Points de vue

L’Autre, promesse ou menace ?

Rédigé par Micheline Bochet-Le Milon,et Ramzi Ait-Djaoud | Mardi 19 Novembre 2024 à 13:30



Les deux dernières années, les Semaines de rencontres islamo-chrétiennes (SERIC) ont questionné la fraternité et l’hospitalité ; la première, élément de la devise républicaine mais également valeur partagée par nos deux religions ; l’hospitalité, de son côté, inhérente au message coranique comme biblique est apparue comme méritant d’être érigée en droit fondamental et universel.

Lire aussi : Face aux tragédies, déployons la force de vie de l’hospitalité pour qu’elle soit le signe de notre humanité

Nous avons exploré le contenu de ces deux grandes valeurs sans le remettre en cause, tant il nous semblait s’imposer. Mais il reste à nous interroger sur ce que cela induit dans nos vies quand nous sommes à l’épreuve de la présence de l’Autre, non pas comme une entité abstraite mais comme celui que je côtoie, celui qui me ressemble tout en étant si différent, mon face à face comme un miroir mais dans lequel pourtant je ne me reconnais pas.

Cet « autre » est-il condamné à rester un étranger ou peut-il devenir mon semblable ?

L’Autre, promesse ou menace ? Y a-t-il « nous » et « les autres » ? Ceux qui sont à l’intérieur du cercle, mes proches avec lesquels je partage les mêmes valeurs, « ma tribu » en quelque sorte, dont je me dois d’être solidaire ? Et les autres dont je me méfie puisque précisément ils sont différents et que je ne mesure pas ce que cachent leurs différences ? Dans des sociétés de plus en plus mondialisées, marquées par le mélange et le brassage, paradoxalement les « tribus » se reconstituent au nom d’une caractéristique ethnique, d’une croyance, de la défense d’une culture, ou tout autre élément, dans une identité souvent fantasmée qu’elles entendent défendre bec et ongles et cette violence est constamment sous nos yeux.

Pourtant, Jésus a enseigné qu’aimer son prochain comme soi-même est une condition pour être chrétien. De son côté, le monde musulman au cours de son histoire a fait preuve d’une grande capacité à la coexistence, ayant même établi un « protocole de tolérance » avec les populations vivant sur ses territoires et on sait combien cette coexistence a été féconde, que ce soit dans le domaine artistique ou intellectuel. Il suffit de penser à Grenade.

A vrai dire, chacun de nous n’est-il pas fait d’éléments multiples et variés qui font sa richesse et sa singularité ? Plus encore, chacun de nous n’est-il pas le résultat d’un métissage, qui nous fait appartenir à des cercles différents qui empiètent les uns sur les autres et se recoupent de telle façon que la frontière entre « nous » et « les autres » devient extrêmement mouvante et poreuse.

Et puis chacun de nous est aussi l’autre de quelqu’un qui peut avoir sur nous un regard aussi bien perplexe, voire même hostile que curieux et bienveillant. Cet « autre » est-il condamné à rester un étranger ou peut-il devenir mon semblable ? Cela exige de voir en lui une personne vis-à-vis de laquelle je m’oblige au respect, de considérer l’autre comme un autre soi-même, nous dit Paul Ricoeur.

Le Groupe d'amitié islamo-chrétienne (GAIC), par la vocation qu’il s’est donnée dès sa création, a un rôle à jouer dans cette reconnaissance, pour « réparer ensemble le tissu déchiré du monde », comme le propose le philosophe Abdennour Bidar. Soyons ces « tisserands » qui s’efforcent de réparer, ne serait-ce qu’un un petit bout de ce tissu déchiré grâce à nos échanges, nos réflexions, nos moments de convivialité. A chacun de vous de trouver le fil le plus approprié pour y parvenir.

*****
Micheline Bochet-Le Milon et Ramzi Ait-Djaoud sont présidents du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC) qui organise en novembre et en décembre 2024 la 24e édition des Semaines de rencontres islamo-chrétiennes (SERIC) autour du thème faisant l'objet de la contribution plus haut. Les événements sont consultables en pièce jointe.