Comment ne pas réagir aux chaos et aux morts de la semaine passée sans revenir sur l’ensemble des enjeux de cette transition marquant la fin de l’ère Moubarak ?
Il est d’abord nécessaire de faire face à l’urgence et d’arrêter les violences. Il y a déjà trop de morts. Car c’est bien le chemin vers une guerre civile qui se profile si les choses continuent. Depuis une semaine, la violence a essentiellement pour origine l’armée qui a décidé de briser par la force les occupations des Frères musulmans.
Il est d’abord nécessaire de faire face à l’urgence et d’arrêter les violences. Il y a déjà trop de morts. Car c’est bien le chemin vers une guerre civile qui se profile si les choses continuent. Depuis une semaine, la violence a essentiellement pour origine l’armée qui a décidé de briser par la force les occupations des Frères musulmans.
Les Frères musulmans, aussi incontournables qu’incompétents
Je ne suis ni pour ni contre les Frères musulmans. Mais il s’avère que cette répression et les morts actuels vont bien au-delà d’une victimisation du mouvement.
La première victime est avant tout l’embryon de démocratie qui aurait pu voir le jour. Si Mohamed El Baradei a démissionné je pense qu’au-delà du calcul politique ‒ dont on ne sait pas encore s’il sera payant ‒, il a compris qu’on ne pouvait trancher cette fracture qui parcourt l’Égypte par les armes sans générer des conséquences désastreuses. Le retour de l’état d’urgence est le symbole d’un pays qui vit dans une situation d’exception où la sécurité et la justice relèvent de mesures discrétionnaires avec des contre-pouvoirs redevenus des concepts théoriques.
La stratégie d’opposition frontale de la direction des Frères musulmans prouve aussi qu’on a franchi un point de non-retour. D’après Bernardino Leon, l’émissaire de l’Union européenne en Égypte, les Frères et El Baradei étaient d’accord pour sortir par le haut de cette crise. Mais Sissi aurait refusé. Que l’UE tienne un tel discours public est suffisamment rare pour être souligné.
A la suite à cette rupture les Frères musulmans se sont probablement sentis suffisamment forts pour obtenir par la rue ce que les négociations leur avait refusé. Mais surtout ils n’ont pas compris qu’on ne peut ni gouverner durablement pour un seul clan ni défier l’armée sans conséquences. Jouer sincèrement l’unité nationale était la seule alternative. Ce comportement de surenchère est le symptôme d’un acteur muselé pendant 50 ans qui souhaite reprendre ce pouvoir conquis à la suite du départ de Moubarak. Cette stratégie du chaos les victimise aux yeux des étrangers mais les décrédibilise également comme acteur politique responsable.
Sur le fond, Morsi et les Frères étaient déjà en train de prouver leur incapacité à gouverner un pays avec des slogans. Cet immaturité et cette incompétence ne sont pas étonnantes venant d’un mouvement constamment dans l’opposition et bercé par ses propres illusions.
Concernant l’opposition, il faut quand même rappeler que, mis à part être uni contre les Frères musulmans, elle n’a pas non plus la capacité à faire émerger un leader ni de contester leur rôle social. Même s’il y a eu 30 millions de manifestants contre Morsi, elle n’avait pas réussi à se fédérer autour d’un candidat ou d’un projet lors des dernières élections présidentielles. Le deuxième tour opposait Morsi à Ahmed Chafiq (un ancien de Moubarak). Il est bien plus facile de se mobiliser contre les Frères que de rassembler une majorité sur un projet alternatif.
La première victime est avant tout l’embryon de démocratie qui aurait pu voir le jour. Si Mohamed El Baradei a démissionné je pense qu’au-delà du calcul politique ‒ dont on ne sait pas encore s’il sera payant ‒, il a compris qu’on ne pouvait trancher cette fracture qui parcourt l’Égypte par les armes sans générer des conséquences désastreuses. Le retour de l’état d’urgence est le symbole d’un pays qui vit dans une situation d’exception où la sécurité et la justice relèvent de mesures discrétionnaires avec des contre-pouvoirs redevenus des concepts théoriques.
La stratégie d’opposition frontale de la direction des Frères musulmans prouve aussi qu’on a franchi un point de non-retour. D’après Bernardino Leon, l’émissaire de l’Union européenne en Égypte, les Frères et El Baradei étaient d’accord pour sortir par le haut de cette crise. Mais Sissi aurait refusé. Que l’UE tienne un tel discours public est suffisamment rare pour être souligné.
A la suite à cette rupture les Frères musulmans se sont probablement sentis suffisamment forts pour obtenir par la rue ce que les négociations leur avait refusé. Mais surtout ils n’ont pas compris qu’on ne peut ni gouverner durablement pour un seul clan ni défier l’armée sans conséquences. Jouer sincèrement l’unité nationale était la seule alternative. Ce comportement de surenchère est le symptôme d’un acteur muselé pendant 50 ans qui souhaite reprendre ce pouvoir conquis à la suite du départ de Moubarak. Cette stratégie du chaos les victimise aux yeux des étrangers mais les décrédibilise également comme acteur politique responsable.
Sur le fond, Morsi et les Frères étaient déjà en train de prouver leur incapacité à gouverner un pays avec des slogans. Cet immaturité et cette incompétence ne sont pas étonnantes venant d’un mouvement constamment dans l’opposition et bercé par ses propres illusions.
Concernant l’opposition, il faut quand même rappeler que, mis à part être uni contre les Frères musulmans, elle n’a pas non plus la capacité à faire émerger un leader ni de contester leur rôle social. Même s’il y a eu 30 millions de manifestants contre Morsi, elle n’avait pas réussi à se fédérer autour d’un candidat ou d’un projet lors des dernières élections présidentielles. Le deuxième tour opposait Morsi à Ahmed Chafiq (un ancien de Moubarak). Il est bien plus facile de se mobiliser contre les Frères que de rassembler une majorité sur un projet alternatif.
L’armée : le sauveur historique qui s’est mué en parasite prédateur
Finalement, c’est le rôle du général al-Sissi et surtout le contrôle de l’État par l’armée qui sont l’enjeu majeur qui conditionnera l’avenir de ce pays. Il est révélateur qu’il n’y a pas eu un seul président depuis plus de 50 ans qui ne soit issu de l’armée. Au-delà du soutien populaire dont elle bénéficie, l’armée s’est d’abord érigée comme un État dans l’État avec des concessions et des privilèges économiques ahurissants.
L’existence même d’un ministère de la Production militaire qui emploie à lui seul 40 000 civils suffit à dessiner les premiers contours de cet empire. Mais le contrôle par l’armée des entreprises de l’économie civile est encore plus surprenant. On peut citer des secteurs aussi divers que : l’alimentation (huile d’olive, lait, pain et eau), le ciment, les carburants, les vêtements, l’électroménager, la production de véhicules, les stations de tourisme, l’hôtellerie ainsi que le bâtiment. Les entreprises militaires bénéficient surtout d’un avantage « comparatif », en étant exonérées des taxes et des règles de droit commun. Les conglomérats militaires représenteraient entre 10 à 15 % du PIB. Comment est-il possible de construire un pays sous la coupe de cet acteur omniprésent aux privilèges exorbitants ?
Al-Sissi n’aura pas plus d’imagination que Moubarak en jouant une partition connue : l’armée, seul rempart contre l’islamisme ! Cette justification a déjà fonctionné pendant plus de 30 ans. Mais le vrai enjeu est de rester au centre de l’échiquier et de veiller à ce que les privilèges acquis perdurent.
Al-Sissi est désormais contraint de jouer un rôle de premier plan alors qu’il aurait préféré rester dans l’ombre. Il a été largement dépassé par les militants de Tamarod dès le succès des manifestations anti-Morsi. Au départ, il souhaitait valider la destitution de Morsi par un référendum pour préserver le sentiment de démocratie. Mais passé ces premières réticences, il porte désormais la responsabilité du bain de sang actuel.
Il est en effet inconcevable d’imaginer qu’une armée dotée de 5 milliard de dollars ne soit pas capable de casser des occupations sans empiler des cadavres. S’il s’était contenté de s’attaquer à la direction des Frères musulmans, il est possible que les sitting se seraient maintenus encore un, deux ou trois mois avant de se disloquer. Il aurait en tout cas très bien pu tenter le pourrissement avant la surenchère.
L’existence même d’un ministère de la Production militaire qui emploie à lui seul 40 000 civils suffit à dessiner les premiers contours de cet empire. Mais le contrôle par l’armée des entreprises de l’économie civile est encore plus surprenant. On peut citer des secteurs aussi divers que : l’alimentation (huile d’olive, lait, pain et eau), le ciment, les carburants, les vêtements, l’électroménager, la production de véhicules, les stations de tourisme, l’hôtellerie ainsi que le bâtiment. Les entreprises militaires bénéficient surtout d’un avantage « comparatif », en étant exonérées des taxes et des règles de droit commun. Les conglomérats militaires représenteraient entre 10 à 15 % du PIB. Comment est-il possible de construire un pays sous la coupe de cet acteur omniprésent aux privilèges exorbitants ?
Al-Sissi n’aura pas plus d’imagination que Moubarak en jouant une partition connue : l’armée, seul rempart contre l’islamisme ! Cette justification a déjà fonctionné pendant plus de 30 ans. Mais le vrai enjeu est de rester au centre de l’échiquier et de veiller à ce que les privilèges acquis perdurent.
Al-Sissi est désormais contraint de jouer un rôle de premier plan alors qu’il aurait préféré rester dans l’ombre. Il a été largement dépassé par les militants de Tamarod dès le succès des manifestations anti-Morsi. Au départ, il souhaitait valider la destitution de Morsi par un référendum pour préserver le sentiment de démocratie. Mais passé ces premières réticences, il porte désormais la responsabilité du bain de sang actuel.
Il est en effet inconcevable d’imaginer qu’une armée dotée de 5 milliard de dollars ne soit pas capable de casser des occupations sans empiler des cadavres. S’il s’était contenté de s’attaquer à la direction des Frères musulmans, il est possible que les sitting se seraient maintenus encore un, deux ou trois mois avant de se disloquer. Il aurait en tout cas très bien pu tenter le pourrissement avant la surenchère.
La vision de l’extérieur : tout sauf l’islamisme
Pour l’Occidental moyen, les 800 ou 5 000 morts du côté des Frères musulmans ne changeront pas la vision qu’il a de ce mouvement. La plupart ne font pas la différence entre les Frères musulmans et Al-Qaida. Ils avaient déjà souscrit à la thèse médiatique des « hivers arabes » à la suite des victoires électorales des Frères. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant qu’on entende après 5 jours de violences les premières accusations de terrorisme.
Depuis le 11-Septembre, c’est devenu le mot magique qui permet de comprendre d’un seul coup toute la complexité des situations du monde arabo-musulman. On aurait pu douter que la violence d’État était disproportionnée mais nous voilà rassurés de savoir qu’il s’agit officiellement d’une « lutte antiterroriste ».
Les États-Unis de Barack Obama ont, quant à eux, prouvé que, malgré leur bonne volonté, ils sont incapables d’imposer une vision à leurs alliés. En soutenant historiquement l’armée égyptienne (20 % du budget financé par les américains depuis 1979) et les Frères musulmans par opportunisme (mouvement qui pouvait stabiliser le pays), ils avaient la capacité à dicter une transition, en stoppant l’escalade de l’armée.
Les États-Unis n’ont rien fait de tout, car ils ne trouvent probablement pas d’intérêt majeur à s’impliquer d’avantage. S’aliéner l’armée signifiait aussi remettre en cause ou conditionner l’aide annuelle de 1 milliard de dollars qui représente avant tout l’assurance de la sécurité durable d’Israël. Il n’y a pas de débat sur la hiérarchie des priorités américaines.
Depuis le 11-Septembre, c’est devenu le mot magique qui permet de comprendre d’un seul coup toute la complexité des situations du monde arabo-musulman. On aurait pu douter que la violence d’État était disproportionnée mais nous voilà rassurés de savoir qu’il s’agit officiellement d’une « lutte antiterroriste ».
Les États-Unis de Barack Obama ont, quant à eux, prouvé que, malgré leur bonne volonté, ils sont incapables d’imposer une vision à leurs alliés. En soutenant historiquement l’armée égyptienne (20 % du budget financé par les américains depuis 1979) et les Frères musulmans par opportunisme (mouvement qui pouvait stabiliser le pays), ils avaient la capacité à dicter une transition, en stoppant l’escalade de l’armée.
Les États-Unis n’ont rien fait de tout, car ils ne trouvent probablement pas d’intérêt majeur à s’impliquer d’avantage. S’aliéner l’armée signifiait aussi remettre en cause ou conditionner l’aide annuelle de 1 milliard de dollars qui représente avant tout l’assurance de la sécurité durable d’Israël. Il n’y a pas de débat sur la hiérarchie des priorités américaines.
L’unité nationale : une chimère
Finalement, tous les acteurs internes devraient d’abord relire Nelson Mandela. Si la victime qu’il était à titre personnel s’était uniquement identifiée à son propre camp, on aurait eu droit à une vengeance légitime : mise à mort des bourreaux racistes ou accaparement des richesses. Malgré les injustices qui persistent, l’Afrique du Sud est toujours une nation parce que Mandela avait conscience de l’intérêt général. Ce n’est le cas ni des Frères ni de l’armée égyptienne.
Après la révolution de 1789, la France a eu droit à un militaire brillant, dictateur puis empereur qui fit la guerre à l’Europe et rénova la France. Est-ce que Al-Sissi est prêt à endosser ce costume ? En tout cas, le besoin de sécurité et d’autorité en Égypte n’a probablement jamais était aussi fort.
Après la révolution de 1789, la France a eu droit à un militaire brillant, dictateur puis empereur qui fit la guerre à l’Europe et rénova la France. Est-ce que Al-Sissi est prêt à endosser ce costume ? En tout cas, le besoin de sécurité et d’autorité en Égypte n’a probablement jamais était aussi fort.