Société

Islamophobie : refus de soins dentaires pour port de voile

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Lundi 15 Avril 2013 à 23:05

L’islamophobie est parfois là où ne s’y attend pas. Isil, une femme habitant Béziers, l’a découvert en poussant les portes d’un cabinet dentaire. Le dentiste a refusé tout simplement de soigner la jeune femme car elle porte le voile. Elle nous raconte cet épisode humiliant. Quant au médecin, il n’a pas souhaité nous livrer sa version des faits mais se défend d'être islamophobe.



Isil et son mari Mohamed se sont rendus, jeudi 28 mars à 14h30, chez un dentiste à Béziers. Les coordonnées de ce dernier leur avaient été fournies par leur dentiste habituel car leurs soins le nécessitaient. Le mari d’Isil devait se faire prescrire un devis pour des implants et Isil, se faire soigner un kyste sous l’une de ses dents.

Si le dentiste a bien établi un devis pour Mohamed, la jeune femme est ressortie sans être soignée, ni rendez-vous ultérieur. Motif invoqué par le dentiste : elle porte le voile.

Une plainte contre discrimination déposée

Effectivement, alors qu’il s’apprêtait à les congédier, ce dernier indiqua ne pas pouvoir soigner Isil en raison du voile que porte la jeune musulmane. « Je ne veux pas vous soigner tant que vous porterez ce voile, je suis catholique mais laïc, et je ne tolérerai pas ça », lança-t-il debout à Isil après qu’elle lui eu rappelé qu’il devait s’occuper d’elle, nous raconte la jeune femme.

Pourtant, rien ne laissait présager une telle réaction de la part de ce dentiste. « Nous sommes resté 40 minutes avec lui. Il était rigolo et sympathique. Je n’ai pas compris », explique Isil. Elle lui propose alors de dégager son foulard vers l’arrière. Tout autant étonnée son mari questionne le dentiste : « Vous êtes sérieux ? ». « Je suis sérieux », lui répond le dentiste, qui indique avoir déjà fait retirer la kippa à un juif avant de le soigner et répète être « tolérant mais pas à ça ».

Le couple, choqué, quitte son bureau et se dirige vers l’accueil pour régler leurs consultations. Derrière eux, le dentiste dit à la secrétaire de ne pas les faire payer. « C’est un cadeau », dit-il. « Comme pour se racheter », juge Isil mais à aucun moment il n’a regretté ses paroles, précise-t-elle. Le couple insiste pour payer et reste près du secrétariat cinq bonnes minutes, chéquier en main.

« Mon mari lui a dit calmement qu’il y aura une poursuite judiciaire pour discrimination, qu’on ne se laissera pas faire », poursuit la jeune femme. « Votre voile n’est pas hygiénique », leur lance le dentiste avant qu’ils ne quittent son cabinet. « Vous voulez dire que ma femme est sale », rétorque Mohamed. « Je ne voulais pas dire cela », répond le praticien.

Une fois dehors, le couple se rend directement au commissariat de police. Ne prenant pas la mesure de la gravité des actes du médecin, les agents leur offrent uniquement la possibilité de déposer une main courante, une simple déclaration de faits qui n’entraîne aucune procédure judiciaire.

Heureusement, son mari a la bonne idée d’appeler l’antenne biterroise du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), dont l’intervention leur permet de porter plainte pour « discrimination du fait de la religion ».

Question d’hygiène ?

Le dentiste aurait, par ailleurs, déposé une main courante contre Mohamed, fait savoir sa femme. Le dentiste l’accuse de s’être emporté. Mais impossible d’en savoir plus car le dentiste a refusé catégoriquement de répondre à nos questions. « Il ne veut pas jeter de l’huile sur le feu. En 30 ans de carrière, il n’a jamais eu d’incidents. On ne veut pas faire d’histoires. On a beaucoup de patients musulmans et il n’y a aucun problème. Le cabinet est ouvert à tout le monde », nous dit son assistante dentaire.

Au Midi Libre, le 12 avril, le dentiste s’est expliqué. « C’est n’importe quoi. Cette cliente m’avait été adressée par un correspondant pour de la chirurgie. J’ai effectivement parlé du foulard parce que nous opérons nos patients dans une clinique du Biterrois. Tous, hommes et femmes sans distinction, sont équipés de charlotte et de chaussons par mesure de précaution et d’hygiène. » Pourtant, à part son expression, pas très élégante, disant que son voile n’est pas hygiénique, Isil nous assure qu’il ne lui a pas parlé de tous ces détails.

« Quand j’ai évoqué le foulard et l’hygiène auprès de cette patiente, il s’agissait d’expliquer qu’elle devait ôter son voile le temps de l’intervention pour éviter toute contamination. Jamais il n’a été question de son hygiène corporelle comme l’a évoqué son mari. Je ne me serai jamais permis quoique ce soit sur ce sujet. Mais son mari hurlait, je n’ai pas pu lui expliquer la façon dont je travaille», poursuit le dentiste. « Il n’y a qu’à visionner les caméras de surveillance pour voir que mon mari est resté calme », répond Isil.

« Pour que les femmes soient battantes »

« Je me suis proposée pour repousser mon foulard vers l’arrière afin de bien dégager ma mâchoire mais il ne m’a laissé aucune possibilité », regrette Isil. « Pour ma santé, je n’ai pas de problème » à faire des concessions si besoin, assure-t-elle. Elle a pu finalement se faire retirer sa dent chez son dentiste habituel.

Elle porte le voile depuis seulement trois mois et dit percevoir le changement de regard à son égard. En témoignant, elle souhaite que les femmes soient « battantes » face aux discriminations.

Dans ce sens, porter plainte était une nécessité. « Je n’ai pas besoin d’argent. Je veux juste qu’il (le dentiste, ndlr) reconnaisse » les faits, précise-t-elle en réponse aux accusations qu’elle a pu lire dans des commentaires d’internautes sur le site du Midi Libre.

Le CCIF aura permis au couple d’aller au bout de sa démarche alors qu’il était dirigé par la police vers une simple main courante. La démarche du centre culturelle turque de Béziers, en revanche, est des plus étranges. En effet, une personne se présentant comme responsable de cette structure aurait joint par téléphone le couple pour tenter de leur faire retirer leur plainte…

Dans Midi Libre, il est indiqué que le dentiste « ouvre son cabinet au couple de plaignants, afin qu’il puisse comprendre comment il travaille depuis des années afin de lever tous les doutes ». Mais après cet épisode qui l’a « abattu » sur le coup, Isil « préfère ne pas rentrer en contact avec ce messieurs ». « Le mal est fait », juge-t-elle.

En France, les femmes voilées sont les premières victimes d'actes islamophobes.