En réussissant son bac scientifique, Sammia rêvait d’étudier la Médecine. Elle devra renoncer à sa passion pour les sciences. Car la Médecine, en France, s’étudie dans des écoles et par des stages. Il aurait donc fallu qu’elle ôte son bandana, pendant les stages hospitaliers. Sammia s’est alors inscrite à l’université où elle étudie désormais le Droit. A 20 ans, elle est double championne de France dans un art martial japonais. Privée de compétition à cause de son bandana, elle s’est investie dans la lutte contre la loi antifoulard. Il nous a fallu de longues négociations avant que celle que nous nommons Sammia ne consente à nous parler de son cheminement dans sa foi musulmane.
SaphirNet.info : Vous êtes majestueuse dans votre tenue. Pourquoi refusez-vous les photos ?
Sammia : Je n’ai rien contre les photos, mais je ne veux pas que notre entretien ait des retombées familiales parce que mes parents n’apprécient pas beaucoup mon choix de porter le voile. Ils me soutiendraient encore moins s’ils apprenaient que je m’adresse à la presse. Ils ont peur que cela me pose des problèmes.
Quels types de problèmes cela peut-il vous poser ?
Ils ont peur que j’ai des problèmes à la fac. Lorsque je prends le RER par exemple, ils pensent que mon style vestimentaire peut être dangereux et m’attirer des ennuis. Mes parents sont musulmans, ils sont nés en France mais ils ne comprennent pas la « logique religieuse ». Leurs parents à eux les ont élevés dans la « logique profil bas » : nous ne sommes pas chez nous, nous devons nous intégrer. Et pour cela nous devons nous habiller et faire comme les autres, quitte à renoncer à une partie de notre identité.
Dans quel esprit vous ont-ils élevée ?
Ils m’ont mis à l’école. C’est là que j’ai appris ce qu’était la France. C’est aussi à l’école que j’ai compris ce que ma famille avait apporté à la France. Mon arrière grand-père est un vrai miraculé : il a fait la première guerre mondiale il n’en est pas mort, puis il a aussi fait la seconde guerre mondiale et il en est revenu vivant. Je ne sais d’ailleurs pas comment il a fait, parce que les Algériens comme lui étaient mis en première ligne pour servir de chaire à canons. En tout cas il s’en est tiré… Mon grand-père travaillait à la SNCF et il construisait les métros, les RER de Paris. Ce sont les mêmes métros que je prends aujourd’hui quand je me rends à l’université. J’ai donc compris que j’avais toute ma légitimité de vivre en France. A l’école, j’ai appris que notre système était celui de la liberté de culte et de religion. Et je remercie Dieu de m’avoir fait venir à la vie ici. Car je sais que ce n’était pas le cas dans le pays d’origine de mon grand-père.
Comment en êtes vous arrivée à la « logique religieuse » ?
J’ai redécouvert ma religion toute seule. Enfant, j’étais déjà très intéressée par tout ce qui touche au mystique et au religieux. A six ans, j’écrivais des « lettres à Dieu ». J’étais encore au collège lorsque j’ai découvert l’Islam. J’ai d’abord été séduite par le côté scientifique. Cet aspect m’attirait beaucoup. Je peux même dire que j’ai découvert l’Islam à travers les miracles scientifiques dans le Coran. C’est cette découverte qui a boosté ma foi. Ensuite j’ai entrepris les années d’apprentissage... L’amour de Dieu ne m’a jamais quitté. Et j’ai finalement pris l’Islam comme religion avec tout ce que cela impliquait.
Y compris le Hijab ?
D’après la compréhension que j’avais des choses, le voile était une façon naturelle de pudeur puisqu’il s’agit de cacher certaines parties de son corps. Pour moi, le voile est venu tout naturellement dans mon apprentissage de ma religion. J’en discutais aussi avec une de mes tantes qui est versée dans la religion. J’assistais parfois à des conférences publiques sur les thèmes de l’Islam et j’apprenais de plus en plus sur ma religion. J’ai toujours gardé mon esprit critique. Je n’acceptais pas que l’on m’impose des règles. J’avais besoin d’être convaincue par des preuves irréfutables qui viennent appuyer ma raison. Je cherchais par moi-même et je retenais ce que je comprenais. Je n’acceptais pas une règle religieuse parce que mon père ou ma mère l’avait énoncée. Mes parents sont pratiquants, ils font la prière tous les deux, mais ils n’étaient pas dans la « démarche religieuse ». Ma mère qui est radiologue ne porte pas le voile par exemple.
A partir de quel moment vous vous êtes perçue musulmane ?
Depuis toujours... Autant que je me souvienne, je me suis toujours sentie musulmane. Mais je ne me suis jamais sentie exclue de la société française. Même lorsque j’ai commencé à porter le voile (qui est en fait un bandana), il y a trois ou quatre ans, je n’ai jamais senti de regards réprobateurs. C’est seulement depuis le lancement du débat médiatique que les choses ont changé. Dans le RER ce sont, sans cesse, des regards méchants jusqu’au cas de cette femme, une féministe, qui est venue m’accoster dans le RER en me disant : « Je hais ce que vous portez sur la tête ». Et moi de lui répondre que c’est mon choix. En fait, cette féministe me dit clairement « je vous hais vous, parce que nous nous sommes battues contre ça etc. » Bref. Cette femme me parle d’un cheminement qui n’est pas le mien. Et je veux bien comprendre qu’elle soit choquée parce qu’elle a une Histoire autre que la mienne. Mais je ne trouve pas normal qu’elle s’en prenne à moi ainsi : on ne s’en prend pas à des femmes quand on est féministe.
Qu’est ce qui vous a motivé à porter le Hijab ?
Cela s’est fait au cours de l’apprentissage de ma foi. L’idée centrale est que Dieu est au-dessus de tout et nous devons nous abandonner à Lui. De ce que je comprenais de l’Islam les Musulmans et les Musulmanes devaient observer des règles de pudeur. Et la pudeur de la femme concernait aussi ses cheveux. Je sais que nous sommes dans une société occidentale et que cela ne fait pas partie des us et coutumes. Je suis certes française mais j’ai tiré ma religion d’une culture orientale. Plus je lisais, plus je comprenais, plus cela devenait naturel pour moi d’adopter le voile. Et, pour moi, ne pas exposer mes cheveux m’est devenu comme cacher d’autres parties de mon corps. Je ne m’habille pas de sorte à montrer mes genoux ou mes chevilles par exemple. Et je ne me pose pas la question de savoir pourquoi je ne le montre pas. Il en est de même de mes cheveux pour moi aujourd’hui.
On ne peut quand même pas mettre toutes les parties du corps sur le même plan.
Soit… Mais aujourd’hui en France, que je sache, chacun est encore propriétaire de son image. Je n’accepterais pas que quelqu’un d’autre exige que je montre une partie de mon corps que je ne veux pas montrer. Je ne pouvais pas penser que cela deviendra possible. Mais aujourd’hui, en raison du débat médiatique sur le voile, cela est devenu une chose possible de manière banale au point que des inconnus se permettent de dire aux femmes de retirer leur voile quand ils ne le font pas eux-mêmes.
On nous dit que 60% de français sont favorables à une loi sur le Hijab ?
Ces données statistiques valent ce qu’elles valent. J’aurais bien aimé que l’on fasse les mêmes études statistiques il y a un an, sur les mêmes populations. On aurait pu alors faire de vraies comparaisons. Car j’ai l’impression que, sur le modèle américain, les médias et les politiques ont essayé d’effrayer la population. Et, une fois qu’une population est effrayée, vous en faites ce que vous voulez. Actuellement, nos médias et nos politiques nous ont plongés dans le « tout sécuritaire ». Personnellement, si je ne portais pas le voile, avec tout ce que je vois à la télé sur les musulmans, sur les islamistes, sur le voile, sur des « réseaux obscurs »… chaque jour, au journal de 20H, je ne sais pas ce que je penserais de l’Islam.
Vous comprenez donc la peur des français ?
Bien sûr que je les comprends ! Voyez : chaque jour, les journaux en remettent une couche sur les Musulmans. A force, je comprends que certains concitoyens veulent retirer tous les Musulmans de France. Moi-même qui suis Musulmane, je me demande chaque jour : « qu’est ce qu’ils vont dire des Musulmans aujourd’hui encore ? » C’est pourquoi j’accuse les médias et les politiques d’être responsables de la paranoïa actuelle. Je les accuse d’avoir lobotomisé le cerveau de nos concitoyens pour leur faire croire et avaler n’importe quelle loi. Quand vous analysez les dérives que SaphirNet nous a révélées, bien avant que la loi n’ait été définitivement adoptée, vous avez la certitude que la population n’a pas compris la loi. En principe, cette loi concerne les lycées, les collèges et les écoles primaires. Mais on dénombre déjà des dérives dans tout le milieu social. Les débats télévisés ne portent pas sur le milieu scolaire, mais sur le voile, sur la soumission de la femme, sur des inégalités hommes/femmes… Donc cette loi libère des islamophobes et leur dit qu’ils peuvent désormais retirer aux musulmanes leur voile.
Que pensez-vous des mouvements de protestation ?
Je les soutiens tous. Et j’aurais aimé voir la ligue des Droits de l’Homme nous soutenir. On fait croire aux français qu’il s’agit d’un problème d’islamistes-intégristes. Alors qu’il s’agit d’un problème de libertés individuelles. Quand un pays aussi avancé que la France commence à réprimander les libertés individuelles avec des lois comme la loi de M. Perben ou les mesures de M. Sarkozy qui ne concernent pas que les Musulmans, il y a de quoi commencer à s’inquiéter. Je n’ai pas pour autant l’intention de partir de France.
Si vous aviez M. Chirac en face de vous que lui diriez-vous ?
Je lui dirais d’abord que j’ai eu honte d’avoir voté pour lui, lorsque mon Président s’est rendu en Tunisie pour voir M. Ben Ali et qu’il a déclaré qu’il n’y a pas de problème de Droits de l’Homme en Tunisie. Et que j’espère que cela n’est qu’une dérive à des fins commerciales et qu’il ne pensait pas ce qu’il disait. Ensuite j’aurais envie de dire à M. Chirac que le Hijab que je porte est le même que celui que porte Sœur Emmanuelle, la meilleure amie de sa femme. Et j’ajouterais que nous portons notre Hijab, pour des raisons qui sont quasiment les mêmes. Qu’il n’y voit pas un signe de repli communautaire mais plutôt un signe de complète intégration et une réappropriation de ma religion.
Propos recueillis par Amara BAMBA