Le troisième Sommet mondial de l'économie islamique a été organisé les 11 et 12 octobre à Dubaï. © GIES
L’industrie du halal, la finance et les arts islamiques, le tourisme halal-friendly… Le Sommet mondial de l’économie islamique (GIES) a organisé sa troisième édition les 11 et 12 octobre à Dubaï, à l'initiative de la Chambre du commerce et de l’industrie et le Centre du développement de l’économie islamique de Dubaï, et sous le haut patronage de l’émir et Premier ministre Mohammed Ben Rachid Al Maktoum.
« Le périmètre de l’art islamique tel que défini par les galeries d’art et les musées s’est largement étendu pour inclure désormais des œuvres contemporaines d’artistes issus du Moyen-Orient. S’inspirant de leur héritage culturel, ces individus talentueux utilisent des techniques et des matériaux de périodes anciennes afin de réadapter l’art islamique et de l’éloigner des limites traditionnelles », présentaient les organisateurs du GIES d'une table-ronde dédiée à la question. « Il est aussi établi que l’art islamique est un investissement juteux avec un prix moyen en 2015 de 19 800 dollars pour des anciens objets islamiques vendus aux enchères, selon Tutela Capital », un service de conseil en art et en investissement.
A cet effet, la directrice du département des Arts de l’islam du Louvre Yannick Lintz a été invitée à intervenir lors d’une table ronde explorant « l’évolution de l’art islamique : entre transformation esthétique et attrait à l’investissement » aux côtés d’Ahmed Salim, le cofondateur et directeur de l'organisation 1001 Inventions visant à promouvoir l'héritage culturel et scientifique musulman dans le monde. Interview.
« Le périmètre de l’art islamique tel que défini par les galeries d’art et les musées s’est largement étendu pour inclure désormais des œuvres contemporaines d’artistes issus du Moyen-Orient. S’inspirant de leur héritage culturel, ces individus talentueux utilisent des techniques et des matériaux de périodes anciennes afin de réadapter l’art islamique et de l’éloigner des limites traditionnelles », présentaient les organisateurs du GIES d'une table-ronde dédiée à la question. « Il est aussi établi que l’art islamique est un investissement juteux avec un prix moyen en 2015 de 19 800 dollars pour des anciens objets islamiques vendus aux enchères, selon Tutela Capital », un service de conseil en art et en investissement.
A cet effet, la directrice du département des Arts de l’islam du Louvre Yannick Lintz a été invitée à intervenir lors d’une table ronde explorant « l’évolution de l’art islamique : entre transformation esthétique et attrait à l’investissement » aux côtés d’Ahmed Salim, le cofondateur et directeur de l'organisation 1001 Inventions visant à promouvoir l'héritage culturel et scientifique musulman dans le monde. Interview.
Saphirnews : Vous êtes intervenue au 3e sommet mondial de l’économie islamique, étonnamment, sur l’art islamique comme enjeu d’investissement. Est-ce la première fois que ce sommet mondial s’intéresse à l’art islamique ?
Yannick Lintz : Tout à fait, ce 3e sommet s’est tenu cette année à Dubaï et les organisateurs ont voulu avoir un panel sur la question des enjeux d’investissements sur l’art islamique. Le mot « investissement » était entendu selon plusieurs sens. L’investissement financier que l’on peut faire sur le marché de l’art islamique, pour susciter des vocations d’éventuels collectionneurs dans le monde financier. Mais aussi l’investissement que l’on peut consacrer à des programmes, éducatifs notamment, qui permettent de mieux connaitre l’art et la culture islamique. Il s’est aussi agi de parler de ce qui peut contribuer à constituer, pour le long terme, la mémoire du patrimoine islamique détruit dans les pays en guerre.
Quelles ont été vos propositions à ce sujet, en tant que directrice du département des Arts de l’islam ?
Yannick Lintz : Ce n’était pas tant de faire des propositions que de faire connaitre ce que le département des Arts de l’islam du musée du Louvre a essayé de mettre en place. Que ce soit sur l’enjeu éducatif d’une meilleure connaissance de l’art islamique ou sur la question de la constitution d’une mémoire du patrimoine islamique détruit, le département est très engagé.
J’ai expliqué que les enjeux éducatifs sont en lien avec des contextes sociaux. Le contexte national et international est en prise avec ces questions d’immigration, de multiculturalité, d’islam présentes constamment aujourd’hui, où règne le sentiment que « l’islam, c’est l’islamisme » et que c’est donc « la violence, les destructions et le jihadisme ». On est au cœur de cette réalité quotidienne actuelle.
J’ai expliqué que les enjeux éducatifs sont en lien avec des contextes sociaux. Le contexte national et international est en prise avec ces questions d’immigration, de multiculturalité, d’islam présentes constamment aujourd’hui, où règne le sentiment que « l’islam, c’est l’islamisme » et que c’est donc « la violence, les destructions et le jihadisme ». On est au cœur de cette réalité quotidienne actuelle.
Yannick Lintz : « Éduquer sur l’art islamique, ce n’est pas faire un cours d’histoire de l’art académique, c’est aller à l’encontre des certitudes et des préjugés qu’ont les uns et les autres, en Orient comme en Occident. »
Dans ce contexte, il faut réfléchir à comment, par le biais d’une histoire culturelle et artistique qu’illustre la collection du département des Arts de l’islam du Louvre, on peut contribuer à mieux faire connaître les âges d’or d’une civilisation dont l’enjeu n’a pas été de détruire pendant des siècles mais bel et bien de construire et de développer.
J’ai été amenée à dire que la première question est celle de la définition de l’art islamique. Finalement, c’est une notion très européano-centrée. Ce qui les a beaucoup étonnés, parce que c’est vrai que lorsque vous parlez à un Arabe ou à un Iranien, dans son héritage culturel, il ne va jamais parler d’un art islamique, il va parler d’un art arabe, d’un art iranien. Cette notion d’art islamique, que ce soit les Orientaux et les Occidentaux, personne ne sait vraiment de quoi l’on parle.
J’ai été amenée à dire que la première question est celle de la définition de l’art islamique. Finalement, c’est une notion très européano-centrée. Ce qui les a beaucoup étonnés, parce que c’est vrai que lorsque vous parlez à un Arabe ou à un Iranien, dans son héritage culturel, il ne va jamais parler d’un art islamique, il va parler d’un art arabe, d’un art iranien. Cette notion d’art islamique, que ce soit les Orientaux et les Occidentaux, personne ne sait vraiment de quoi l’on parle.
Justement, comment définit-on l’art islamique en Occident ? Et en Orient, de quoi parle-t-on ?
Yannick Lintz : Les questions posées sont un peu les mêmes en Orient et en Occident. Quand on nous demande de définir l’art islamique, dans les attendus c’est forcément un art aniconique, c’est-à-dire un art sans images, où règnent la calligraphie, l’arabesque, d’une certaine manière l’abstraction, parce que c’est un art soumis au droit coranique qui interdit l’image, etc. C’est une définition que donnerait une personne plutôt cultivée. Je voyais bien que c’était la vision de ce public musulman, pas forcément spécialiste d’art.
En fait, notre travail consiste à démontrer que c’est plus compliqué que cela. Il faut aller directement à l’encontre des préjugés : la question de l’image devient centrale puisque c’est symboliquement ce que détruisent les jihadistes, c’est autour de cela que se crée toute la question de la représentation du Prophète, des caricatures et ce qui a conduit à des attentats funestes.
En fait, notre travail consiste à démontrer que c’est plus compliqué que cela. Il faut aller directement à l’encontre des préjugés : la question de l’image devient centrale puisque c’est symboliquement ce que détruisent les jihadistes, c’est autour de cela que se crée toute la question de la représentation du Prophète, des caricatures et ce qui a conduit à des attentats funestes.
Encadrement de porte provenant d’un édifice religieux, à Fès (Maroc, fin du XIVe-début du XVe siècle), présenté à l’exposition « Le Maroc médiéval », au musée du Louvre (oct. 2014-janv. 2015).
Éduquer sur l’art islamique, ce n’est pas faire un cours d’histoire de l’art académique, c’est commencer à aborder le domaine par les questions que se posent les gens, les certitudes qu’ils pensent avoir. Par exemple, y a-t-il des images dans l’art islamique ? Oui, il y en a, puisque l’art islamique est l’art d’une civilisation et pas seulement d’une religion : c’est l’art des palais, l’art des plaisirs des sultans, c’est exactement les mêmes contextes de créations artistiques qu’a connu l’Occident. Qui commande les grandes œuvres d’art ? Cela peut être les responsables religieux pour les mosquées et les sanctuaires, de même qu’il y a eu un art des églises en Occident, mais c’est avant tout des responsables politiques qui veulent décorer leurs palais, c’est une manière aussi d’affirmer leur puissance. Selon les époques se créent aussi des classes aisées et cultivées : il y a toute cette vie culturelle dans le monde oriental d’amateurs et de collectionneurs dès le XIIe et le le XIIe siècle.
Donc quand je dis qu’il faut éduquer, c’est parce que c’est un art compliqué comme l’est l’art occidental : qui, aujourd’hui, est capable de comprendre un tableau du XVe siècle ? On est devant la même limite culturelle générale, que soit l’art occidental que l’art oriental ou islamique. Et, par ailleurs, il y a ces préjugés liés au contexte d’aujourd’hui sur l’interdiction de l’image : non, elle ne l’est pas, ou pas toujours, cela dépend des contextes, etc.
Donc quand je dis qu’il faut éduquer, c’est parce que c’est un art compliqué comme l’est l’art occidental : qui, aujourd’hui, est capable de comprendre un tableau du XVe siècle ? On est devant la même limite culturelle générale, que soit l’art occidental que l’art oriental ou islamique. Et, par ailleurs, il y a ces préjugés liés au contexte d’aujourd’hui sur l’interdiction de l’image : non, elle ne l’est pas, ou pas toujours, cela dépend des contextes, etc.
Mais l’art islamique s’arrête-t-il à une période historique ? Ou peut-on considérer que les œuvres des artistes contemporains, qui sont postrévolutionnaires comme ceux de Tunisie ou révolutionnaires comme ceux de Syrie, font partie de l’art islamique ?
Yannick Lintz : La notion d’art islamique est un héritage qui date de la fin du XIXe siècle, formée par les Occidentaux et plus précisément par les Européens. Mais c’est un très mauvais terme.
Oui, l’on peut considérer que les artistes contemporains produisent de l’art islamique si l’on considère que ces artistes sont issus du monde islamique, en tant qu’aire géographique et aire civilisationnelle. Mais la caractéristique artistique est-elle propre ? Je dirais qu’il y a de tout dans la création contemporaine. Comme chez les artistes occidentaux, il y a ceux qui vont s’inspirer d’une tradition et faire du « néo-quelque chose ». Par exemple − j’étais encore en Iran la semaine dernière −, il y a encore dans tous ces pays toute une tradition de calligraphes, qui ont des statuts sociaux et culturels très importants. On est là dans une continuité culturelle complètement classique. Il y a d’autres artistes, pour x raisons, parce que c’est leur personnalité et leur parcours, qui n’ont pas du tout envie de s’appuyer sur une tradition locale de leur origine et qui, au contraire, ont envie de s’ouvrir à la modernité internationale.
Oui, l’on peut considérer que les artistes contemporains produisent de l’art islamique si l’on considère que ces artistes sont issus du monde islamique, en tant qu’aire géographique et aire civilisationnelle. Mais la caractéristique artistique est-elle propre ? Je dirais qu’il y a de tout dans la création contemporaine. Comme chez les artistes occidentaux, il y a ceux qui vont s’inspirer d’une tradition et faire du « néo-quelque chose ». Par exemple − j’étais encore en Iran la semaine dernière −, il y a encore dans tous ces pays toute une tradition de calligraphes, qui ont des statuts sociaux et culturels très importants. On est là dans une continuité culturelle complètement classique. Il y a d’autres artistes, pour x raisons, parce que c’est leur personnalité et leur parcours, qui n’ont pas du tout envie de s’appuyer sur une tradition locale de leur origine et qui, au contraire, ont envie de s’ouvrir à la modernité internationale.
« Lovers Pinicking » (2010) est une œuvre de Soody Sharifi, qui mêle scènes traditionnelles de la miniature persane et photographies de la société iranienne actuelle. Elle a été présentée à l’IMA lors de l’exposition « Jardins d’Orient » en 2015 (photo : © Saphirnews)
C’est vrai que la question de la définition de l’art islamique dans la création contemporaine se joue sur ces questions-là. J’ai rencontré en Iran de jeunes artistes, des photographes : c’est très intéressant de voir comment par l’ironie ils peuvent retravailler sur les traditions artistiques, il y a des clins d’œil. Mais on ne peut pas dire qu’il y a un canon artistique de l’art islamique contemporain. Ce terme d’« art islamique » n’a pas plus de sens pour l’art contemporain qu’il n’en a, à mon avis, pour l’art du passé.
Quand en 1903 se crée le musée national du Caire, celui qui s’appelle aujourd’hui musée des Arts islamiques du Caire s’appelait à l’époque musée national d’Arts arabes. On est dans cette affirmation du nationalisme. En revanche, les Occidentaux qui sont fascinés par l’Orient vont construire ce terme « art islamique » qui devient le terme académique.
D’ailleurs, quand je parle de la définition de l’art islamique et de sa dénomination, mes interlocuteurs musulmans du monde oriental me demandent : « Pourquoi n’a-t-on pas baptisé l’histoire de l’art occidental comme l’histoire de l’art chrétien ? » C’est là que les mots se sont gravés dans une tradition et ne sont pas logiques.
Quand en 1903 se crée le musée national du Caire, celui qui s’appelle aujourd’hui musée des Arts islamiques du Caire s’appelait à l’époque musée national d’Arts arabes. On est dans cette affirmation du nationalisme. En revanche, les Occidentaux qui sont fascinés par l’Orient vont construire ce terme « art islamique » qui devient le terme académique.
D’ailleurs, quand je parle de la définition de l’art islamique et de sa dénomination, mes interlocuteurs musulmans du monde oriental me demandent : « Pourquoi n’a-t-on pas baptisé l’histoire de l’art occidental comme l’histoire de l’art chrétien ? » C’est là que les mots se sont gravés dans une tradition et ne sont pas logiques.
Quel est l’état des lieux dans les pays arabes de l’art « en général » et pas seulement de l’art dit « islamique » ?
Yannick Lintz : Je ne suis pas une spécialiste de l’art contemporain et je vous répondrai selon ma culture générale en ce domaine. On voit bien qu’au Liban, en Égypte, au Maroc, en Tunisie… tout ce contour méditerranéen a une longue tradition d’art contemporain depuis le début du XXe siècle, multiple dans ses styles. L’Iran aussi est d’une créativité folle. Cela doit être moins diversifié dans le golfe arabique, encore que j’ai eu l’occasion d’aller l’an dernier à Sharjah, près de Dubaï, et j’ai été étonnée de voir la vivacité de l’École des Beaux-Arts de l’université de Sharjah, qui a des professeurs qui viennent du monde entier enseigner et qui est d’une créativité étonnante.
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