement l’assimilation comme volonté politique de négation et d’uniformisation culturelle de toutes les composantes d’une communauté nationale. Cette politique est vouée à l’échec car elle génère une violence structurelle et psychologique de rejet et d’exclusion sur des catégories de citoyens, destinée à ne produire elle-même qu’une réaction de violence. Le multiculturalisme est la seule voie qui nous permettra de sortir de cette impasse assimilationniste, de créer du lien social et de forger une nouvelle identité nationale collective de type humaniste qui puisse rassembler l’ensemble des citoyens sans nier leurs différences culturelles.
L’islamophobie qui a resurgit dans le monde occidental, pour sa part, est loin d’être un phénomène récent et se révèle être en fait l’expression d’un ostracisme et d’une construction collective inconsciente qui resurgirait périodiquement et dont l’élaboration, selon des modalités diverses, ne date pas d’hier. Cette islamophobie se serait ainsi manifestée, historiquement, par une occultation et un rejet de l’apport islamique à la civilisation européenne. Directeur d’études au CNRS, Alain de Libera a analysé ce double aspect de la négation (occultation/rejet) comme convergent dans la vision européenne de l’Islam, mais distincts dans le temps. “En fait, l’occultation proprement dite est un phénomène très contemporain, et ce qui la précédé historiquement (la période andalouse) n’est pas un oubli, mais un rejet conscient et décidé. Il est inutile d’insister ici sur le déficit scolaire de la société française par rapport à l’Islam médiéval (...) Cette impasse scolaire n’est pas la cause mais l’effet de l’amnésie. Car il faut bien distinguer, d’une part, ce que l’Occident chrétien a connu et rejeté méthodiquement et, d’autre part, ce qu’il n’a pas (ou peu) connu et n’est toujours pas près à découvrir1.”
Il serait temps d’enterrer définitivement l’assimilation comme volonté politique de négation et d’uniformisation culturelle de toutes les composantes d’une communauté nationale. Cette politique est vouée à l’échec car elle génère une violence structurelle et psychologique de rejet et d’exclusion sur des catégories de citoyens, destinée à ne produire elle-même qu’une réaction de violence. Le multiculturalisme est la seule voie qui nous permettra de sortir de cette impasse assimilationniste, de créer du lien social et de forger une nouvelle identité nationale collective de type humaniste qui puisse rassembler l’ensemble des citoyens sans nier leurs différences culturelles.
L’islamophobie qui a resurgit dans le monde occidental, pour sa part, est loin d’être un phénomène récent et se révèle être en fait l’expression d’un ostracisme et d’une construction collective inconsciente qui resurgirait périodiquement et dont l’élaboration, selon des modalités diverses, ne date pas d’hier. Cette islamophobie se serait ainsi manifestée, historiquement, par une occultation et un rejet de l’apport islamique à la civilisation européenne. Directeur d’études au CNRS, Alain de Libera a analysé ce double aspect de la négation (occultation/rejet) comme convergent dans la vision européenne de l’Islam, mais distincts dans le temps. “En fait, l’occultation proprement dite est un phénomène très contemporain, et ce qui la précédé historiquement (la période andalouse) n’est pas un oubli, mais un rejet conscient et décidé. Il est inutile d’insister ici sur le déficit scolaire de la société française par rapport à l’Islam médiéval (...) Cette impasse scolaire n’est pas la cause mais l’effet de l’amnésie. Car il faut bien distinguer, d’une part, ce que l’Occident chrétien a connu et rejeté méthodiquement et, d’autre part, ce qu’il n’a pas (ou peu) connu et n’est toujours pas près à découvrir1.”
« La haine de l’Orient »
Au-delà d’un simple rejet, il s’agit bien ici d’une démarche historique orientée idéologiquement et fondatrice d’une certaine “conscience” européenne. Une démarche perpétuée et alimentée par toute une classe d’intellectuels et d’historiens européens qui débute avec Pétrarque et se poursuit avec Condillac, en passant par Renan et Pirenne, jusqu’à Lévy-Strauss lui-même. “Le rejet est un fait, quelque chose qui a eu lieu et a si profondément imprégné nos mentalités que l’identité européenne s’est bâtie sur lui... C’est ce rejet qu’il considérer ou plutôt débusquer2”. Et de Libera de préciser que “les deux moments mythiques de la première construction européenne, disons de sa fondation culturelle-la Renaissance et les Lumières-ont un point commun : la haine de l’Orient et l’arabophobie3”.
Mais cette méfiance antagoniste de l’Occident vis à vis de l’Islam semble avoir pris, pour des raisons historiques évidentes, une tournure particulière en France. Professeur d’histoire à l’université de Provence, Jean-Louis Triaud défend cette idée. S’il s’accorde à penser “que depuis la chute du communisme soviétique, le seul adversaire planétaire que se reconnaissent habituellement les médias occidentaux se trouve dans le monde arabo-musulman”, que les “identités européennes sont fondées sur un rejet de l’Islam plus largement non dit et non avoué qu’on ne le croit” et que “cet inconscient anti-islamique pèse sur notre représentation du monde”, Jean-Louis Triaud est pourtant formel : “Il existe une peur française de l’Islam”. “Il y a une dimension anti-islamique construite et récurrente dans la pensée occidentale, et notamment française, qui mérite étude et examen. En dépit de l’existence d’auteurs et de périodes qui montrent de l’intérêt et de la sympathie pour le monde musulman, il y a une forte continuité dans la vision négative et la crainte de l’Islam-cet Autre proche-telle qu’elle a été nourrie par les conquêtes arabes et turques, les croisades, la Reconquista, les conquêtes coloniales, la guerre d’Algérie, puis l’immigration4.”
Dès lors, si l’on passe un instant sur l’origine religieuse, plus catholique que protestante, d’un anathème nourrie par plusieurs siècles d’affrontements islamo-chrétiens, comment expliquer cette “spécificité” française ? Réponse de l’historien : “L’hostilité à l’égard de l’Islam, en France, prend aussi ses racines-et cela est bien moins identifié-dans l’héritage direct de la Révolution et de la République, dans l’esprit qui a accompagné la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Les laïques, républicains et radicaux, qui ont mené une lutte acharné contre l’Eglise catholique dénoncée comme obscurantiste, féodale et autoritaire, et qui ont été en même temps, l’un des principaux fers de lance de la colonisation française, ont cru retrouvé de l’autre côté de la Méditerrannée, le même adversaire, sous des traits cette fois islamiques5.” On saisit mieux, sous ce nouvel éclairage, la violence verbale et morale d’un Renan qui pouvait déclarer au cours d’une conférence : “Pour la raison humaine, l’islamisme n’a été que nuisible (...), la chaîne la plus lourde que l’humanité ait jamais portée”, pour finalement conclure, “la regénération des pays musulmans ne se fera pas par l’Islam, elle se fera par l’affaiblissement de l’Islam6”.
Mais cette méfiance antagoniste de l’Occident vis à vis de l’Islam semble avoir pris, pour des raisons historiques évidentes, une tournure particulière en France. Professeur d’histoire à l’université de Provence, Jean-Louis Triaud défend cette idée. S’il s’accorde à penser “que depuis la chute du communisme soviétique, le seul adversaire planétaire que se reconnaissent habituellement les médias occidentaux se trouve dans le monde arabo-musulman”, que les “identités européennes sont fondées sur un rejet de l’Islam plus largement non dit et non avoué qu’on ne le croit” et que “cet inconscient anti-islamique pèse sur notre représentation du monde”, Jean-Louis Triaud est pourtant formel : “Il existe une peur française de l’Islam”. “Il y a une dimension anti-islamique construite et récurrente dans la pensée occidentale, et notamment française, qui mérite étude et examen. En dépit de l’existence d’auteurs et de périodes qui montrent de l’intérêt et de la sympathie pour le monde musulman, il y a une forte continuité dans la vision négative et la crainte de l’Islam-cet Autre proche-telle qu’elle a été nourrie par les conquêtes arabes et turques, les croisades, la Reconquista, les conquêtes coloniales, la guerre d’Algérie, puis l’immigration4.”
Dès lors, si l’on passe un instant sur l’origine religieuse, plus catholique que protestante, d’un anathème nourrie par plusieurs siècles d’affrontements islamo-chrétiens, comment expliquer cette “spécificité” française ? Réponse de l’historien : “L’hostilité à l’égard de l’Islam, en France, prend aussi ses racines-et cela est bien moins identifié-dans l’héritage direct de la Révolution et de la République, dans l’esprit qui a accompagné la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Les laïques, républicains et radicaux, qui ont mené une lutte acharné contre l’Eglise catholique dénoncée comme obscurantiste, féodale et autoritaire, et qui ont été en même temps, l’un des principaux fers de lance de la colonisation française, ont cru retrouvé de l’autre côté de la Méditerrannée, le même adversaire, sous des traits cette fois islamiques5.” On saisit mieux, sous ce nouvel éclairage, la violence verbale et morale d’un Renan qui pouvait déclarer au cours d’une conférence : “Pour la raison humaine, l’islamisme n’a été que nuisible (...), la chaîne la plus lourde que l’humanité ait jamais portée”, pour finalement conclure, “la regénération des pays musulmans ne se fera pas par l’Islam, elle se fera par l’affaiblissement de l’Islam6”.
Terminologie arbitraire
Manifestation parisienne pour le respect des religions
Aujourd’hui, le phénomène s’est déplacé du terrain historique de l’orientalisme au terrain politique de l’islamologie. Depuis la révolution iranienne de 1978, une série de concepts devant nous rendre compte du fait islamique et nous faciliter sa compréhension, a été mis en vogue.
Parmi ces concepts, ceux d’islamisme et d’intégrisme ont été particulièrement porteurs, au regard de leur fréquente utilisation, notamment par les médias. Le premier, qui est en fait la reprise de l’ancien mot qui désignait l’Islam au XVIII et XIXè siècles, définit à présent tous les mouvements politico-religieux qui prônent l’expansion et le respect de l’Islam. Une définition que Jean-françois Clément, en 1980, justifiait comme une réponse au défi de la révolution khomeiniste. “De toutes parts, en Occident comme dans les pays arabes, on s’interroge sur les chances et la signification d’un engagement politique au nom d’un certain Islam. Appelons donc islamistes les personnes qui choisissent cet engagement et pensent pouvoir utiliser la seule charia comme régulatrice de l’ordre social et politique. Ce terme d’islamiste permet d’éviter une double confusion, celle qui pourrait être faite avec musulman ou avec intégriste7.”
Le problème est que ce terme, d’un point de vue analytique, ne satisfait aucun des buts ou des sens qu’on lui prête. Si l’on définit l’islamisme comme la tentative d’un mouvement religieux d’établir et de défendre un système politique au nom de l’Islam, ce concept perd toute sa pertinence dans la mesure où comme l’ont justement rappelé les géopoliticiens Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau, “L’Islam, qui est religion et cité, est un système globalisant qui ne sépare pas le temporel du spirituel, investit le le champs politique et social et sert de cadre de référence pour toutes les activités des musulmans8.”
Transmetteur de l’ultime Révélation divine, le Prophète est tout à la fois porteur d’un message religieux, chef d’une Cité-Etat (Médine) et auteur d’une constitution politique définissant et garantissant les droits de tous les citoyens médinois, quelque soit leur statut. Dans la conception islamique des choses, il n’y a pas séparation entre culte et pouvoir. Cette dimension politique est inhérente à la religion islamique, fait partie intégrante de son projet de société universel. Donc, importer ce dualisme théologico-politique au sein de l’Islam et identifier sa sphère politique comme relevant de l’islamisme, n’a plus de sens et relève de l’arbitraire. Par ailleurs, le second but assigné à l’emploi de ce vocable, “éviter une double confusion” entre musulman et islamiste, est lui aussi rester lettre morte. De l’aveu même d’Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit, le terme d’islamisme est employé “davantage que celui d’Islam9."
Autre concept devant nous rendre compte de la réalité islamique, celui d’intégrisme est lui aussi très employé. Issue de la tradition chrétienne, ce terme est apparu dans les milieux catholiques français, peu de temps avant la Première Guerre mondiale, dans un contexte tendancieux de polémique entre libéraux catholiques et traditionalistes. Il désigne très précisément les partisans d’un retour en force de l’Eglise et des valeurs catholiques appliqués à l’ensemble de la société. L’intégrisme s’est essentiellement construit sur deux principes : l’affirmation d’un dogme catholique authentique et la réappropriation, au nom de ce dogme, de la sphère politique. Mais là encore l’utilisation de ce concept se révèle problématique et ce, au sein même des mouvements qu’il est censé qualifier. En effet, les mouvements que recouvre ce terme se désignaient eux-mêmes comme des mouvements “catholiques intégraux” et non intégristes. Ce sont les catholiques libéraux qui leur ont adossé ce sobriquet extrêmement péjoratif à une époque où les discours étaient au rejet mutuel.
Ainsi, le mot d’intégrisme a un sens originel très précis qui est lié à une histoire particulière. Son extrapolation au monde des phénomènes islamiques ne peut être que périlleux, sinon totalement erroné. Périlleux, car la connotation très négative et stigmatisante du terme ne facilite pas une analyse froide et objective d’un domaine déjà soumis aux réactions passionnelles. Erroné, car une fois de plus, la volonté extensive et maximaliste des mouvements dits “intégristes”, qui sous un certain rapport peut être considéré comme abusive si l’on reconnaît que rien dans les sources chrétiennes et la vie de Jésus n’autorise une telle lecture politique du christianisme, est inadapté lorsque l’on parle de l’Islam qui inclue dès l’origine le politique comme élément indissociable de sa démarche. Spécialiste des mouvements fondamentalistes protestants aux Etats-Unis, Mokhtar Ben Barka dénonce cette dérive de l’ “interchangeabilité” de termes dont les significations et les contextes n’ont que peu à voir ensemble. Il considère qu’il existe une “grande confusion dans l’analogie des termes fondamentaliste, intégriste, extrêmiste, traditionnaliste, dont l’effet est d’entraver notre compréhension de la réalité de ce courant et de ses complexités. Sous la malléabilité et l’élasticité sémantique, c’est l’amalgame qui génère glissements de sens et incompréhension10.”
Parmi ces concepts, ceux d’islamisme et d’intégrisme ont été particulièrement porteurs, au regard de leur fréquente utilisation, notamment par les médias. Le premier, qui est en fait la reprise de l’ancien mot qui désignait l’Islam au XVIII et XIXè siècles, définit à présent tous les mouvements politico-religieux qui prônent l’expansion et le respect de l’Islam. Une définition que Jean-françois Clément, en 1980, justifiait comme une réponse au défi de la révolution khomeiniste. “De toutes parts, en Occident comme dans les pays arabes, on s’interroge sur les chances et la signification d’un engagement politique au nom d’un certain Islam. Appelons donc islamistes les personnes qui choisissent cet engagement et pensent pouvoir utiliser la seule charia comme régulatrice de l’ordre social et politique. Ce terme d’islamiste permet d’éviter une double confusion, celle qui pourrait être faite avec musulman ou avec intégriste7.”
Le problème est que ce terme, d’un point de vue analytique, ne satisfait aucun des buts ou des sens qu’on lui prête. Si l’on définit l’islamisme comme la tentative d’un mouvement religieux d’établir et de défendre un système politique au nom de l’Islam, ce concept perd toute sa pertinence dans la mesure où comme l’ont justement rappelé les géopoliticiens Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau, “L’Islam, qui est religion et cité, est un système globalisant qui ne sépare pas le temporel du spirituel, investit le le champs politique et social et sert de cadre de référence pour toutes les activités des musulmans8.”
Transmetteur de l’ultime Révélation divine, le Prophète est tout à la fois porteur d’un message religieux, chef d’une Cité-Etat (Médine) et auteur d’une constitution politique définissant et garantissant les droits de tous les citoyens médinois, quelque soit leur statut. Dans la conception islamique des choses, il n’y a pas séparation entre culte et pouvoir. Cette dimension politique est inhérente à la religion islamique, fait partie intégrante de son projet de société universel. Donc, importer ce dualisme théologico-politique au sein de l’Islam et identifier sa sphère politique comme relevant de l’islamisme, n’a plus de sens et relève de l’arbitraire. Par ailleurs, le second but assigné à l’emploi de ce vocable, “éviter une double confusion” entre musulman et islamiste, est lui aussi rester lettre morte. De l’aveu même d’Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit, le terme d’islamisme est employé “davantage que celui d’Islam9."
Autre concept devant nous rendre compte de la réalité islamique, celui d’intégrisme est lui aussi très employé. Issue de la tradition chrétienne, ce terme est apparu dans les milieux catholiques français, peu de temps avant la Première Guerre mondiale, dans un contexte tendancieux de polémique entre libéraux catholiques et traditionalistes. Il désigne très précisément les partisans d’un retour en force de l’Eglise et des valeurs catholiques appliqués à l’ensemble de la société. L’intégrisme s’est essentiellement construit sur deux principes : l’affirmation d’un dogme catholique authentique et la réappropriation, au nom de ce dogme, de la sphère politique. Mais là encore l’utilisation de ce concept se révèle problématique et ce, au sein même des mouvements qu’il est censé qualifier. En effet, les mouvements que recouvre ce terme se désignaient eux-mêmes comme des mouvements “catholiques intégraux” et non intégristes. Ce sont les catholiques libéraux qui leur ont adossé ce sobriquet extrêmement péjoratif à une époque où les discours étaient au rejet mutuel.
Ainsi, le mot d’intégrisme a un sens originel très précis qui est lié à une histoire particulière. Son extrapolation au monde des phénomènes islamiques ne peut être que périlleux, sinon totalement erroné. Périlleux, car la connotation très négative et stigmatisante du terme ne facilite pas une analyse froide et objective d’un domaine déjà soumis aux réactions passionnelles. Erroné, car une fois de plus, la volonté extensive et maximaliste des mouvements dits “intégristes”, qui sous un certain rapport peut être considéré comme abusive si l’on reconnaît que rien dans les sources chrétiennes et la vie de Jésus n’autorise une telle lecture politique du christianisme, est inadapté lorsque l’on parle de l’Islam qui inclue dès l’origine le politique comme élément indissociable de sa démarche. Spécialiste des mouvements fondamentalistes protestants aux Etats-Unis, Mokhtar Ben Barka dénonce cette dérive de l’ “interchangeabilité” de termes dont les significations et les contextes n’ont que peu à voir ensemble. Il considère qu’il existe une “grande confusion dans l’analogie des termes fondamentaliste, intégriste, extrêmiste, traditionnaliste, dont l’effet est d’entraver notre compréhension de la réalité de ce courant et de ses complexités. Sous la malléabilité et l’élasticité sémantique, c’est l’amalgame qui génère glissements de sens et incompréhension10.”
Ayatollah et fatwas
Dans ces conditions, il serait opportun pour les islamologues d’effectuer un vrai travail de réflexion sur la terminologie adéquate à utiliser pour qualifier les divers courants qui traversent le monde musulman, en particulier la dimension sémantique de ces termes et leur pertinence à véhiculer la spécificité mise en avant. Il serait, par exemple, judicieux de substituer au mot d’islamisme les expressions de militantisme islamique ou d’Islam politique. On éviterait alors aux discours de glisser progressivement du jugement de fait plus ou moins objectif au jugement de valeur généralement diabolisant. Si certains termes qualifiant le fait religieux (fanatisme, radicalisme...) peuvent être employés de manière universelle, d’autres sont trop empreints de leur signification primaire pour être greffé n’importe où, n’importe comment. Les musulmans doivent accepter les critiques qui leur sont faites, pour peu qu’elles soient fondées.
On l’aura donc compris, ce rejet conscient ou inconscient de toutes les formes et de toutes les manifestations du fait musulman (religieux, culturel, historique...), cette islamophobie, qu’elle repose sur une appréciation moyen-âgeuse ou qu’elle soit le résultat d’évènements politiques récents (le 11 septembre) perçus à travers le prisme déformant de médias en proie à la surenchère sensationnaliste (les reportages télés qui nous montrent des fidèles en prières dans des mosquées, sur des sujets traitant des réseaux Al Qaïda, accréditant ainsi l’idée que les poseurs de bombes étant musulmans pratiquants, tous les musulmans pratiquants sont de potentiel poseurs de bombes, sont courant) n’est pas une vue de l’esprit. Elle est une réalité.
Les nouveaux usages terminologiques en vogue dans les milieux politiques (de droite comme de gauche) s’inspirent, pour leur part, largement du vocabulaire arabo-islamique. Aux expressions notoires devenus des lieux communs de la langue française (un travail bâclé est un travail d’ “arabe”, le vacarme est un “ramdam”) viennent s’ajouter désormais de nouvelles acquisitions linguistiques (le retour à un ordre moral quelconque est celui d’ “ayatollahs”, toute décision d’une hiérarchie perçue comme autocratique est une “fatwa”) confirmant la référence musulmane comme porteuse, dans son essence, d’un registre dépréciatif et négatif.
La solution à ce problème sérieux et profond des discriminations ne se trouvera pas, contrairement à ce que certaines bonnes âmes préconisent, dans la voie juridique, pour deux raisons évidentes. La première étant que les citoyens qui en sont victimes ne sont pas eux-mêmes acteurs, mais sujets du droit, et sont de ce fait déjà privée d'une partie essentielle et considérable de leur citoyenneté. La seconde raison est structurelle : le droit ne solutionne que des cas marginaux. Il ne peut corriger ou rétablir les dérives profondes d'une société. La discrimination est un phénomène de masse sociale, économique et politique, qui ne peut s'éroder que par un investissement massif de l'Etat et par un grand travail d'éducation et de sensibilisation morale de la société, dans son ensemble. Dans la mesure ou l'Etat est partie prenante de ce jeu exclusif et ségrégatif de ses propres citoyens11, ce résultat ne pourra être obtenu qu'après un long combat de ces minorités, qui devront investir toutes les sphères du pouvoir politique et financier afin de représenter et de défendre elles-mêmes leurs intérêts et leurs droits.
1-in revue Manière de voir, n°64.
2-ibid
3-ibid
4- in Revue Esprit. Toutes ces citations en proviennent.
5-ibid
6-Conférence à la Sorbonne sur “L’Islamisme et la science”, le 19 mars 1883, in revue Esprit.
7-in Esprit, janvier 1980.
8-in Atlas du millénaire, éditions Hachette littérature.
9-in Esprit, Août/Septembre 2001.
10-in Les Nouveaux Rédempteurs, éditions de l’Atelier.
11-D'après un rapport 2004 du CCIFsur l'islamophobie en France, l'Etat, par l'intermédiaire de ses services (police, administrations) est la source principale de l'islamophobie. Nous estimons également que par son insistance prononcée sur les valeurs d'égalité républicaine et de laïcité, et son refus de principe d'une reconnaissance officielle des groupes culturels et de leur droit à revendiquer leur héritage, l'Etat et la classe dirigeante en général, s'accommode parfaitement de la discrimination et de l'exclusion sociale de groupe marginalisés. L'équation devient simple et cruellement efficace : les victimes d'exclusion dénonce la discrimination au nom de l'égalité des droits et réclament des droits et des mesures équitables de rééquilibrage sociale. Au nom de la même égalité républicaine, l'Etat refuse toute mesure discriminante, dû t’elle être positive, et nie l'existence même d'une différence culturelle. Il s'agit rien moins qu'une instrumentalisation identitaire de principe égalitaires et laïques destinée à perpétuer une exclusion déterminée de franges culturelles localisées, au moyen d'une rhétorique commode consistant à renverser la responsabilité et la culpabilité du dévoiement des valeurs nationales.
On l’aura donc compris, ce rejet conscient ou inconscient de toutes les formes et de toutes les manifestations du fait musulman (religieux, culturel, historique...), cette islamophobie, qu’elle repose sur une appréciation moyen-âgeuse ou qu’elle soit le résultat d’évènements politiques récents (le 11 septembre) perçus à travers le prisme déformant de médias en proie à la surenchère sensationnaliste (les reportages télés qui nous montrent des fidèles en prières dans des mosquées, sur des sujets traitant des réseaux Al Qaïda, accréditant ainsi l’idée que les poseurs de bombes étant musulmans pratiquants, tous les musulmans pratiquants sont de potentiel poseurs de bombes, sont courant) n’est pas une vue de l’esprit. Elle est une réalité.
Les nouveaux usages terminologiques en vogue dans les milieux politiques (de droite comme de gauche) s’inspirent, pour leur part, largement du vocabulaire arabo-islamique. Aux expressions notoires devenus des lieux communs de la langue française (un travail bâclé est un travail d’ “arabe”, le vacarme est un “ramdam”) viennent s’ajouter désormais de nouvelles acquisitions linguistiques (le retour à un ordre moral quelconque est celui d’ “ayatollahs”, toute décision d’une hiérarchie perçue comme autocratique est une “fatwa”) confirmant la référence musulmane comme porteuse, dans son essence, d’un registre dépréciatif et négatif.
La solution à ce problème sérieux et profond des discriminations ne se trouvera pas, contrairement à ce que certaines bonnes âmes préconisent, dans la voie juridique, pour deux raisons évidentes. La première étant que les citoyens qui en sont victimes ne sont pas eux-mêmes acteurs, mais sujets du droit, et sont de ce fait déjà privée d'une partie essentielle et considérable de leur citoyenneté. La seconde raison est structurelle : le droit ne solutionne que des cas marginaux. Il ne peut corriger ou rétablir les dérives profondes d'une société. La discrimination est un phénomène de masse sociale, économique et politique, qui ne peut s'éroder que par un investissement massif de l'Etat et par un grand travail d'éducation et de sensibilisation morale de la société, dans son ensemble. Dans la mesure ou l'Etat est partie prenante de ce jeu exclusif et ségrégatif de ses propres citoyens11, ce résultat ne pourra être obtenu qu'après un long combat de ces minorités, qui devront investir toutes les sphères du pouvoir politique et financier afin de représenter et de défendre elles-mêmes leurs intérêts et leurs droits.
1-in revue Manière de voir, n°64.
2-ibid
3-ibid
4- in Revue Esprit. Toutes ces citations en proviennent.
5-ibid
6-Conférence à la Sorbonne sur “L’Islamisme et la science”, le 19 mars 1883, in revue Esprit.
7-in Esprit, janvier 1980.
8-in Atlas du millénaire, éditions Hachette littérature.
9-in Esprit, Août/Septembre 2001.
10-in Les Nouveaux Rédempteurs, éditions de l’Atelier.
11-D'après un rapport 2004 du CCIFsur l'islamophobie en France, l'Etat, par l'intermédiaire de ses services (police, administrations) est la source principale de l'islamophobie. Nous estimons également que par son insistance prononcée sur les valeurs d'égalité républicaine et de laïcité, et son refus de principe d'une reconnaissance officielle des groupes culturels et de leur droit à revendiquer leur héritage, l'Etat et la classe dirigeante en général, s'accommode parfaitement de la discrimination et de l'exclusion sociale de groupe marginalisés. L'équation devient simple et cruellement efficace : les victimes d'exclusion dénonce la discrimination au nom de l'égalité des droits et réclament des droits et des mesures équitables de rééquilibrage sociale. Au nom de la même égalité républicaine, l'Etat refuse toute mesure discriminante, dû t’elle être positive, et nie l'existence même d'une différence culturelle. Il s'agit rien moins qu'une instrumentalisation identitaire de principe égalitaires et laïques destinée à perpétuer une exclusion déterminée de franges culturelles localisées, au moyen d'une rhétorique commode consistant à renverser la responsabilité et la culpabilité du dévoiement des valeurs nationales.