La sidérante différence de traitement journalistique entre deux attaques terroristes survenues dans nos sociétés occidentales en l’espace de quelques jours (l’usine à gaz en Isère et le massacre dans l’église noire) nous a offert une autre démonstration en temps réel, malheureusement superbe, de la façon dont la question du terrorisme est systématiquement et cyniquement manipulée.
Un problème systémique qui va bien au-delà des médias
Mais même si cela seul serait déjà inacceptable, il y a pire que le traitement journalistique par nos faiseurs d’opinions : ce n’est pas seulement tout le système médiatique qui est biaisé, mais également la police, les gouvernements et les systèmes judiciaires eux-mêmes. Jugeons-en...
Chose presque inconcevable mais pourtant véridique : le lundi 22 juin, le célèbre rappeur noir Puff Daddy est légalement accusé de « menace terroriste »... pour une simple altercation avec un entraîneur de football. Même pas une bagarre, aucune agression physique ni blessure, mais une dispute un peu vive suite à laquelle le coach a porté plainte. La police de Californie a de suite chargé « Diddy » de crime « terroriste wp_login_redirect=0 » en rapport à une menace qu’il aurait proférée.
Or, dans la même période, Dylann Roof, qui, lui, a bel et bien tué froidement neuf Noirs dans leur église en déclarant vouloir « provoquer une guerre raciale », échappe judiciairement à cette accusation de crime terroriste !
Encore mieux : le directeur du FBI, James Cromey, vient en personne porter secours au jeune suprémaciste blanc en déclarant que le massacre de Charleston « n’est pas du terrorisme », alors même que la définition du FBI correspond point par point à cette tuerie ! On en reste sidéré...
Ici comme là-bas, la classe politique tout entière participe, elle aussi, de ce déni et de ce double discours : sans concession et hyperbolique lorsque les criminels sont musulmans, mais passive et euphémistique lorsque les victimes sont musulmanes, arabes ou noires.
En France, combien d’hommes politiques, de médias, de think-tanks, ou de pseudo-experts plateaux télévisés qualifient d’ « actes terroristes » la vague de menaces de mort, d’agressions physiques, de mitraillages de mosquées et d’incendies criminels qui s’abat sans relâche depuis des années sur les musulmans ? Aucun.
Chose presque inconcevable mais pourtant véridique : le lundi 22 juin, le célèbre rappeur noir Puff Daddy est légalement accusé de « menace terroriste »... pour une simple altercation avec un entraîneur de football. Même pas une bagarre, aucune agression physique ni blessure, mais une dispute un peu vive suite à laquelle le coach a porté plainte. La police de Californie a de suite chargé « Diddy » de crime « terroriste wp_login_redirect=0 » en rapport à une menace qu’il aurait proférée.
Or, dans la même période, Dylann Roof, qui, lui, a bel et bien tué froidement neuf Noirs dans leur église en déclarant vouloir « provoquer une guerre raciale », échappe judiciairement à cette accusation de crime terroriste !
Encore mieux : le directeur du FBI, James Cromey, vient en personne porter secours au jeune suprémaciste blanc en déclarant que le massacre de Charleston « n’est pas du terrorisme », alors même que la définition du FBI correspond point par point à cette tuerie ! On en reste sidéré...
Ici comme là-bas, la classe politique tout entière participe, elle aussi, de ce déni et de ce double discours : sans concession et hyperbolique lorsque les criminels sont musulmans, mais passive et euphémistique lorsque les victimes sont musulmanes, arabes ou noires.
En France, combien d’hommes politiques, de médias, de think-tanks, ou de pseudo-experts plateaux télévisés qualifient d’ « actes terroristes » la vague de menaces de mort, d’agressions physiques, de mitraillages de mosquées et d’incendies criminels qui s’abat sans relâche depuis des années sur les musulmans ? Aucun.
Des classes politiques dans le déni
Le journaliste américain Juan Cole a recensé, non sans humour, toute une série de différences systématiques, de distorsions, préjugés, dénis, et deux poids-deux mesures selon que l’auteur d’un acte terroriste est musulman ou pas. Son « Top Ten » s’applique en tout point aux mœurs journalistiques et politiques françaises en matière de terrorisme.
Tandis que le traitement médiatique de ce « terrorisme-à-géométrie-variable » est bel et bien coupable d’un niveau aberrant de déséquilibre, d’hypocrisie et de malhonnêteté, le comportement des politiques est encore pire.
Exemples types de ce déni délibéré dès lors que le terroriste est non pas un musulman mais un
Américain blanc « de souche », Barack Obama, qui parle simplement de « meurtres insensés », ou les sénateurs Tim Scott de la Caroline du Sud et l’influent Lindsey Graham.
En réponse à l’attentat du marathon de Boston en 2012, qui fit trois morts, Graham désigna de suite les auteurs présumés (les deux frères Tsarnaev) comme des « combattants-ennemis potentiels » (au même titre qu’Al Qaïda) devant être immédiatement « interrogés par nos services » afin de leur faire livrer des « informations possibles sur leurs réseaux terroristes en vue d’empêcher d’autres attaques éventuelles », précisant sur un ton dramatique que « la nation est en danger ». Par la suite, Graham se distingua par l’association qu’il fit entre l’attaque des deux frères et leur supposée religion musulmane.
Mais à la suite de l’attentat de Charleston, c’est en des termes bien différents que ce même sénateur s’exprima et évalua la situation. Là, plus de « danger terroriste » en vue ni de « réseaux, mouvances [suprémacistes d’extrême droite etc.] plus larges ». Pour notre sénateur devenu soudain bigleux, aucune « menace sur la nation » ni de connexion entre l’idéologie sudiste-suprémaciste de Roof et sa tuerie. Pas même de « terroriste », mais simplement (formulation euphémistique typique du déni) un de ces « gosses paumés (whacked out kid) », un « jeune homme largué, mais rien de plus ».
En somme, pas de quoi en faire un drame, même en plein milieu d’une hallucinante vague de meurtres et lynchages d’hommes mais aussi de femmes noires innocentes, tant par la police que par des « vigilantes » autoproclamés. Listes très partielles ici ici, ici, et ici.
Barack Obama fait même plus fort : à la suite de l’attentat en Isère, il envoie un message de sympathie pour la France, condamnant « avec la plus grande force les attaques terroristes odieuses » survenues en France et en Tunisie, alors même qu’il s’obstine toujours à refuser de nommer « terroriste » la tuerie de Dylann Roof dans son propre pays contre ses propres citoyens !
Même aveuglement et attitude honteusement sélective vis-à-vis du terrorisme de la part des Nations unies, qui condamne les attaques en France, en Tunisie et au Koweit, sans dire un seul mot sur l’attaque contre l’église de Charleston.
Tandis que le traitement médiatique de ce « terrorisme-à-géométrie-variable » est bel et bien coupable d’un niveau aberrant de déséquilibre, d’hypocrisie et de malhonnêteté, le comportement des politiques est encore pire.
Exemples types de ce déni délibéré dès lors que le terroriste est non pas un musulman mais un
Américain blanc « de souche », Barack Obama, qui parle simplement de « meurtres insensés », ou les sénateurs Tim Scott de la Caroline du Sud et l’influent Lindsey Graham.
En réponse à l’attentat du marathon de Boston en 2012, qui fit trois morts, Graham désigna de suite les auteurs présumés (les deux frères Tsarnaev) comme des « combattants-ennemis potentiels » (au même titre qu’Al Qaïda) devant être immédiatement « interrogés par nos services » afin de leur faire livrer des « informations possibles sur leurs réseaux terroristes en vue d’empêcher d’autres attaques éventuelles », précisant sur un ton dramatique que « la nation est en danger ». Par la suite, Graham se distingua par l’association qu’il fit entre l’attaque des deux frères et leur supposée religion musulmane.
Mais à la suite de l’attentat de Charleston, c’est en des termes bien différents que ce même sénateur s’exprima et évalua la situation. Là, plus de « danger terroriste » en vue ni de « réseaux, mouvances [suprémacistes d’extrême droite etc.] plus larges ». Pour notre sénateur devenu soudain bigleux, aucune « menace sur la nation » ni de connexion entre l’idéologie sudiste-suprémaciste de Roof et sa tuerie. Pas même de « terroriste », mais simplement (formulation euphémistique typique du déni) un de ces « gosses paumés (whacked out kid) », un « jeune homme largué, mais rien de plus ».
En somme, pas de quoi en faire un drame, même en plein milieu d’une hallucinante vague de meurtres et lynchages d’hommes mais aussi de femmes noires innocentes, tant par la police que par des « vigilantes » autoproclamés. Listes très partielles ici ici, ici, et ici.
Barack Obama fait même plus fort : à la suite de l’attentat en Isère, il envoie un message de sympathie pour la France, condamnant « avec la plus grande force les attaques terroristes odieuses » survenues en France et en Tunisie, alors même qu’il s’obstine toujours à refuser de nommer « terroriste » la tuerie de Dylann Roof dans son propre pays contre ses propres citoyens !
Même aveuglement et attitude honteusement sélective vis-à-vis du terrorisme de la part des Nations unies, qui condamne les attaques en France, en Tunisie et au Koweit, sans dire un seul mot sur l’attaque contre l’église de Charleston.
Au moins quatre facteurs explicatifs
Les cas Craig Hicks, Anders Breivik, et Dylann Roof illustrent donc au moins quatre facteurs qui expliquent pourquoi le mot « terrorisme » en est venu à ne désigner que les actes commis par des musulmans.
1. Les autres ne sont tout simplement pas qualifiés de « terroristes » mais sont traités comme des criminels communs.
2. À ce titre, leurs attentats reçoivent une fraction infime, et en plus sur une très brève durée, de la couverture médiatique insensée donnée aux quelques rares attaques « jihadistes » dans nos pays. Politiquement, ils ne font jamais l’objet du branle-bas de combat national et international auquel on assiste dans des cas comme les frères Kouachi.
3. Leurs attaques ne sont jamais resituées dans les configurations et les formes de terrorismes structurés dont ils font pourtant bel et bien partie, comme cette vague résurgente du terrorisme d’extrême droite anti-minorités et anti-gouvernemental, groupes racistes, néo-klaniques, « souverainistes », islamophobes, ou suprémaciste blanc, occidentaliste et chrétien ‒ mouvance terroriste transnationale plurielle et diverse qui relie en droite ligne Timothy McVeigh et Anders Breivik à ces deux dernières attaques de Chapel Hill et Charleston) Jamais l’on n’essentialise et jamais l’on n’extrapole leurs attaques à des communautés entières, par exemple en attribuant leurs actes à une religion tout entière comme c’est le cas dès que le terroriste se revendique islamique, alors que Roof et les autres se revendiquent également chrétiens.
4. Dès qu’un terroriste musulman se réclame de « Daesh », on parle de « jihadisme », de terrorisme « islamiste ». Mais jamais, au grand jamais, lorsque des tueurs comme Roof, Breivik assassinent au nom de la « défense de l’Occident chrétien » ou les commandos anti-avortement US font sauter les cliniques et exécutent infirmières et docteurs au nom du « droit à la vie » en invoquant la Bible, on ne parle de terrorisme « christianiste ».
De même, jamais les fidèles chrétiens, les églises évangéliques ou catholiques, le Vatican, le Pape ou une quelconque autorité cléricale ne sont sommés de « s’exprimer », de « condamner », de manifester leur désapprobation face aux actes terroristes se revendiquant de leur religion, alors que c’est le cas des musulmans.
McVeigh, Breivik, Hicks, Roof et tous les autres nous sont présentés comme des cas isolés, des « déments » sans rapport les uns avec les autres qui auraient juste « pété un plomb ». Et ce, alors que leurs actes sont prémédités, réfléchis, idéologiquement consistants entre eux, et motivés politiquement, racialement et religieusement au point d’être théorisés dans des centaines de pages Facebook, textes et manifestes.
Pas étonnant donc, que l’on pense ‒ faussement ‒ que la majorité du terrorisme en Occident est « islamiste ».
****
Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.
1. Les autres ne sont tout simplement pas qualifiés de « terroristes » mais sont traités comme des criminels communs.
2. À ce titre, leurs attentats reçoivent une fraction infime, et en plus sur une très brève durée, de la couverture médiatique insensée donnée aux quelques rares attaques « jihadistes » dans nos pays. Politiquement, ils ne font jamais l’objet du branle-bas de combat national et international auquel on assiste dans des cas comme les frères Kouachi.
3. Leurs attaques ne sont jamais resituées dans les configurations et les formes de terrorismes structurés dont ils font pourtant bel et bien partie, comme cette vague résurgente du terrorisme d’extrême droite anti-minorités et anti-gouvernemental, groupes racistes, néo-klaniques, « souverainistes », islamophobes, ou suprémaciste blanc, occidentaliste et chrétien ‒ mouvance terroriste transnationale plurielle et diverse qui relie en droite ligne Timothy McVeigh et Anders Breivik à ces deux dernières attaques de Chapel Hill et Charleston) Jamais l’on n’essentialise et jamais l’on n’extrapole leurs attaques à des communautés entières, par exemple en attribuant leurs actes à une religion tout entière comme c’est le cas dès que le terroriste se revendique islamique, alors que Roof et les autres se revendiquent également chrétiens.
4. Dès qu’un terroriste musulman se réclame de « Daesh », on parle de « jihadisme », de terrorisme « islamiste ». Mais jamais, au grand jamais, lorsque des tueurs comme Roof, Breivik assassinent au nom de la « défense de l’Occident chrétien » ou les commandos anti-avortement US font sauter les cliniques et exécutent infirmières et docteurs au nom du « droit à la vie » en invoquant la Bible, on ne parle de terrorisme « christianiste ».
De même, jamais les fidèles chrétiens, les églises évangéliques ou catholiques, le Vatican, le Pape ou une quelconque autorité cléricale ne sont sommés de « s’exprimer », de « condamner », de manifester leur désapprobation face aux actes terroristes se revendiquant de leur religion, alors que c’est le cas des musulmans.
McVeigh, Breivik, Hicks, Roof et tous les autres nous sont présentés comme des cas isolés, des « déments » sans rapport les uns avec les autres qui auraient juste « pété un plomb ». Et ce, alors que leurs actes sont prémédités, réfléchis, idéologiquement consistants entre eux, et motivés politiquement, racialement et religieusement au point d’être théorisés dans des centaines de pages Facebook, textes et manifestes.
Pas étonnant donc, que l’on pense ‒ faussement ‒ que la majorité du terrorisme en Occident est « islamiste ».
****
Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.
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