Société

Islamophobie : « les premiers acteurs, ce sont les agents de l’État »

Rédigé par Leila Belghiti et Huê Trinh Nguyên | Vendredi 24 Avril 2009 à 03:52

Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a tenu, mercredi soir, sa conférence de presse annuelle sur le bilan de l’année 2008, devant un parterre d’une centaine de personnes (journalistes, responsables associatifs, élus...). L’occasion pour l’association de présenter ses actions, de rappeler ses motivations mais aussi d’exprimer ses craintes et ses recommandations.



Vendredi 24 octobre 2003. Claude Imbert, directeur de l’hebdomadaire Le Point, déclarait sur la chaîne LCI : « Moi, je suis un peu islamophobe, cela ne me gêne pas de le dire. »
Lundi 27 octobre. Rassemblement d’une trentaine de personnes devant le siège du magazine. Le Collectif contre l’islamophobie en France est né.

Voilà pour la genèse, que n’aura pas manqué d’évoquer Samy Debah, le président de l’association, en guise d’introduction. Né il y a cinq ans « dans un contexte particulier », au moment des vifs débats sur la laïcité, qui déboucheront sur la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux ostensibles dans les établissements d’enseignement publics – plus communément appelée « loi sur le foulard » –, le CCIF affirme vouloir être un rempart contre les amalgames et les discriminations qui en découlent. « L'islamophobie, c'est tout acte ou tout propos qui vise un individu en raison de son appartenance, réelle ou supposée, à l'islam », rappelle Samy Debah.

Les chiffres : l’arbre qui cache la forêt

Dégâts constatés après l'incendie de la mosquée de Saint-Priest (Rhône), le 20 décembre 2008.
Pour l’année 2008, 80 actes islamophobes ont été recensés, dont 59 concernent des personnes physiques, 21 des institutions (incendie ou saccage de mosquées, profanation dans les cimetières, entraves à des associations...). 70 % des victimes sont des femmes. Les chiffres font frémir. L’islamophobie revêt ainsi une double forme de discrimination : une discrimination fondée sur la confession, une autre fondée sur le genre.

Nacer Zitout, responsable du pôle Observatoire sur l’islamophobie au sein du CCIF, rappelle les difficultés rencontrées dans le recensement. Ainsi, « 9 actes sur 10 ne sont pas recensés », déplore-t-il. « Pour les actes islamophobes perpétrés contre des institutions, l’information est relayée par la presse, le recensement est donc plus aisé. » En revanche, pour les individus, la tâche s’avère plus compliquée : d’une part, les plaintes déposées au bureau de police ne parviennent pas systématiquement au CCIF ; d’autre part, certaines victimes ne veulent pas – par crainte ou par défaitisme ? – donner suite à leur plainte.

Les deux tiers des actes islamophobes contre des individus sont commis en Île-de-France. Sans doute parce que l’action du CCIF est plus médiatisée dans cette Région ? Se faire connaître dans toutes les Régions de France, tel est le défi que se lance le CCIF pour les années à venir. Le président des Étudiants musulmans de France (EMF), Khaleel Ould El Mounir, ainsi que d’autres associations présentes dans la salle, se sont portés garants pour sensibiliser les musulmans et remonter au Collectif les informations qui leur parviendraient.

Si 10 % des affaires recensées par le CCIF atterrissent devant les tribunaux, à 90 % le Collectif tente de régler les cas par la médiation. Avec succès.

Les agents publics, premiers acteurs discriminants

Fait surprenant, le CCIF déclare que 64,41 % des plaintes déposées par des individus ont pour origine le service public. Les exemples sont en nombre : écoles, universités, mairies, services de police ... Pour Lila Charef, juriste et responsable du pôle juridique du CCIF, « à la différence de l’antisémitisme, de la xénophobie et du racisme, c’est (qu’avec l’islamophobie) le principal discriminant est en majeure partie un agent de l’État ». Pour cause, non seulement un regain de racisme alimenté par la loi du 15 mars 2004, mais souvent aussi une mauvaise interprétation de cette même loi, qui ne devrait s’appliquer que dans les établissements scolaires. Et de rappeler : « Autant l’agent public est astreint à la neutralité, autant les usagers du service public sont, eux, libres. » Le monde du travail, jusqu’alors plutôt préservé, n’est plus en reste : on y recense 19,64 % d’actes islamophobes. Un licenciement abusif pour « port de barbe ne correspondant pas à l’image de la société » est, par exemple, actuellement soumis au conseil de prud’hommes de la région parisienne.

Témoignages

Nouredine Rachedi, jeune statisticien d’une trentaine d’année, revient sur son infortune, qui avait marqué l’actualité en juillet 2008. Passé à tabac par des inconnus, il raconte que faire reconnaître le caractère clairement raciste de son agression se révéla être un parcours du combattant. Cette « circonstance aggravante » fait parler de lui dans les médias. « Je n’attendais pas grand-chose des institutions, mais quand la médiatisation a commencé les soutiens apportés par les individus m’ont fait énormément de bien », souligne-t-il. Et d’analyser : « Je vois l’islamophobie en France comme un fait structurel et non conjoncturel. » L’affaire est toujours en cours, soutenue notamment par le CCIF.

Autre affaire, plus récente : l’agression, la semaine dernière, d’une jeune fille à Argenteuil (Val-d'Oise) par trois individus. Elle s’est vue arraché son foulard et menacée d’un cutter pointé sur son cœur s’il lui advenait de crier. Comme elle ne souhaitait pas s’exprimer publiquement, c’est son frère qui est venu porter le témoignage. « Son bras a été tailladé à coups de cutter, elle a été lynchée à coups de poing sur les côtes par ses agresseurs. Ils lui ont dit : “Crève ici, on prend ton portable, tu pourras appeler personne.” » Durant l’agression, ces individus ont justifié leur violence en déclarant qu’ils voulaient lui faire payer ce qui se passait en Israël. Selon la victime, l’un d’eux portait une croix gammée sur l’avant-bras droit. La plainte déposée, le CCIF a annoncé qu’il se constituerait partie civile. Un soulagement pour la victime.

Trois autres affaires sont en cours, toutes liées au port du voile indésirable. Celle de Sabrina, doctorante licenciée par l'université Paul-Sabatier (Toulouse). Celle de Samia, exclue de cours d'anglais en formation professionnelle pour adultes par le Greta (Paris). Celle de Cherifa, interdite de club de fitness, à Sérémange-Erzange (Moselle). Pas de prise en charge des frais d’avocats par le CCIF. Mais il dispose d’un réseau d’une dizaine d’avocats solidaires, « les frais sont moindres », assure-t-on. Le CCIF fonctionne principalement grâce aux dons.

Vigilance

En février 2009, l’université Paul-Sabatier, à Toulouse, a licenciée Sabrina, 25 ans, allocataire de recherche en microbiologie, pour « port d’un signe religieux ostensible, jugé incompatible avec son contrat de travail de droit public ».
Si le Collectif déplore des relations encore bien ténues avec les différents ministères, il assure « entretenir de très bonnes collaborations » avec de nombreuses organisations interétatiques tels le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE, l’association des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) et même l’ONU. Sans compter, sur le plan national, le soutien et la reconnaissance du MRAP et de la HALDE.

Mais cela ne suffit pas à atténuer les inquiétudes. Avec 42 actes islamophobes recensés de janvier à mars rien qu’en ce début d’année 2009, le CCIF appelle à la vigilance et à la mobilisation, notamment auprès des députés. L’association compte également sur la sensibilisation de la communauté musulmane. Samy Debah se veut plutôt rassurant : « Les musulmans n’ont pas la culture de la revendication, mais ça commence à venir ! »