Points de vue

Itinéraire vers la radicalisation

Rédigé par Louis Alidovitch | Mercredi 16 Décembre 2015 à 09:00

Depuis des semaines, l’accent est mis sur les signes de radicalisation des jeunes. Du refus de serrer la main et d’écouter de la musique, en passant par la rupture des liens familiaux, plusieurs voix ont expliqué que ces jeunes se sont laissés emporter dans des dérives sectaires allant à l’opposé du sens premier de la religion, qui vient de « religare » en latin, c'est-à-dire relier. Mais quelles sont les causes qui amènent au radicalisme ? Y en a-t-il vraiment ?




Terreau social et culture racaille

Peu se sont aventurés à souligner les facteurs conduisant au radicalisme, sans doute par peur d’être accusés d’excuser les auteurs des massacres. Nous devons donc être clairs dans notre analyse. Etre issu de quartiers sensibles et disposer initialement de capitaux social, économique et culturel relativement faibles n’empêchent pas de nombreux jeunes musulmans de réussir professionnellement et d’être reconnus socialement. Pour d’autres, le chemin est plus difficile. Cependant, l’engagement associatif, l’équilibre familial et les relations sociales, sont autant de facteurs d’enracinement dans la communauté locale, éloignant ainsi de toutes idées fanatiques. Enfin, pour une infime minorité en échec, l’origine sociale et ethnique devient un alibi permettant de masquer leurs propres faiblesses. Ils basculent ainsi dans la marginalité.

L’échec ou la réussite sont donc la résultante de choix. Certains redoublent d’efforts pour surmonter les difficultés, quand d’autres fatalistes nourrissent un sentiment de revanche. Quand certains refusaient de sortir, d’autres, adolescents squattaient les cages d’escaliers et commençaient à être initiés à l’argent facile. S’oppose alors la valeur du travail, si chère à leurs parents, à la volonté d’assouvir leurs désirs et de vivre sans entraves. En d’autres termes, avoir le plus pour soi, tout en donnant le moins aux autres. Cet imaginaire est ensuite alimenté par une certaine culture bandit. Une œuvre comme Scarface a fortement contribué à développer l’idée qu’en partant de rien, on peut arriver très haut, et ce, sans passer par l’effort pénible du travail. De nombreux rappeurs accentueront cette idée et fourniront ensuite les éléments de détestation de la France. D’ailleurs, les quelques références musulmanes dans les textes de Booba, Rhoff ou encore Lafouine, allaient offrir symboliquement un point de passage inconscient de la délinquance au radicalisme.

Ces jeunes sont semblables au lumpenprolétariat décrit par Marx au milieu du XIXe siècle. Sans racines, sans conscience politique, ils sont imprégnés par l’esprit du capitalisme. Chacun désire toujours plus pour lui-même, souvent aux dépens des autres et exonèrent ces actions par la responsabilité présumé de ceux qui empêchent leur ascension. Ils sont des enfants d’une époque dans laquelle tout est noyé dans les eaux glaciales du calcul égoïste. Dans les années 1990, les marques ont fait leur apparition dans ces classes populaires et les premiers crocodiles Lacoste été arborés fièrement sur les casquettes, jogging et bananes !

Il ne s’agit évidemment pas de dire que ceux qui ont vu Scarface et écouter Booba sont devenus des délinquants puis des terroristes. Mais nous souhaitons, dans ce cours article, mettre en évidence qu’une certaine culture racaille a favorisée le développement d’un imaginaire imprimant dans les consciences le désir de reconnaissance et la haine du pays. Il faut également sortir de tout déterminisme rigide effaçant toute responsabilité individuelle. Nous sommes, en réalité, à l’intersection de différents paramètres.

Quelle responsabilité des élites politiques ?

Les politiques paternalistes de la gauche officielle depuis 30 ans consistent à mettre sous perfusion les quartiers populaires et à considérer la différence comme la base de la construction d’une société. Différence folklorique puisque pour un homme de gauche, le fantasme du jeune de banlieue renvoi toujours ce dernier à ses origines. En d’autres termes, il n’y a jamais eu de volonté politique de proposer, comme disait De Gaulle, une certaine idée de la nation incluant la diversité sur le socle du commun. Au lieu de cela, les politiques brandissent désormais un républicanisme identitaire fondé sur une laïcité excluante contribuant au rejet d’une catégorie de la population trop peu considérée comme partie intégrante de la République.

En effet, l’islam et les musulmans bénéficient d’un traitement médiatique et politique d’exception. Très souvent, la présence musulmane est interrogée et l’islam est présenté comme facteur de déstabilisation sociale. Le comble est de voir l’illégitime Hassen Chalgoumi et d’autres prendre la parole pour incarner la voix des musulmans. C’est dire le peu de sérieux qui est accordé à la communauté musulmane. Dans le même temps, ils exigent des musulmans de se conformer à cet imaginaire nationale alors que nombreux d’entre eux trahissent les principes de la République, notamment en troquant la souveraineté de notre pays à Bruxelles ou encore à travers les différentes affaires politico-financières.

Considérer continuellement les musulmans comme des citoyens à part ne peut que favoriser le radicalisme de certains. Cela fournit assez d’éléments pour justifier l’injustifiable et engendrer du ressentiment à l’encontre de la France. Cette inimitié est encouragée par certaines associations présentant la France comme un éternel pays impérialiste, colonisateur et responsable des injustices subies par ces jeunes. A travers ces discours, ces associations ont balancé l’idée de communauté nationale à la poubelle et le drapeau a été récupéré par un FN islamophobe, accentuant encore le rejet du pays et de ce qu’il représente.

Born-again et lecture apocalyptique

Les rancœurs à l’encontre de la France ont pris une autre ampleur avec le 11-Septembre, l’Intifada et le traitement de la question de l’islam en France. Alors qu’ils ne se reconnaissent pas dans la communauté nationale, les injustices endurées par les peuples musulmans sur la surface du globe dessinent un camp d’opprimés dans lequel ces jeunes s’inscrivent immédiatement. Internet amplifie le phénomène ; et le matraquage « youtubique » de vidéos montrant les souffrances d’innocents accouche de postures identitaires se définissant avant tout par le refus de l’autre, désormais considéré comme un éternel colon impérialiste.

L’islam leur permet alors de renaître. Ils étaient des délinquants, sans projets ; ils sont désormais des pieux sur « al Haqq », la Vérité. Ils cherchent alors dans les références musulmanes tous les textes qui alimenteront leur postulat de départ, c'est-à-dire leur lecture d’un monde opposant les oppresseurs occidentaux, dirigés par les sionistes et les francs-maçons, à des opprimés justes et vertueux.

Cette sélection de textes (souvent plus des hadiths que des versets) hors contexte, déconnectées d’autres textes fondamentaux et désarticulées va alors construire une grille de lecture leur donnant le sentiment qu’ils empruntent la voie des « salafs salehs », des pieux prédécesseurs, celle du « firqa naji’a », le groupe sauvé, et du « ta’ifa mansoura », le groupe victorieux. Ils pensent obtenir la reconnaissance tant attendue. Ils adoptent alors un tas de codes identitaires renforçant le sentiment d’appartenir à une communauté : port de la barbe non taillée, pantalon au-dessus des chevilles, brossage des dents avec le siwak, le khol autour des yeux, le musc, etc.

De plus, la lecture excessive des textes relevant des signes de la fin des temps entraîne une vision apocalyptique du monde. Ils se sentent élus par Dieu et investis d’une mission prophétique répondant à l’appel de certains textes. La fin des temps étant proche, il n’y a plus à chercher à construire mais plutôt à détruire l’ennemi, celui qui prépare l’arrivée du faux messie. Leur nihilisme est le prolongement de leur ancienne vie, fondé sur le déni du collectif, des hommes et sur l’exaltation du Moi. Charles Peguy, écrivain mort pendant la Première Guerre mondiale, dit de ces gens :

« Parce qu'ils n'ont pas le courage d'être du monde, ils croient qu'ils sont de Dieu. Parce qu'ils n'ont pas le courage d'être d'un des partis de l'homme, ils croient qu'ils sont du parti de Dieu. Parce qu'ils ne sont pas de l'homme, ils croient qu'ils sont de Dieu. Parce qu'ils n'aiment personne, ils croient qu'ils aiment Dieu. »

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Louis Alidovitch est écrivain, auteur de l'essai La Barbe qui cache la forêt (Editions Thésée, 2015).