La suspicion semble être une règle pour rendre compte de l’islam au travers des médias. Plus d’une dizaine d’années depuis la première affaire du voile, le discours n’a pratiquement pas changé. A chaque affaire médiatique qu’on lie à l’Islam, le discours médiatique se trouve renforcé.
L’affaire du foulard
Le voile, qui n’est objectivement qu’un morceau de tissu couvrant les cheveux, va pourtant être au centre d’une des plus grandes affaires médiatique des années 90. La réalité de ce mode vestimentaire est vécue chez les intéressées comme signe de l’intériorité et de l’intimité. Le foulard chez ces jeunes françaises n’est pas un symbole d’une soumission aveugle à la tradition, ni l’expression de l’enfermement dans l’espace de la féminité ancestrale, c’est plutôt un foulard qui légitime l’extériorisation de la femme et donne un sens moral. La sociologue Françoise Gaspard (6), parle d’un foulard revendiqué. Elle montre que les jeunes filles décidant de porter le voile, ne sont pas celles qui sont les moins intégrées et qui rejetteraient globalement la société française comme on aurait tendance à croire. Au contraire, ses recherches ont conduit la sociologue a observer que très souvent ce sont des jeunes femmes qui sont les plus avancées dans le système d’intégration, maîtrisent la langue française et sont diplômées. Elle mentionne que « nombre de filles voilées que nous avons rencontrées nous ont semblé plus proches d’une attitude moderne que certaines femmes et filles non voilées…(7) » Ce sont ces femmes qui ressentent quelque fois le besoin de porter le voile, non pour rompre avec la société, mais plutôt pour exprimer une distanciation afin de ne pas se perdre dans l’anonymat d’une assimilation anomique. Le foulard est donc selon Françoise Gaspard le témoin d’une identité spécifique pour négocier l’achèvement de l’intégration sous une forme non générique.
Le discours médiatique se construit à partir d’évènements. Parmi ses rôles, il y a celui d’informer l’opinion publique en évitant de déformer l’information. Nous verrons, pourtant que le discours médiatique sur les évènements liés au voile véhicule des stéréotypes millénaires.
L’affaire de Creil
C’est à la rentrée scolaire de 1989, en pleine commémoration du bicentenaire de la Révolution Française qu’explose l’affaire du voile. Les faits commencent au collège Gabriel Havez à Creil le 18 septembre. Trois jeunes filles d’origine maghrébine sont exclues de l’école à cause de leur voile. Le proviseur, auteur du renvoi, justifie les faits en dénonçant le voile comme étant « une atteinte à la laïcité et à la neutralité de l’école publique. » et exerçant « une pression idéologique sur les autres élèves tout en perturbant les relations avec les professeurs ». Le 3 octobre le courrier Picard publie le premier article sur la situation au collège de Creil. C’est le quotidien national Libération qui lance l’affaire avec la publication le 4 octobre d’un article sous le titre : « Le port du voile heurte la laïcité du collège de Creil ». Le Croix, Le Monde et Le Figaro rattrapent le retard en accordant une page à cette affaire. Le Monde titre successivement ses articles: « Sans voile (8)», « Trois foulards contre la sérénité laïque (6) », « l’Islam dans l’école de la République (9) » Le figaro intitule un reportage : « les tchadors de la discorde (10)» En dépit de la médiatisation de ce fait local, et excepté la prise de position en faveur de l’intégration des adolescentes à l’école de trois grandes associations : MRAP, Ligue des droits de l’homme, SOS RACISME, les dirigeant politiques se taisent. De plus, tous les protagonistes ont trouvé un compromis : les collégiennes pourraient porter le foulard partout dans l’école sauf en classe. Au bout d’une semaine l’affaire aurait donc dû s’éteindre. Or, la presse quotidienne faisant ses choux gras sur ce type confrontation se mis à révéler que le cas de Créteil n’était pas isolé et que dans de nombreuses villes ce genre d’incident se répète. La presse hebdomadaire fit elle aussi sa « une » sur le foulard. Toute cette couverture médiatique fit du voile un problème national. Françoise Gaspard affirme que « c’est certainement la presse qui a contribué à provoquer le rebondissement de la situation à Creil. (11) » A partir du 20 octobre, la presse instaure le débat sur le voile et la laïcité et l’affaire dépasse l’actualité. Désormais, ce sont les plus grands éditorialistes ou rédacteurs en chef de grands journaux qui signent les articles de fond. Le voile devient le symbole d’une question de société qui agite la France. Même le quotidien économique « Les Echos » consacre l’éditorial de première page à l’affaire sous le titre « Tchadors (10)». Serge July, titre son édito « Il est préférable de ne pas se voiler la face (11)» Dans Le Figaro, ce sont Max Clos et Georges Suffert qui écrivent leur point de vue. Les journaux ouvrent leurs tribunes au monde associatif, politique et intellectuel, à toutes les personnalités voulant s’exprimer sur le sujet.
La menace islamique, une logique médiatique
Al Djihâd
L’universitaire Tariq Ramadan s’interroge : « comment, en effet, l’une des notions les plus fondamentales de l’islam en est elle venue à exprimer l’une de ses caractéristiques les plus sombres ? Comment un concept fort de la plus intense des spiritualités est il devenu le symbole le plus négatif de l’expression religieuse ? » Il explique lui aussi que la cause provient en partie des croisades. Djihâd, est en effet un terme coranique. Pour le comprendre il nécessite de se plonger dans la compréhension du Coran et de la sunna. Contrairement à ce que l’on croit Al Djihâd signifie littéralement effort. La signification appartient à l’ordre mystique. Selon la spiritualité musulmane, l’homme doit faire un effort pour contrôler les agitations de son âme et établir ainsi l’équilibre et la sérénité. Cet acte se nomme : « Djihâd an-nafs ». Tariq Ramadan, islamologue explique et traduit cette notion tant employée par les médias en ces termes : « La tension est naturelle, le conflit de l’intimité est proprement humain et l’homme chemine se réalise dans et par l’effort qu’il fournit pour donner force et présence à l’inclination de son être la moins violente, la moins colérique, la moins agressive. Il lutte, au quotidien, contre les forces les plus négatives de son être : il sait que son humanité sera au prix de leur maîtrise. Cet effort intime, cette lutte entre les postulations de l’intériorité est la traduction – littérale et figurée – la mieux appropriée du mot djihâd. »
Le 11 septembre…
Alors que les médias commençaient à porter un regard beaucoup plus complexe sur l’Islam en général, les attentats tragiques du 11 septembre 2001 ont réactivé les vieux réflexes. Aussi bien au niveau des responsables politiques que des journalistes, les discours vont être à l’origine de nombreux amalgames. Des termes lâchés par le président des Etats-Unis comme « croisades », « le bien contre le mal » vont être repris en boucle par les médias.
Cyrille Louis, pour Le figaro titre son enquête : « Dans les banlieues, les fondamentalistes se taisent… » L’Express publie : « la Troisième Guerre mondiale a commencé mardi 11 septembre sur la côte est des Etats-Unis. Une guerre mondiale d'un nouveau genre, inédite dans l'Histoire, entre le terrorisme, selon toute vraisemblance islamiste, et l'Occident. On ne connaissait ni le jour ni le lieu où ceux que l'on désigne déjà comme les guerriers d'Allah frapperaient. (14) » On n’invite plus les scientifiques reconnus comme Gilles Kepel et Olivier Roy qui avaient notamment ensemble écrit le livre expansion et déclin de l'islamisme, (Ed.Gallimard, 2000). On préfère inviter des réactionnaires comme Alexandre del Valle ou Oriana Fallaci et entendre des discours sur une éventuelle guerre de civilisation entachée d’islamophobie. Lorsque des intellectuels musulmans, très engagés sur le terrain, militent pour une expression de la citoyenneté, condamnent les attentats, mais continuent à mener d’exégèse coranique ; ils sont accusés de tenir un double langage. «Un fondamentaliste charmeur spécialiste du double langage» déclare Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l'Orient en parlant de Tariq Ramadan, dans les colonnes de Lyon Mag’. La publication est poursuivie en justice pour diffamation par l’universitaire. «C'est la première fois que j'entame une telle procédure, les limites ont été ici clairement dépassées en laissant croire que je puisse être à l'origine du recrutement de jeunes terroristes» tient à préciser Tariq Ramadan. C’est aussi la première fois que quatre associations musulmanes poursuivent le magazine littéraire Lire accusé d’avoir publié des propos racistes de Michel
Les musulmans commencent à peine à se saisir des leviers démocratiques telle que la justice pour rappeler à l’ordre et à leurs devoirs éthiques les médias usant impunément des amalgames et de la diffamation. La participation des musulmans aux processus médiatique aidera beaucoup à réduire la discrimination des médias à l’égard de l’Islam et des musulmans.