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Monde

Journée mondiale de l'eau : revenir aux sources du scandale

Rédigé par David Eloy | Jeudi 22 Mars 2012 à 11:01

           

En 2015, plus d’une personne sur dix sera toujours privée d’accès à l’eau potable et près de 2,6 milliards de personnes n’auront pas accès à un assainissement de base. Une aberration, un scandale ! L’eau est un enjeu central dans tous les domaines de la vie, de l’économie. Plus que jamais la volonté politique est nécessaire pour relever les défis de l’eau et de l’assainissement.



Journée mondiale de l'eau : revenir aux sources du scandale
« On croit que l’homme est libre… On ne voit pas la corde qui le rattache au puits, qui le rattache, comme un cordon ombilical, au ventre de la terre » (Terre des Hommes, Antoine de Saint-Exupéry, Gallimard).

En quelques mots, terriblement justes, Antoine de Saint-Exupéry, est parvenu à traduire mieux que quiconque les liens qui unissent l’eau et l’humanité. Sur la planète bleue, l’eau douce ne représente pourtant que 2,5 % de l’eau. Et sur cette infime partie, seul 31 % est accessible.

L’eau est donc une denrée précieuse. Les enjeux liés à sa préservation et à l’accès pour toutes et pour tous à cette ressource sont considérables.

Les chiffres de l'inégalité, des conséquences sanitaires désastreuses

D’après les chiffres de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’accès à l’eau potable s’est nettement amélioré ces dernières années : la couverture est en effet passée de 77 % de la population mondiale en 1990 à 87 % en 2008 (Rapport sur les Objectifs du millénaire pour le développement 2011, ONU, 2011).

« Au moment où nous nous parlons, l’Objectif du Millénaire pour le développement (OMD) relatif à l’eau et à l’assainissement a d’ailleurs été atteint, souligne Catarina de Albuquerque, rapporteur spéciale des Nations unies sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement. De nombreux progrès ont été faits. C’est indéniable : mais les indicateurs de progrès fixés par l’ONU ne permettent pas de garantir que cette eau à laquelle ont désormais accès les populations est réellement potable, ni même que ces dernières ne sont pas empêchées d’y avoir accès… faute de moyens financiers pour payer leur facture. »

Reste que près de 900 millions de personnes dans le monde n’ont, elles, toujours aucun accès à l’eau potable et que 2,6 milliards n’ont pas accès à un assainissement de base. Un scandale aux conséquences sanitaires désastreuses ! Chaque jour, 5 000 enfants meurent victimes de maladies évitables liées à l’eau et à l’assainissement.

Or, contrairement aux idées reçues, ce n’est pas tant un problème de quantité d’eau disponible – indéniable dans les zones arides – qu’un problème d’investissement dans des services efficaces et équitables de distribution et/ou de traitement de l’eau.

Car tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Ainsi, l’eau occupe une place centrale dans de nombreuses activités économiques, qui en bénéficient d’un accès privilégié, trop souvent au détriment des populations.

Une eau virtuelle

« L’agriculture – surtout l’agriculture industrielle – est responsable de 70 % de la consommation en eau de la planète, alerte Vandana Shiva, écologiste indienne, Prix Nobel alternatif en 1993. La surconsommation d’eau par ces activités et les pollutions qu’elles engendrent sont les principaux problèmes à l’échelle de la planète. »

Pour produire une tomate, on utilise 13 litres d’eau ; pour produire un steak, 5 000 litres ; et pour produire une tonne de blé, 1 000 mètres cubes ! C’est ce que le chercheur britannique Tony Allan nomme l’eau virtuelle, c’est-à-dire la quantité d’eau nécessaire pour produire dans un pays donné des biens qui seront ensuite exportés et consommés dans un autre pays.

« En moyenne, un Français consomme 100 litres d’eau liquide par jour, détaille David Blanchon, maître de conférence à l’Université Paris X-Nanterre. Sa consommation d’eau virtuelle, elle, est de 5 000 litres par jour [ndlr : la consommation d’eau virtuelle par un habitant d’Afrique subsaharienne se limite, elle, à 2 000 litres par jour], ce qui correspond à la quantité d’eau qu’il a fallu pour produire ses repas. »

Des pays se sont emparés de ce concept pour réfléchir leur stratégie agricole. « L’Afrique du Sud a fait le choix de ne pas gaspiller sa ressource en eau – assez rare – pour produire du blé qu’elle va plutôt importer, poursuit-il. Elle s’est orientée notamment dans la culture de citrons qui consomme moins d’eau, tout en ayant une forte valeur ajoutée. »

Ce genre de spécialisation a son revers : en cas de forte hausse du prix du blé sur les marchés internationaux, c’est la sécurité alimentaire du pays qui se trouve menacée. « L’Egypte ne pourrait pas survivre plus de trois mois, si elle n’importait pas massivement des céréales », conclut le géographe.

Contre la marchandisation de l'eau : l'élasticité de la demande n'existe pas

L’eau – naturelle ou virtuelle – est au cœur de gros enjeux économiques. Dans le secteur énergétique, par exemple, à l’heure du changement climatique, « les grands barrages sont présentés comme une “énergie propre, compétitive et 100 % renouvelable” – ce qui est déjà scientifiquement discutable –, afin de promouvoir leur expansion dans les pays du Sud », explique Ronack Monabay, chargé de campagne aux Amis de la Terre France. Or, ces ouvrages n’améliorent pas automatiquement le quotidien des populations locales : « Le Barrage de Nam Theun, au Laos, a entraîné la réduction des moyens de subsistance de 110 000 personnes (baisse de la qualité de l’eau et des réserves de poissons). L’électricité, elle, est exportée à 90 % en Thaïlande. »

Pour Riccardo Petrella, économiste et fervent opposant à la « marchandisation de l’eau », la « rupture épistémologique » date de 1992, quand la communauté internationale, en pleine préparation du Sommet de la Terre de Rio, a cessé de considérer l’eau comme un bien commun pour en faire un bien économique. « Les gouvernements ont même dit que l’eau était une ressource comme le pétrole, que pour en garantir une “gestion optimale”, il fallait lui fixer un prix de marché en respectant le principe de recouvrement des coûts totaux, souligne-t-il. Or, l’eau est une ressource extraordinaire. Il n’y a pas d’élasticité de la demande. Le prix de l’eau peut monter, la société et l’économie continueront à en consommer pour fonctionner. »

Il n’en demeure pas moins que l’accès à l’eau est encore virtuelle pour un nombre invraisemblable de personnes, surtout parmi les plus pauvres et les plus démunies.

L’eau, un droit humain essentiel

Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations unies a donc adopté une résolution reconnaissant l’accès à l’eau et à l’assainissement comme un droit humain fondamental. « C’est le résultat d’une longue bataille initiée par Evo Morales, le président bolivien, et soutenue par 33 pays d’Amérique latine et d’Afrique, se réjouit Riccardo Petrella. Aucun pays du Nord ne l’a défendue. Lors du vote final, 11 pays de l’Union européenne se sont même abstenus. »

Cette victoire est d’importance, comme l’analyse Catarina de Albuquerque : « L’approche par les droits humains va permettre de donner la priorité aux plus défavorisés. Reprenons l’exemple des OMD. Les Etats veulent montrer qu’ils sont de bons élèves et atteindre les objectifs. Que font-ils ? Ils investissent là où c’est le plus simple, le moins cher, en ville, dans les quartiers favorisés. Pas là où les gens en ont le plus besoin. »

Pour Riccardo Petrella, les bidonvilles sont d’ailleurs « la démonstration la plus concrète de l’échec des politiques menées jusqu’à présent dans le domaine de l’eau ». Amer, il fustige le cynisme des grandes déclarations : « Les classes dirigeantes se foutent éperdument des conditions de vie dans les bidonvilles. »

Il faut donc faire en sorte que la résolution de l’ONU ne reste pas lettre morte. C’est le sens de la réflexion à laquelle participe Catarina de Albuquerque, au sein des Nations unies, pour définir un nouveau cadre de développement international qui entrera en vigueur après 2015. C’est aussi le sens du RAMPEDRE (Rapport mondial permanent on-line sur le droit à l’eau), un outil de suivi et d’information sur la mise en œuvre concrète du droit à l’eau.

Une volonté politique en défaut

« Il faut amorcer un changement radical de modèle de développement, confirme Vandana Shiva. Rien n’est inéluctable. La crise nous le prouve. Hier, qui aurait prédit que la zone euro pourrait s’effondrer ? Nous sommes face à un défi qui est véritablement politique, au sens propre du terme. »

De fait, les changements qui adviendront dans la gestion de la ressource en eau comme en d’autres domaines ne peuvent que s’enraciner dans les droits humains, se renforcer par la participation effective – et pas seulement la consultation – des populations et s’épanouir, que s’ils sont portés par une volonté politique forte. Au Bangladesh comme en Namibie, par exemple, malgré les difficultés, les gouvernements ont adopté des stratégies nationales ambitieuses pour l’eau et l’assainissement. Tout n’est pas parfait mais, en concertation avec les populations, des solutions adaptées sont trouvées, popularisées.

« J’ai visité des pays arides où des quartiers populaires sans accès à l’eau côtoient des quartiers riches avec jardin et piscine, souligne Catarina de Albuquerque. Je reçois un nombre considérable de plaintes de gens qui sont privés d’eau à cause d’industries extractives installées dans leur région. Nous ne sommes pas face à un problème de disponibilité de l’eau mais face à un problème de pouvoir. C’est la volonté politique qui fait aujourd’hui défaut. Point final ! »



Palestine : Soif de justice

« Nous avons un gros problème. D’abord, il n’y a plus d’eau dans le puits que nous utilisons parce qu’il pleut moins. Ensuite, l’armée israélienne a détruit nos citernes. Or, avant qu’elles ne soient détruites, dix familles y puisaient leur eau potable et l’eau pour leur bétail. Désormais, nous devons acheter de l’eau venue de très loin. C’est cher et nous devons nous battre pour pouvoir nous l’offrir. La vie est très dure sans eau. »

Ce témoignage de Zarifeh, une vieille femme d’Amniyr, un village palestinien situé en Cisjordanie, n’est pas unique. Dans les Territoires occupés, l’eau est une denrée naturellement rare, une situation que le conflit avec l’Etat hébreu ne fait qu’aggraver, notamment en freinant, voire en empêchant, le développement des infrastructures nécessaires.

« La campagne Soif de justice vise à sensibiliser les citoyens européens pour qu’ils demandent à leur gouvernement de faire pression sur Israël afin que l’Etat hébreu change son comportement et respecte le droit international et le droit à l’eau des Palestiniens », explique Ghada Snunu, d’EWASH, l’organisation à l’origine de la campagne. Un Palestinien consomme en moyenne de 70 litres d’eau par jour, un Israélien 300 litres. L’Organisation mondiale de la santé recommande, quant à elle, un minimum de 100 litres par jour.

Peut-on dire dès lors que le problème d’accès à l’eau est technique… ou politique ?


En savoir plus sur la campagne Soif de justice :
www.ewash.org et www.thirstingforjustice.org






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