Religions

Islam de France : le non à la charte réaffirmé par trois fédérations au CFCM, elles s'en expliquent

Rédigé par | Lundi 1 Février 2021 à 20:05

Les trois fédérations non-signataires de la charte des principes pour l'islam de France au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM) persistent et signent leur refus d'adhérer à la charte des principes pour l’islam de France en l'état. Elles l'ont fait savoir lundi 1er février, exposant en détail leurs multiples points de désaccord. Ce faisant, elles prennent le leadership de la contestation de la charte parmi les musulmans de France. Gérald Darmanin n'entend pas baisser la pression. Le ministre de l’Intérieur a d'ores et déjà menacé les non-signataires.



Le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), la Confédération islamique Milli Görüs (CIMG) et Foi & Pratique ont fait part de leur refus de signer en l’état la « charte des principes pour l’islam de France » présentée à l’Elysée dès le 18 janvier. Alors que l’échéance des 15 jours, fixée par l’Elysée au CFCM pour obtenir leur signature, est arrivée, elles campent sur leurs positions, regrettant une « gestion expéditive » de cette affaire.

Lire ici ce que proclame la charte des principes pour l’islam de France

« La signature précipitée de la charte et les différentes déclarations ont malheureusement conduit à la perception d’un projet imposé par le haut, sans l’approbation de la base et notamment des acteurs concernés qui sont les imams », ont-elles fait valoir dans un communiqué commun lundi 1er février, jour où les débats autour du projet de loi contre le séparatisme ont débuté dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.

Elles ont adressé, lundi 1er février, leurs observations et réserves, très nombreuses, à la présidence du Conseil français du culte musulman (CFCM) dont Saphirnews a dévoilé le contenu dans son intégralité ici et en appellent à des amendements afin d'envisager une quelconque signature.

De multiples désaccords exposés

« L’usage d’un discours marginalisant les musulmans et les imams, la généralisation de comportements inacceptables perpétrés par des individus isolés à la totalité de la communauté musulmane entameraient sérieusement le crédit de cette charte et donc celui du Conseil national des imams », ont estimé le CCMTF, Milli Görüs et Foi & Pratique, en préambule. « De la même manière, l’usage de propos abstraits pouvant jeter le doute sur les musulmans et ouvrant la voie à des interprétations différentes risque également de nuire à l’acceptation de cette charte et de ce Conseil par les musulmans. »

Certains articles de la charte sont jugés « infondés et outrepassant ses objectifs », à commencer par le titre de la charte, estimant que le concept d’« islam de France » induit « une distinction de l’islam au niveau national (qui) ne saurait être une dénomination correcte ».

Par ailleurs, « dans cette charte, la croyance religieuse et la Constitution sont mentionnées sur le même plan et présentées comme des systèmes contradictoires. Cette méthode n’est pas en accord avec la laïcité puisqu’elle mélange des domaines séparés par la loi et présume que toutes les organisations musulmanes, sans aucune distinction, sont opposées à la Constitution », ont-elles affirmé.

La mention de l’homosexualité dans la charte « contredit les principes de la foi musulmane », écrivent-elles aussi. « La religion musulmane considère l’homosexualité comme un péché. C’est une question sur laquelle l’individu sera jugé dans l’au-delà suivant sa responsabilité individuelle, sa conscience et sa foi. Ainsi, il n’appartient pas à une organisation musulmane ou un imam de punir, d’employer la violence, d’exclure ou d’insulter un individu qui commet un péché, quel qu’il soit », ont souligné les fédérations.

« Certains peuvent considérer comme discriminatoire le fait qu’une religion désigne, en se référant à ses sources, l'homosexualité comme un péché. Pour autant, cela ne leur donne pas le droit de s’immiscer dans les affaires internes, les croyances, le culte et les pratiques de cette religion. La compréhension et le respect sont de mise. »

De même, la présence du terme « misogynie » « renvoie à un préjugé répandu à propos de l’islam et des musulmans, utilisé par les critiques de l’islam et les milieux islamophobes » et sa mention « signifierait l’acceptation d’un parti pris stéréotypé ».

Concernant la lutte « contre l’idéologie du takfir, (anathème), qui est souvent le prélude à la légitimation du meurtre » édictée dans l’article 5, elles assurent qu’il s’agit d’« une approche étrangère à la réalité de la vie religieuse et sociale des musulmans ». « Convaincus qu’il n’y a pas de contrainte en religion, nous considérons le rejet de la violence, qui est la forme la plus intense de coercition, comme une exigence de notre foi », déclarent-elles.

« Il n’existe pas de mécanisme d’enregistrement, de suivi et de sanction de ceux qui acceptent ou rejettent la foi musulmane. L’appel au respect des choix des personnes dans les lieux de culte et les familles, tel que mentionné dans cet article, sous-entend que nos organisations aient adopté une position différente jusqu’à présent. Or, nos organisations rejettent catégoriquement ce genre d’idéologie depuis toujours et rappelle, une fois de plus, qu’il appartient à la justice de notre pays de sanctionner ces dérives inacceptables. »

L’article 6 et 9 portant sur l’islam politique et le racisme d’Etat décriés

L’article 6 portant sur « le rejet de toutes les formes d’ingérence et de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques » est appelé, sans surprise, à être fortement amendé. La définition de l’islam politique, désignant dans la charte « les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément salafisme (wahhabisme), le Tabligh ainsi que ceux liés à la pensée des Frères musulmans et des courants nationalistes qui s’y rattachent », est clairement rejetée. Pour les non-signataires, elle « ne peut rester en l’état puisqu’il laisse un champ très large de possibilités aux amalgames entre les croyants notamment pratiquants et les extrémistes qui dévoient l’islam pour leurs propres objectifs ».

« Tout comme l’implication et l’activisme des croyants chrétiens, juifs ou bouddhistes ne sont pas considérés comme du communautarisme ou séparatisme, ni qualifié de "christianisme politique", de "judaïsme politique" ou de "bouddhisme politique", il devrait en être de même pour les musulmans. Toutes les pratiques religieuses devraient être protégées de la même manière dans le cadre de la liberté religieuse de notre Constitution », déclarent-elles, estimant le concept d'« islam politique » tel que stipulé dans la charte comme une restriction des « droits d’accès des musulmans ou des organisations musulmanes au débat social ou politique puisqu’ils pourront être accusés de faire de l'"islam politique" et empêchés d’exercer leurs droits démocratiques. Cela peut aussi les exposer à la discrimination et criminaliser leurs opinions ».

Condamnant « le détournement de notre religion par certains groupuscules ou organisations criminelles », les trois fédérations préfèrent l’usage de l’expression « extrémistes abusant de la religion contre l’ordre constitutionnel » contre lesquels il faut s’opposer. Une appellation « plus précise » qui « permet d’éviter les amalgames dont les musulmans pourraient être victimes, alors que ces derniers contribuent chaque jour au bon vivre ensemble ».

Quant à l’article 9 portant sur la « lutte contre la haine antimusulmane », les fédérations estiment que le futur CNI « n’a nullement compétence en la matière pour affirmer ou infirmer s’il y a un racisme d’Etat ou un racisme institutionnalisé, s’il y a diffamation ou pas ». « La diffamation publique est un délit encadré par la loi, et il revient aux parties ou institutions concernées de saisir la justice », indiquent-elles, rappelant que la liberté d’expression est « un droit fondamental ».

Par ailleurs, « aucune association religieuse ne peut se substituer aux organisations spécialisées dans le relevé des actes racistes, islamophobes, ou antisémites et qui sont les mieux placées pour affirmer ou infirmer un racisme institutionnel ».

L'ensemble de leurs critiques détaillées sont exposées ici.

Le ministre de l’Intérieur menace les non-signataires

Enfin, sur l’article 10 menaçant les fédérations qui ne respectent la charte d’« exclusion de toutes les instances représentatives de l’islam de France », les termes sont « d’abord antidémocratiques laissant la possibilité à deux fédérations qui se mettraient d’accord d’entamer une procédure d’exclusion en se donnant la possibilité d’en définir le contenu ».

En outre, « donner le rôle de pilotage de la procédure contradictoire à la partie accusatrice, c’est-à-dire au deux fédérations qui ouvrent l’enquête et déterminent le contenu, est également antidémocratique et contraire au principe le plus élémentaire du droit qui est le respect du principe de ne pas être juge et partie en même temps dans une affaire ». Une exclusion des instances musulmanes, si elle devait être prononcée, « représente un esprit totalitaire inacceptable ».

« Nous formons le vœu que nos observations contribuerons à l’amélioration de cette charte, afin qu’elle puisse être reconnue et adoptée par tous », ont signifié le CCMTF, Milli Görüs et Foi & Pratique. Encore faut-il que leurs « observations » puissent être prises en compte par l’ensemble des fédérations signataires.

La fracture au sein du CFCM est nette. En attendant une réaction officielle de la présidence de l'instance, Gérald Darmanin ne s’est pas privé d’avertir les non-signataires s’ils persistent dans leur refus de signer la charte. « Nous allons regarder particulièrement ce qui va se passer dans les lieux de culte qu’ils gèrent car nous n’aurons pas la main qui tremblent lorsque ceux-ci auront ici ou là des actions ou des paroles qui sont contre les valeurs de la République », a-t-il affirmé sur France Inter lundi 1er février.

Les fédérations devraient-elles être exclues du CFCM à terme ? Oui, pour le ministre. Il estime que l’Etat ne pourra « plus discuter » avec les fédérations « qui ne peuvent pas écrire sur un papier qu’ils sont parfaitement compatibles avec les lois de la République, que les lois de la République sont supérieures à la loi de Dieu ».

Or, ces fédérations ne sont pas les seules à s'opposer à la charte en France. Plusieurs mosquées de la région parisienne ont signé leur communiqué du jour signé par le trio. Ailleurs, en France, des responsables musulmans ont aussi fait savoir leur opposition à la signature de la charte, à l'instar du Conseil des mosquées du Rhône, présidé par la Grande Mosquée de Lyon.

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur