Points de vue

L'effort de justice au sein du cercle familial, un fondement pour une société saine

Rédigé par Farid Stambouli | Jeudi 14 Novembre 2024 à 17:30



Dans la sourate « Les bestiaux » (Al-An’am), Dieu établit des recommandations claires pour les croyants, qu’Il désigne comme Ses limites à ne pas transgresser, afin de guider les individus vers un comportement juste et équilibré. Parmi ces recommandations, on trouve :

« Et ne vous approchez des biens de l’orphelin que de la plus belle manière, jusqu’à ce qu’il ait atteint sa majorité. Et donnez la juste mesure et le bon poids, en toute justice. Nous n’imposons à une âme que selon sa capacité. Et quand vous parlez, soyez équitables même s’il s’agit d’un proche parent. Et remplissez votre engagement envers Dieu. Voilà ce qu’Il vous enjoint. Peut-être vous rappellerez-vous. » (Sourate 6, verset 152)

Ces versets, riches en enseignements, mettent l’accent sur la justice en toute circonstance, y compris dans les contextes les plus personnels et intimes, comme la famille. Après avoir interdit des comportements destructeurs comme le meurtre des enfants par peur de la pauvreté (verset 151), Dieu oriente l’attention vers des interactions plus subtiles mais tout aussi cruciales : celles qui concernent la justice et la droiture dans la parole.

L’interdiction de tuer ses enfants, mentionnée juste avant dans le verset 151, revêt un aspect évident : protéger la vie physique des membres de la famille. Cependant, le verset suivant, en évoquant la justice dans la parole et l’équité envers les proches, élargit la protection à la dimension psychologique et spirituelle. En effet, tout comme il est impensable de priver un enfant de sa vie par peur ou négligence, il est tout aussi grave de porter atteinte à son âme par des paroles injustes ou des comportements biaisés. L’injustice verbale, surtout lorsqu’elle émane de parents ou de figures d’autorité, peut marquer profondément un individu, affectant sa confiance en lui et son développement moral.

L’importance de l’équité dans le cercle familial

Le relâchement dans l’effort de justice au sein du cercle familial est une tendance naturelle à laquelle toute personne peut être confrontée. Le contexte familial, marqué par la familiarité et la proximité, peut amener à percevoir les interactions comme moins formelles ou moins importantes que celles qui se déroulent dans un cadre commercial, social ou judiciaire. Cependant, le verset souligne que la justice ne connaît pas de frontière, pas même celle des liens familiaux. Dieu rappelle l’importance de maintenir une équité stricte même lorsqu’il s’agit de proches, car c’est dans cette constance que réside la véritable adhésion à la foi.

Il est facile de se laisser aller à des comportements moins rigoureux avec ses proches, pensant que le cadre privé permet plus de souplesse. Pourtant, ce relâchement peut engendrer des blessures émotionnelles et des déséquilibres dans les relations familiales. On peut être tenté de minimiser une remarque blessante, de passer sous silence un comportement injuste ou de favoriser un membre de la famille par affection ou par habitude. Ce type de relâchement peut paraître insignifiant, mais il crée un précédent et instaure des dynamiques familiales inéquitables qui peuvent, à terme, affecter la manière dont chaque membre agit en dehors du foyer.

La parole comme vecteur de justice

Lorsque Dieu dit « Et quand vous parlez, soyez équitables même s’il s’agit d’un proche parent », cela montre que la justice ne se limite pas aux actes ou aux transactions financières, mais s’étend également aux paroles. Les propos que l’on tient peuvent avoir un impact considérable sur la perception de la justice dans la famille. Des mots injustes, qu’ils soient biaisés ou empreints de favoritisme, peuvent créer des ressentiments et des déséquilibres émotionnels. Au sein de la famille, les paroles ont un poids particulier car elles sont souvent prises à cœur et marquent profondément.

Ce commandement divin invite donc à une vigilance accrue sur la manière de parler à ses proches et sur les jugements exprimés à leur égard. Il s’agit d’appliquer la même rigueur et la même impartialité dans les échanges verbaux que l’on appliquerait dans un contexte officiel ou social. Par exemple, un parent qui prend toujours la défense d’un enfant au détriment des autres, ou qui accorde plus d’attention et de louanges à un membre de la famille en particulier, compromet l’équilibre familial et transmet un message contradictoire quant à la justice.

La famille comme socle d’une société juste

La famille joue un rôle central dans la formation de l’individu et, par extension, dans la bonne santé de la société. Si l’équité est pratiquée de manière constante au sein du foyer, elle devient une seconde nature pour ses membres. Les enfants, en grandissant dans un environnement où la justice est respectée même dans les petites choses, porteront cette valeur dans leur vie adulte. Ils seront plus enclins à appliquer ces principes dans leurs relations amicales, professionnelles et civiques.

En revanche, si la justice est perçue comme quelque chose que l’on peut relâcher dans le cadre familial, cette notion perd de sa force et de sa pertinence dans les autres sphères de la vie. Ce laxisme peut alors se propager, affectant la manière dont les individus interagissent dans la société et compromettant la cohésion sociale et la justice collective.

Les enseignements pour le croyant

Pour le croyant, certains enseignements s’imposent :

– Équité en tout temps : le croyant est appelé à maintenir la justice, même dans les moments informels et familiaux, pour incarner pleinement les valeurs de l’Islam.

– Responsabilité dans la parole : les paroles doivent refléter l’équité et ne jamais être prononcées avec partialité. C’est un engagement à la droiture verbale qui contribue à la paix et à la transparence au sein de la famille.

– Modèle d’intégrité : en agissant avec justice au sein du foyer, le croyant se positionne comme un exemple pour ses enfants et ses proches, inspirant une culture de droiture qui s’étend à la communauté.

Un modèle prophétique d’équité et de bienveillance

La recommandation divine de pratiquer l’équité n’a pas pour seul objectif de prévenir le mal ; elle vise également à encourager un bien supérieur. Lorsque l’on regarde le modèle prophétique, on observe que le Prophète Muhammad (paix et bénédictions sur lui) n’était pas seulement juste en toutes circonstances ; il illuminait aussi son foyer par de belles paroles et des actes bienveillants. Il savait s’adapter aux différents caractères de ses proches, prodiguant à chacun l’attention et les soins nécessaires, comme un jardinier qui prend soin de ses plantes.

Chaque membre de la famille, tel une fleur unique, recevait des soins adaptés : de la patience pour les plus fragiles, des encouragements pour les plus timides, et de la fermeté aimante pour ceux qui en avaient besoin. Non seulement il veillait à ne jamais abîmer les cœurs par des paroles ou des actes inappropriés, mais il nourrissait et arrosait leur âme par la bienveillance et la sagesse, permettant à chacun de s’épanouir pleinement.

Cet engagement envers la justice et la beauté des relations familiales, même dans la parole, souligne que la famille est le berceau où se cultivent les valeurs essentielles d’une société saine et juste. En adoptant cette attitude, le croyant non seulement respecte la recommandation divine, mais s’inscrit aussi dans la tradition prophétique qui élève l’âme et renforce le lien entre les membres de la famille, pour qu’ils deviennent des modèles de droiture et de bonté dans le monde.

*****
Première parution sur le site de Participation et Spiritualité Musulmanes (PSM).

Lire aussi :
L’éducation émotionnelle à la lumière du Coran et de la tradition prophétique
Les enfants d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier - Introduction à la parentalité positive
L'institution familiale et son rôle dans la civilisation arabo-musulmane