Normalien, agrégé de philosophie, Souleymane Bachir Diagne est professeur de philosophie et d’études francophones à Columbia University (New York).
Qu'est-ce que le pluralisme ? On dira avec les dictionnaires (le mot n’apparaît pas dans les dictionnaires français avant le premier tiers du XXe siècle) que c’est la reconnaissance et l’acceptation du fait qu’il existe plusieurs modes de pensée, d’opinions…, qu’il y a, en particulier, plusieurs religions ou plusieurs manières de comprendre une religion qui, toutes, sont valides.
Il n’est, bien sûr, pas facile d’adhérer avec sincérité à l’idée que d’autres manières d’entendre la religion sont tout aussi valides que celle en laquelle on se reconnaît.
Avant d'explorer la difficulté que cela présente, on s’avisera utilement qu’être pluraliste n’est pas dire qu’il n’existe pas de vérité qui vaille universellement ; c’est dire que la vérité se réfracte de manière plurielle en des lectures qui, toutes, la manifestent.
Par conséquent, l’antipluralisme est non pas l’universalisme, mais le monisme : l’affirmation, vite fanatique et violente, qu’il y a une lecture hors de laquelle il n’y a que diverses manières de tomber dans le contresens, dans l’hérésie ou dans l’infidélité.
Regardons ces distinctions quelque peu abstraites à la lumière d’un exemple. Une tradition dite des soixante-treize sectes rapporte que le Prophète de l’islam a annoncé que sa communauté – la umma islamique – finirait dans la division en soixante-treize sectes (soixante-douze, selon une autre version du même hadith), dont une seule serait sauvée. Quelle secte sera sauvée est donc bien la question qu’il est urgent de se poser. Et il est probablement naturel que chacun pense qu’il s’agit de la sienne. Eh bien, on peut soutenir que celle d’entre les soixante-treize qui sera sauvée est la soixante-quatorzième, et l’appeler celle des « pluralistes » pour ainsi l’opposer à celle des « puristes ».
Le paradoxe qu’il y aurait à parler d’une soixante-quatorzième secte n’est qu’apparent. Ceux qui sont naturellement inscrits, en général suivant la tradition où ils sont accidentellement nés, dans une des sectes – ils seront ainsi chiites, sunnites, ismaéliens, zaydites, etc. – peuvent s’éduquer à comprendre que la pluralité n’est pas le signe de la déviation d’un sens authentique que l’on croit détenir soi-même dans sa pureté originelle.
Pour cela, ils pourront utilement se rappeler ce que le Coran dit de l’attitude d’exclusion des autres lectures et celle d’enfermement dans sa propre « pureté » supposée, laquelle, souvent, conduit à la violence contre le pluriel, le différent. « Ne soyez pas parmi ceux qui ont divisé leur religion, sont devenus des sectes, chaque parti exultant de ce qu’il détenait », dit ainsi le verset 32 de la sourate 30 ; tandis que le verset 49 de la sourate 4 précise : « N’as-tu pas vu ceux-là qui se déclarent purs ? Mais c’est Dieu qui purifie qui Il veut. »
La soixante-quatorzième secte sera donc celle de ceux qui, tout en appartenant pleinement à la leur, se seront éduqués à une conception non sectaire, c’est-à-dire non exclusiviste, de la vérité.
Difficile ? Rien ne l’est davantage quand il s’agit de foi. C’est justement pour cette raison qu’elle doit aussi s’éclairer d’une éducation au pluralisme, qui, au-delà de la querelle des sectes, embrasse toutes les religions et l’irreligion même. Une telle éducation est tâche nécessaire à la compréhension de ce que veut dire faire la paix avec soi, avec Dieu et avec les humains. N’est-ce pas ce que signifie « islam » ?
* Souleymane Bachir Diagne est professeur de philosophie et d’études francophones à Columbia University (New York). Il est l’auteur d’Islam et société ouverte, la fidélité et le mouvement dans la pensée de Muhammad Iqbal (Maisonneuve et Larose, 2001) et de Comment philosopher en islam ? (Éd. du Panama, 2008).
Il n’est, bien sûr, pas facile d’adhérer avec sincérité à l’idée que d’autres manières d’entendre la religion sont tout aussi valides que celle en laquelle on se reconnaît.
Avant d'explorer la difficulté que cela présente, on s’avisera utilement qu’être pluraliste n’est pas dire qu’il n’existe pas de vérité qui vaille universellement ; c’est dire que la vérité se réfracte de manière plurielle en des lectures qui, toutes, la manifestent.
Par conséquent, l’antipluralisme est non pas l’universalisme, mais le monisme : l’affirmation, vite fanatique et violente, qu’il y a une lecture hors de laquelle il n’y a que diverses manières de tomber dans le contresens, dans l’hérésie ou dans l’infidélité.
Regardons ces distinctions quelque peu abstraites à la lumière d’un exemple. Une tradition dite des soixante-treize sectes rapporte que le Prophète de l’islam a annoncé que sa communauté – la umma islamique – finirait dans la division en soixante-treize sectes (soixante-douze, selon une autre version du même hadith), dont une seule serait sauvée. Quelle secte sera sauvée est donc bien la question qu’il est urgent de se poser. Et il est probablement naturel que chacun pense qu’il s’agit de la sienne. Eh bien, on peut soutenir que celle d’entre les soixante-treize qui sera sauvée est la soixante-quatorzième, et l’appeler celle des « pluralistes » pour ainsi l’opposer à celle des « puristes ».
Le paradoxe qu’il y aurait à parler d’une soixante-quatorzième secte n’est qu’apparent. Ceux qui sont naturellement inscrits, en général suivant la tradition où ils sont accidentellement nés, dans une des sectes – ils seront ainsi chiites, sunnites, ismaéliens, zaydites, etc. – peuvent s’éduquer à comprendre que la pluralité n’est pas le signe de la déviation d’un sens authentique que l’on croit détenir soi-même dans sa pureté originelle.
Pour cela, ils pourront utilement se rappeler ce que le Coran dit de l’attitude d’exclusion des autres lectures et celle d’enfermement dans sa propre « pureté » supposée, laquelle, souvent, conduit à la violence contre le pluriel, le différent. « Ne soyez pas parmi ceux qui ont divisé leur religion, sont devenus des sectes, chaque parti exultant de ce qu’il détenait », dit ainsi le verset 32 de la sourate 30 ; tandis que le verset 49 de la sourate 4 précise : « N’as-tu pas vu ceux-là qui se déclarent purs ? Mais c’est Dieu qui purifie qui Il veut. »
La soixante-quatorzième secte sera donc celle de ceux qui, tout en appartenant pleinement à la leur, se seront éduqués à une conception non sectaire, c’est-à-dire non exclusiviste, de la vérité.
Difficile ? Rien ne l’est davantage quand il s’agit de foi. C’est justement pour cette raison qu’elle doit aussi s’éclairer d’une éducation au pluralisme, qui, au-delà de la querelle des sectes, embrasse toutes les religions et l’irreligion même. Une telle éducation est tâche nécessaire à la compréhension de ce que veut dire faire la paix avec soi, avec Dieu et avec les humains. N’est-ce pas ce que signifie « islam » ?
* Souleymane Bachir Diagne est professeur de philosophie et d’études francophones à Columbia University (New York). Il est l’auteur d’Islam et société ouverte, la fidélité et le mouvement dans la pensée de Muhammad Iqbal (Maisonneuve et Larose, 2001) et de Comment philosopher en islam ? (Éd. du Panama, 2008).