Economie

L’extrême droite s’invite aux rayons du halal

Une publicité voilée

Rédigé par | Vendredi 6 Novembre 2009 à 01:01

Les consommateurs musulmans, notamment ceux de la deuxième et de la troisième génération, sont de plus en plus regardants sur la qualité et les nouveautés dans le domaine du halal. Les enseignes, qui veulent toutes se tailler une part de gâteau dans le marché du halal, l’ont bien remarqué. Pressions de groupuscules d'extrême droite ou de laïcs obligent, peu assument leur positionnement.



Zakia Halal a frappé fort pendant le mois du Ramadan. Pour faire connaître sa gamme de plats cuisinés halal, la filiale de Panzani, le géant français des pâtes alimentaires, a lancé une campagne de publicité sur de grandes chaînes nationales, dont TF1 et M6. La marque a su attirer la curiosité de millions de Français, tout en ne déboursant que 300 000 €.

Surtout, ce fut la première fois en France qu’une entreprise osait s’afficher halal à la télévision. Zakia a-t-elle ouvert la voie à la reconnaissance du halal ? Une certitude : elle demeure à ce jour l’exception qui confirme la règle, les grandes entreprises françaises restant encore trop frileuses pour communiquer normalement sur le halal.

Pourtant, toutes ont compris l’importance d’investir ce marché estimé à plus de 5 milliards d’euros par an. De nombreux groupes comme Nestlé (avec les marques Herta, Maggi...), Charal ou Fleury Michon se sont lancés dans la fabrication de produits halal. De fait, les offres halal se multiplient et s’élargissent. Il suffit de jeter un œil aux rayons des grandes et moyennes surfaces qui n’ont fait que s’agrandir au fil des ans.

Carrefour, Casino, Auchan et autres Leclerc espèrent ainsi conquérir le cœur et l’estomac du public musulman qui fait davantage confiance à ces grandes surfaces pour remplir ses Caddies. Cependant, ces dernières, à l’exception notable de Casino, assument peu leurs activités dans ce domaine.

L’extrême droite en ligne de mire

Côté marketing, le halal – et par extension la composante musulmane de plusieurs millions de Français – ne jouit pas encore d’une « bonne » image au goût des enseignes.

Détournement humoristique de la couverture de Salamnews, par l'extrême droite qui le transforme en « Salaminews, le premier gratuit des mangeurs de cochon »
Sans nommer les musulmans, les grandes marques font alors tout pour les attirer sans pour autant vouloir « froisser » le consommateur lambda et, surtout, s’attirer les foudres des groupuscules d’extrême droite.

Pour ces derniers, communiquer sur le halal est synonyme de soutien à « l’islamisation rampante » de la société française. Les marques sont ainsi accusées de « subventionner l’islam » puisqu’elles sont amenées, selon ces groupes, à reverser une taxe aux mosquées qui certifient les produits halal.

Des sites islamophobes tels que Coranix, le blog du Cochon hallal, Bivouac-ID et d’autres appellent à faire des actions SITA (« Sensibilisation à l'Islam Tous Azimuts »), une méthode « pour combattre, par l'action, l'islam et l'islamisation des pays occidentaux » par l’envoi de lettres de « rappels » à tous ceux qui souhaitent la normalisation du fait musulman en France et, de fait, l’émergence d’un marché halal formelle grâce à la publicité.

La couverture du mensuel Salamnews, le premier gratuit des cultures musulmanes et support du marketing ethnique, a ainsi été revisitée par le Bloc Identitaire (mouvance extrémiste), devenant « le premier gratuit des mangeurs de cochon »

Bien que ces consommateurs « mécontents » soient peu nombreux, la crainte d’être associé aux musulmans – et à ce qu’ils représentent de négatif – et de perdre sa clientèle « traditionnelle » reste donc vivace pour les marques, qui préfèrent rester discrètes dans leurs démarches. Preuve en est de Quick, qui a pris conscience, depuis octobre, qu’il y a des parts de marché à prendre.

Ne parier sur le halal que par le bouche-à-oreille, serait-ce « has been » ?

« France Quick a décidé de tester la vente de burgers halal dans trois de ses restaurants franchisés. L’objectif de ce test est de valider l’intérêt commercial et la faisabilité technique de l’introduction de ces produits. A l’issue du test et au regard des résultats, la société décidera de maintenir, ou non, l’offre dans certains restaurants », affirme le service communication de l’entreprise à Saphirnews. Officiellement, il n’y aura donc pas de communication tant que le test n’est pas terminé.

Or le succès est déjà assuré d’avance. Le Quick de Saint-Louis, à Marseille, est « situé dans un endroit où plus de 80 % de la population est musulmane. Donc on savait qu’en faisant du halal cela allait nous apporter des nouveaux clients », explique un des managers du restaurant marseillais. « Le restaurant pilote à Toulouse, le premier à l’avoir testé, a carrément doublé son chiffre d’affaires » en un rien de temps, poursuit-il. Malgré le doublement du chiffre d’affaires grâce au halal, il reste « quelque chose qui est mal vu au niveau marketing », avoue le manager, qui se satisfait, pour le moment, du bouche-à-oreille pour attirer les clients.

Quick n’est pas le seul à se contenter de cette méthode pour attirer la clientèle musulmane. Pour ne pas « effrayer » les consommateurs non musulmans, KFC n’a jamais souhaité indiquer en vitrine de ses restaurants la mention halal au vu et au su de tous, se bornant juste à présenter un certificat aux clients qui le demandent et « de préférence en tête à tête », a reconnu Christophe Poirier, directeur marketing du groupe, dans le magazine Management de février dernier.

Un certificat qui semblerait douteux, car le poulet vendu par KFC ne serait pas halal – comme devait le démontrer un reportage sur M6 récemment censuré –, et malgré les déclarations du groupe sur son site officiel

L'ère du « Vivons heureux, vivons cachés » a fait son œuvre dans les années 1990 et jusqu'au début des années 2000. Mais les temps ont changé. Se draper dans une pudibonderie mal placée en ne communiquant pas sur le caractère halal de ses produits devient totalement « has been » au regard de l'évolution multiculturelle de la société française.

Casino, précurseur avec une MDD halal

Le discours est ainsi tout autre chez Casino, la seule enseigne à avoir bien voulu répondre aux questions de Saphirnews. « On est volontariste et sans complexes. On a toujours mis un point d’honneur à considérer tous nos clients sur le même pied d’égalité. Pour nous, il est tout à fait normal – et pas exceptionnel – de communiquer en direction des consommateurs de produits halal comme on le fait pour nos autres clients qui consomment des produits bio ou asiatiques », affirme d’emblée Abderrahman Bouzid, chef de projet auprès du groupe, créateur de Wassila, le site de traçabilité dédié aux produits halal vendus en magasin.

Des courriels provenant d'expéditeurs affiliés à l'extrême droite sont pourtant envoyés à Casino. Cependant, « ce sont des épiphénomènes. Si on s’arrête sur eux, ce serait leur accorder de l’importance au détriment des clients », affirme M. Bouzid. « La société est riche de sa diversité. Nos clients reflètent la réalité sociétale dans laquelle on évolue », ajoute-t-il. Casino a lancé, en août dernier, la première MDD (marque de distributeur) halal répondant du nom de Wassila. « C’est une première en France et dans le monde. C’est la démonstration de notre marque de considération pour nos clients ».

S’assumer est indéniablement un gage de réussite. Depuis que Casino s’est lancé dans ce créneau en 2007, les ventes de produits halal représentent 3 à 4 % du chiffre d’affaires annuel de l'agroalimentaire du groupe, selon M. Bouzid. Et cela n’est que le début. Avec un taux de croissance d’au moins 15 % par an depuis ces dernières années, le marché du halal a de beaux jours devant lui. À charge pour les marques d’en profiter, tout en reconnaissant publiquement leurs activités – passant outre les émois politiques rétrogrades – pour mieux intégrer les consommateurs musulmans dans le paysage français.


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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur