Société

Karima Mondon : « Former les enseignants pour lutter contre les inégalités »

#IdéesPourLaFrance

Rédigé par | Mercredi 19 Avril 2017 à 17:15

S’attacher aux rythmes scolaires, augmenter le nombre de postes d’enseignants, introduire davantage d’autonomie dans les pratiques pédagogiques ne sauraient suffire à réduire les inégalités au sein du système scolaire. Pour Karima Mondon, professeure de français qui exerce depuis 16 ans, mais également formateure académique et présidente d’Éducation en héritage, c’est sur la formation des enseignants que l’Education nationale doit mettre la priorité. Interview.



Karima Mondon est professeure, formateure académique et présidente de l’association Éducation en héritage. (photo D.R.)

Saphirnews : S’agissant de l’Éducation nationale, quel bilan tirez-vous du quinquennat en passe de s’achever ?

Karima Mondon : La remise en place des Écoles supérieures des métiers du professorat et de l’éducation (EPSE) – alors que les IUFM avaient été enterrés par Nicolas Sarkozy – et la réintroduction de l’obligation d’un stage à l’issue du concours pour se préparer à ce que va être le métier d’enseignant figurent parmi les aspects positifs du quinquennat. Celui-ci a été riche en réforme d’éducation, puisque la loi pour la refondation des écoles, en 2013, vient redonner un nouveau cadre à l’Éducation nationale.

Il y a des choses avec lesquelles on ne peut être que d’accord dans l’esprit, c’est-à-dire plus d’autonomie accordée aux équipes, plus de temps donné à l’innovation, l’importance donnée au climat scolaire, plus de bienveillance et plus de coopération entre les enfants…

Dans la mise en œuvre, malheureusement, il y a eu beaucoup de choses faites d’un coup, sans laisser le temps et la possibilité aux équipes de s’approprier ces nouveaux enjeux, sans forcément la formation adéquate.

Que n’a-t-on pas totalement réussi ?

Karima Mondon : En termes, par exemple, de climat scolaire. Quand on voit la façon dont ont été accueillies des manifestations lycéennes en Seine-Saint-Denis, on peut se poser la question si l’on est dans l’écoute attentive des élèves et de leurs revendications. Peuvent-ils vraiment exercer leurs droits citoyens ou attend-on d’eux une conformité au moule institutionnel ? Et dans ce cas-là, on n’est pas dans le sens qui est donné par la loi de refondation.

Il y a la place des parents qui a été remise au centre des débats avec cette loi de refondation. Mais il n’y a toujours pas une collaboration institutionnelle massive des enseignants avec les parents d’élèves.

On se rappelle tous de la fameuse campagne autour des ABCD de l’égalité qui disait vouloir introduire plus d’égalité entre les filles et les garçons et qui a été battue en brèche par des mouvements assez hétéroclites. Et je trouve cela dommage qu’on ait reculé à ce sujet, car c’est une évidence qu’il y a encore malheureusement des stéréotypes de genre : parce que quand on est une fille à l’école de la République, est-ce-que on a les mêmes chances qu’un garçon ? Pas toujours. Toutes ces questions-là ont été un peu escamotées au profit d’un détail idéologique autour du : est-ce qu’on est une fille, est-ce qu’on est un garçon, est-ce que l’identité sexuelle correspond à l’identité biologique ? Etc. Ce n’était pas l’enjeu du débat pour moi.

Et s’agissant de la réforme du collège ?

Karima Mondon : C’est la première fois qu’il y a une réforme de cette ampleur, de tous les niveaux et en même temps. D’habitude, quand on réformait le collège ou le lycée, on le faisait niveau par niveau et on avait un chevauchement de deux systèmes, l’ancien et le nouveau. Le choix, lors du quinquennat de Hollande, a été de tout faire d’un coup. Mais cela été compliqué.

Pour prendre une image, on a dit aux enseignants : voilà, vous avez les clés du camion, vous êtes libres d’organiser des enseignements pratiques, interdisciplinaires, de travailler en coéducation, en co-animation… sauf qu’on ne leur a jamais donné le permis poids lourds. On leur a donné les clés, mais on ne les a pas formés. Du coup, il y a des réticences, une inquiétude professionnelle. C’est un métier qui est en mutation perpétuelle et qui a aussi des enjeux sensibles : on forme la nation de demain, la société de demain et ce n’est quand même pas rien !

Il y a eu aussi des choix qui sont contestables : faire plus ou moins disparaitre le latin – même si ce n’est pas comme cela qu’on l’a formulé – ou le grec ancien, n’est, de mon point de vue, pas une très bonne idée. Parce qu’il me semble que, pour former des gens éveillés, l’école ne peut faire l’impasse sur les humanités et l’accès à la langue dans ses racines, à travers le grec et le latin pour la langue française. C’est quand même une ouverture extraordinaire qu’on peut offrir aux enfants.

Que pensez-vous de la proposition de François Fillon que les conseils d’administration des établissements scolaires décident du port de la tenue vestimentaire identique des élèves, afin de mettre tout le monde sur un même pied d’égalité ?

Karima Mondon : En Guyane, par exemple, département français, tous les collèges et certaines écoles primaires disposent d’un uniforme. Cela diminue-t-il la violence scolaire à l’école ? Non. Cela gomme-t-il les inégalités ? Non. Cela a-t-il un quelconque impact sur les progressions pédagogiques et les avancées cognitives des enfants ? Non. On peut leur mettre de la poudre aux yeux, leur faire chanter La Marseillaise du matin au soir, la question est : « Est-ce que cela rend le système scolaire plus efficace ? » La réponse est non. J’ai déjà été affectée dans l’école publique dans certains territoires d’outre-mer et, clairement, il n’y a pas d’avancées.

Pour moi, ce ne sont même pas des propositions. C’est même indigne venant de quelqu’un qui se présente à la présidentielle de prendre l’éducation par ce petit bout-là. Cela veut dire qu’il n’a pas de projets.

Parmi les propositions des candidats à la présidentielle, on trouve aussi pêle-mêle : abroger la réforme du rythme scolaire, arrêter les cartes scolaires, recruter plus d’enseignants… qu’en pensez-vous ?

Karima Mondon : Pour moi, c’est moins prioritaire. Bien sûr, on peut toujours recruter plus d’enseignants. Mais si on les recrute sans formation et qu’on ne les accompagne pas, au final on va dire dans cinq ans : ah, bah, c’est toujours pareil.

S’agissant de l’échec scolaire, on met toujours la focale sur les élèves. Pour ma part, je dis qu’il faut changer de focale et se positionner du côté des enseignants. On ne peut pas demander aux élèves de changer de background culturel, de changer de famille pour connaitre les codes de l’école. En revanche, les enseignants peuvent se questionner sur ce qui dysfonctionne dans leur pratique et, au contraire, sur ce qui fonctionne et peut être modélisant et duplicable ailleurs.

Donc, pour moi, la priorité, c’est la formation des enseignants. Car ce sont les pratiques pédagogiques qui font réussir ou échouer les élèves. Malheureusement, je n’entends que peu parler de la formation des enseignants dans les programmes des candidats.

Quelles sont donc vos préconisations pour le prochain quinquennat ?

Karima Mondon : Si on veut vraiment prendre à bras-le-corps le problème de la reproduction des inégalités à l’école, il faut le repenser à partir de la formation des enseignants, qui est aujourd’hui boiteuse.

Certes, il y a la formation initiale mais elle va dépendre des ressources que l’ESPE peut mobiliser localement. Évidemment, la situation n’est pas la même dans une ESPE à Lyon qui bénéficie d’un gros pool universitaire et dans une ESPE en Guyane où la ressource va être plus rare : la formation des enseignants va être impactée par ces conditions.

Et au-delà de la formation initiale, il y a un gros problème sur la formation continue. Il faudrait donner aux enseignants plus d’empowerment quant à leur formation continue, qui serait d’initiative locale. C’est-à-dire qu’on leur donne les moyens de demander des formations, de faire venir des experts sur des réalités qui sont celles des établissements dans lesquels ils exercent. Pourquoi n’introduit-on pas, par exemple, au bout de trois ans d’expérience d’enseignement effectif, la nécessité de retourner sur les bancs de la fac ou d’être accompagné par des chercheurs pour produire un vrai mémoire professionnel sur ses pratiques ?

Et les inspecteurs de l’Éducation nationale devraient exercer davantage leurs missions de formateur – car ils sont les premiers formateurs –, en mettant en place des inspections innovantes dans lesquelles on va davantage aider l’enseignant à évaluer sa pratique plutôt que de donner un guide de bonne conduite ou une bonne ou une mauvaise note.

Donc, la priorité est de mettre un grand focus sur la formation des enseignants et leur accompagnement. C’est un mauvais calcul politicien de dire que former les enseignants coute cher. Parce que ne pas les former a un cout social énorme, cela génère de l’échec scolaire, cela génère des élèves devenus adultes qui vont être entravés dans leur insertion sociale parce qu’on ne leur a pas donné les moyens de se protéger eux-mêmes avec la connaissance et les compétences qu’ils auraient pu acquérir à l’école.



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur