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Politique

Islam de France : « Le CFCM et le Forif doivent travailler ensemble pour construire un dialogue apaisé et efficace »

Rédigé par | Mercredi 19 Février 2025 à 09:30

           

Le Conseil français du culte musulman (CFCM), bien qu'enterrée dans son rôle d'interlocuteur des pouvoirs publics par le gouvernement, fait de la résistance. A l’occasion de la réunion plénière du Forum de l’islam de France (Forif) qui s’est tenue mardi 18 février, Saphirnews fait le point avec les deux co-présidents de l'instance, Mohammed Moussaoui et Ibrahim Alci, qui assurent que de nouvelles élections du CFCM seront organisées « avant la fin de l’année 2025 ».



Ibrahim Alci, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF, à gauche) et Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France (UMF) dirigent le Conseil français du culte musulmans (CFCM). © DR
Ibrahim Alci, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF, à gauche) et Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France (UMF) dirigent le Conseil français du culte musulmans (CFCM). © DR

Saphirnews : Comment se porte la société française à vos yeux en ce moment, notamment dans son rapport avec sa composante musulmane ?

Mohammed Moussaoui et Ibrahim Alci : La société française traverse une période de profondes mutations, marquées par des tensions identitaires et un débat récurrent sur la place de l’islam en France. Les musulmans de France participent en leur grande majorité pleinement à l’essor de leur pays et à sa prospérité. Ils font briller la France dans de nombreux domaines par leur talent et leur engagement citoyen.

À côté de cela, il existe des faits et comportement condamnables d’une minorité d’individus de confession musulmane réelle ou supposée. Des crispations autour des questions de laïcité, de visibilité du culte et de certaines politiques publiques font l’objet de débats publics récurrents et contribuent parfois à une perception biaisée et anxiogène, alors que la grande majorité des musulmans de France vivent leur foi de manière sereine et conforme aux principes républicains.

Une minorité agissante veut installer un climat de suspicion généralisée à l’égard des musulmans de France. Ces derniers se trouvent malgré eux dans une équation impossible : lorsqu' ils sont en retrait de la société pour des raisons diverses, ils sont accusés de « séparatisme », et lorsqu'au contraire ils sont au cœur même de la société et brillent par leur talent, ils sont accusés d’« entrisme » ou de « frérisme ».

Le défi est donc de renforcer la confiance mutuelle et d’apaiser les tensions en évitant toute stigmatisation injustifiée.

Le CFCM, en tant qu’organisation historique du culte musulman en France, conserve une légitimité issue de son rôle passé et de sa représentativité institutionnelle résultant d’une élection.

Il fut un temps question de dissoudre le CFCM mais il a été choisi la voie du maintien. Pourquoi tenez-vous tant à garder l'instance en place ? Quel rôle peut-elle encore jouer dans la configuration actuelle, sachant son rapport dégradé avec les pouvoirs publics ?

Mohammed Moussaoui et Ibrahim Alci : Il ne faut pas réduire le rôle du CFCM à la qualité de ses rapports avec les pouvoirs publics. Parmi les nombreux objectifs du CFCM inscrits dans ses statuts, il y a la défense des intérêts et la dignité du culte musulman en France par tous les moyens légaux, la réflexion sur des problématiques communes concernant le culte musulman en France et la recherche d’orientations partagées, favoriser le progrès et le rayonnement du culte musulman, développer le dialogue avec toutes les composantes de la société civile et avec les autres religions...

Dans ce périmètre très large de son action et malgré la faiblesse de ses moyens, ses nombreuses erreurs et lacunes, le CFCM peut défendre un bilan qui reste sûrement en deçà des attentes des musulmans de France, mais serait injuste de l’occulter complètement. Le CFCM a contribué à ancrer le culte musulman dans le paysage cultuel de notre pays. La Conférence des responsables des cultes de France (CRCF) a été créée à son initiative. Il a participé, aux côtés des responsables des autres cultes, dans le choix et la désignation de centaines d’aumôniers et aumônières dans l’armée, les hôpitaux et les prisons ainsi que la création des espaces de prières dans les hôpitaux et les aéroports.

Il a mis en exergue la problématique des actes antimusulmans après la signature d’une convention du CFCM avec le ministère de l’Intérieur pour un meilleur suivi de ces actes. De nombreuses condamnations par la justice ont été obtenues suite à l’action du CFCM. D’une manière générale, malgré la limite imposée par ses capacités budgétaires, le CFCM est néanmoins très actif dans la défense de la dignité des musulmans à travers de nombreux signalements, plaintes et réactions face au paroles et actes antimusulmanes.

Il a accompagné, via ses conseils régionaux, la création de centaines de mosquées en France dont le nombre est passé d’environ 1 500 en 2003 à près de 3 000 en 2024. Il a fait progresser la création de groupement de sépultures dans les cimetières communaux dont le nombre est passé de 70 en 2008 à plus de 600 en 2020.

Par ses prises de position et son engagement aux côtés des imams de France, de nombreux jeunes ont été préservés face aux propagandes des courants extrémistes. En s’associant avec les responsables religieux de la communauté juive de France, le CFCM a contribué à la préservation de l’abattage selon les rites qui est régulièrement attaqué en France et en Europe.

Ces derniers mois, la voix du CFCM était parmi les rares voix musulmanes à se joindre à celles de nombreux acteurs publics épris de paix et de justice pour dénoncer les atrocités commises contre les civils innocents en Israël et à Gaza et exiger un cessez-le-feu et une paix durable dans cette région du monde.

Le débat autour de la dissolution du CFCM a effectivement été posé, mais nous avons estimé qu’il était préférable de maintenir cette instance, malgré ses limites et les critiques formulées à son encontre.

Le CFCM, en tant qu’organisation historique du culte musulman en France, conserve une légitimité issue de son rôle passé et de sa représentativité institutionnelle résultant d’une élection. Son affaiblissement ne signifie pas pour autant qu’il doit être remplacé sans réflexion sur ce qui doit être préservé et amélioré. L’histoire nous apprend que la déstabilisation d’une structure ou entité existante, parce que non efficiente, sans avoir mieux préparé la suite des évènements, pourrait déboucher sur un éclatement, un vide abyssal et une déficience encore plus grave.

Nous sommes conscients que la relation avec les pouvoirs publics a connu des périodes de tension et qu’elle doit être rééquilibrée sur des bases plus saines et constructives.

Continuez-vous à revendiquer la légitimité de votre rôle d'interlocuteur de l'État ?

Mohammed Moussaoui et Ibrahim Alci : Le CFCM a été créé par la volonté des organisations musulmanes de France, fédérations, grandes mosquées et personnalités musulmanes, dans un dialogue avec les pouvoirs publics. Son actuelle composition est élue par les représentants des mosquées de France pour un mandat de six ans qui arrivera à son terme en janvier 2026.

Depuis janvier 2020, le CFCM a fait l’objet d’une réforme profonde concernant sa mission et son mode de gouvernance. L’essentiel des causes de ses insuffisances et ses blocages a été corrigé. Un débat sur un éventuel changement du nom du CFCM a été ouvert et sera tranché après la consultation des responsables des départements sur la pertinence d’une telle évolution.

Dès lors, nous avons du mal à comprendre le fondement du désengagement unilatéral des pouvoirs publics à l’égard du CFCM. Ce dernier reste, malgré ses insuffisances, le représentant légitimement élu par les responsables du culte musulman.

Nous sommes également conscients que la relation avec les pouvoirs publics a connu des périodes de tension et qu’elle doit être rééquilibrée sur des bases plus saines et constructives.

Le dialogue avec l’État ne doit pas être perçu comme une dépendance, mais comme une nécessité pour organiser le culte dans un cadre respectueux des principes de la République. Nous plaidons donc pour une collaboration fondée sur la reconnaissance mutuelle des prérogatives de chacun et notamment le respect de l’autonomie du culte musulman.

Le CFCM, le FORIF et l’ensemble des acteurs concernés doivent travailler ensemble pour construire un dialogue apaisé et efficace. L’objectif n’est pas de créer des divisions mais bien de trouver des solutions aux défis qui se posent à l’islam en France aujourd’hui.

Quel regard portez-vous sur le Forif après trois ans d'existence ?

Mohammed Moussaoui et Ibrahim Alci : Trois ans après sa création, le Forif s’est imposé comme un espace de concertation et de dialogue utile. Comme son ancêtre « l’instance du dialogue avec l’islam de France » mise en place, en 2015, par Bernard Cazeneuve, il a permis d’associer des acteurs de terrain, d’institutions et de représentants du culte dans une réflexion collective sur l’avenir de l’islam en France.

Le CFCM, qui était pleinement associé à « l’instance du dialogue avec l’islam de France », ne peut que se réjouir de l’engagement de nombreux nouveaux acteurs, animés de bonnes intentions, dans la recherche de solutions et de réponses aux attentes des musulmans de France. Toutefois, de par son format, sa vocation première et le périmètre de son action, le FORIF ne peut se substituer à toutes les institutions musulmanes de France. Mais il peut sûrement en être complémentaire et utile.

Le CFCM, le FORIF et l’ensemble des acteurs concernés doivent travailler ensemble pour construire un dialogue apaisé et efficace. L’objectif n’est pas de créer des divisions mais bien de trouver des solutions aux défis qui se posent à l’islam en France aujourd’hui.

La diversité des sensibilités au sein de la communauté musulmane doit être une richesse et non un facteur de division. L’avenir du culte musulman en France passe par la concertation, la responsabilité et une meilleure articulation entre les différentes structures existantes. Nous devons avancer dans un esprit de clarté, de sérénité et de responsabilité afin de garantir une organisation stable et efficace du culte musulman en France.

Des élections au CFCM ont été annoncées, qu'en est-il ? Quelles sont vos priorités ?

Mohammed Moussaoui et Ibrahim Alci : Les élections du CFCM ont été annoncées et doivent permettre de redonner un nouvel élan à cette institution. Un nouveau règlement électoral a été voté à l’unanimité avec l’objectif d’assurer une représentativité plus large et plus démocratique des acteurs du culte, tout en tenant compte des évolutions récentes du paysage institutionnel. Les élections auront lieu avant la fin du mandat en cours, c’est-à-dire avant la fin de l’année 2025.

Nos priorités dans ce cadre visent à renforcer la légitimité du CFCM en impliquant davantage les mosquées et les acteurs locaux ; à clarifier le rôle du CFCM dans l’organisation du culte, notamment en complément aux différentes institutions musulmanes de notre pays ; à travailler sur les dossiers structurants comme la formation des imams, les aumôneries, la gestion des lieux de culte, le cadre juridique du halal, la lutte contre les discriminations ; et enfin, à apaiser les relations avec l’État tout en affirmant l’indépendance du culte musulman dans son organisation interne.

Nous restons attachés à un islam en France organisé, structuré et pleinement inscrit dans les valeurs de la République.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur

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