Points de vue

Islam de France, la réforme de la dernière chance

Rédigé par Mohammed Chirani | Samedi 29 Septembre 2018 à 09:00



Les attentats terroristes de 2015 et 2016 ont poussé une nouvelle génération de citoyens français de confession musulmane à s'engager dans la lutte contre la radicalisation. Révolté d'être pris en otage, ainsi que ma religion, par une idéologie radicale, je fais partie de ceux qui ont choisi d’œuvrer pour la réforme de l'organisation de l'islam de France afin de contribuer à un meilleur vivre-ensemble.

Les organisations « représentatives » de l’islam de France, réunissant des personnalités éloignées des réalités de notre pays, davantage attachées à leur pays d’origine qu’à celui de leurs enfants, ont été incapables de répondre aux questionnements d'une partie de la jeunesse, tentée de céder aux sirènes d’une idéologie, le salafisme, dont la propagande peut compter sur les moyens de l’Arabie saoudite, et a su se développer sur internet et les réseaux sociaux et s’adapter au langage de la jeunesse.

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Un islam de France plongé en pleine crise d’adolescence

Bien que les salafistes soient, dans leur majorité, des piétistes condamnant la violence des groupes jihadistes, leur idéologie entretient en effet une dangereuse tentation au sein d’une jeunesse en pleine crise identitaire : celle de la rupture avec la société. Le wahhabisme saoudien exporté vers l’Occident porte ainsi en lui les germes de la radicalisation et sape les fondements du vivre-ensemble. Sa version la plus extrême, le salafisme jihadiste, a réussi à retourner les plus radicalisés contre leurs concitoyens et leur propre pays, la France.

N'oublions pas que le terrorisme, en favorisant la montée de l’islamophobie et la polarisation de la société, a failli faire vaciller la République dans ses fondements démocratiques et ses valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité (débats sur la déchéance de la nationalité, État d'urgence et scores élevés de l'extrême droite aux élections). Dans ce moment décisif, nous devons nous positionner clairement face à cette question simple : « L’État doit-il intervenir dans l'organisation du culte musulman ou doit-il rester neutre, au nom de la laïcité ? »

Le principe de laïcité adopté en 1905 a émergé dans un contexte conflictuel entre l’État et l’Église catholique, à un moment où l'islam était absent du paysage social et politique français. Modeste présence embryonnaire et symbolique au début du siècle, l’islam est devenu, en moins de 50 ans, la deuxième religion du pays. En comparaison, et sur l’échelle de l’histoire de la France, le christianisme compte à son actif 18 siècles de présence sur le territoire. Quant au judaïsme et au protestantisme, leur présence est respectivement attestée depuis le Ier et le XVe siècle. L’islam est le petit dernier. Un enfant né en France il y a tout juste un demi-siècle, et actuellement plongé en pleine crise d’adolescence.

Une réforme radicale est rendue indispensable par la crise de l'islam institutionnel des parents – les chibanis –, incarné par les organisations rassemblées au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Une génération dépassée par le discours radical prôné par une jeunesse en rupture.

Une réforme de la dernière chance doit être conduite à son terme

Sous peine de voir le pays sombrer dans une crise majeure, le président de la République Emmanuel Macron devra esquisser les contours d’une réforme révolutionnaire afin de faire émerger un islam de France capable d’endiguer l’idéologie radicale wahhabite.

Après l'initiative des Assises territoriales sur l'islam lancée par le ministre de l'Intérieur, le rapport de l'Institut Montaigne intitulé « La fabrique de l'islamisme » et les recommandations qu’il soumet à la réflexion collective peuvent permettre de s’approcher d’une réponse qui soit la plus pertinente possible aux défis qui nous sont posés.

Proposant des pistes qui remettent en cause le statu quo et les pouvoirs en place, il suscite de virulentes critiques de la part des responsables du CFCM qui sentent le vent tourner, des militants qui souhaitent s’arroger un monopole de la parole sur l’islam, et de tous les acteurs qui trouveraient leur intérêt à ce que l’opacité des flux financiers liés aux business du halal et du pèlerinage ne soit pas remise en cause. Son auteur, Hakim El Karoui, esquisse des propositions audacieuses qui permettraient non seulement d’apporter un surcroît de transparence dans les marchés qui intéressent les croyants musulmans, mais aussi, partant, de financer une entreprise nationale d’édification d’un islam authentiquement français, émancipé des influences étrangères sur le plan de l’organisation comme sur celui du dogme.

Cette réforme de la dernière chance doit être conduite à son terme car il en va de l'avenir de la France, de la République et du vivre ensemble. Seule une alliance intelligente entre les jeunes musulmans réformistes, l’État et la société civile sera apte à faire triompher un islam des Lumières qui garantira l'acculturation de cette jeune religion et posera les bases d'une coexistence pacifique pour les décennies à venir.

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Mohammed Chirani est essayiste. Il est notamment l’auteur Islam de France, la République en échec (Fayard, 2017).

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