De manière consciente ou non, au sein de l'élite comme parmi le commun des mortels, l'idée dominante pour mesurer le niveau de développement d'un pays reste sa production quantitative de richesses, qu'on mesure principalement par le Produit Intérieur Brut (PIB) ou le Produit National Brut (PNB). L'idéologie consumériste et matérialiste ayant renforcé cette considération centrale pour la quantité, qu'il s'agisse de richesse ou de biens matériels en général. Cette perception est non seulement réductrice mais surtout dangereuse pour l'avenir de l'humanité.
Tout d'abord, parce que ce modèle de production nous mène à terme à l'épuisement des ressources et à une crise écologique majeure. Ensuite, elle maintient les individus dans une illusion, en leur faisant croire que le bonheur et la réalisation de l'humain sont strictement matériels et pécuniers, niant ainsi la dimension intellectuelle, spirituelle et morale de l'homme, qui participe de son bien être et de son élévation. Comme le rappellent Edgar Morin et Stéphane Hessel dans leur livre Le chemin de l'espérance (1), le bien être matériel ne garantie en rien le bien être moral, la forte consommation d'anxiolytiques, de psychotropes et d'antidépresseurs dans les pays riches (principalement les pays du Nord) le prouve très clairement.
Enfin, la production de richesses, l'accumulation de biens et l'augmentation constante des profits, ne disent rien sur la répartition des richesses, sur la justice sociale, sur l'accès de la population aux soins, à l'éducation, à une alimentation saine, aux biens et services de première nécessité et sur l'ensemble des disparités et inégalités pouvant exister dans une société.
Tout d'abord, parce que ce modèle de production nous mène à terme à l'épuisement des ressources et à une crise écologique majeure. Ensuite, elle maintient les individus dans une illusion, en leur faisant croire que le bonheur et la réalisation de l'humain sont strictement matériels et pécuniers, niant ainsi la dimension intellectuelle, spirituelle et morale de l'homme, qui participe de son bien être et de son élévation. Comme le rappellent Edgar Morin et Stéphane Hessel dans leur livre Le chemin de l'espérance (1), le bien être matériel ne garantie en rien le bien être moral, la forte consommation d'anxiolytiques, de psychotropes et d'antidépresseurs dans les pays riches (principalement les pays du Nord) le prouve très clairement.
Enfin, la production de richesses, l'accumulation de biens et l'augmentation constante des profits, ne disent rien sur la répartition des richesses, sur la justice sociale, sur l'accès de la population aux soins, à l'éducation, à une alimentation saine, aux biens et services de première nécessité et sur l'ensemble des disparités et inégalités pouvant exister dans une société.
L’émergence de l’IDH
Mahbub ul Haq
Pour palier à cette lacune dans l'appréciation du développement d'un pays, l'ONU, à travers le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a introduit l'Indice de Développement Humain (IDH), qui ajoute à la prise en compte du développement économique, le développement humain. Il s'agit de ne plus limiter l'estimation du développement à une dimension matérielle et financière, mais d'intégrer la qualité de vie de la population, son bien être moral et la satisfaction d'un certain nombre de besoins essentiels.
Ainsi l'IDH tient compte de trois éléments principaux : la santé, que l'on mesure à travers l'accès aux soins médicaux, à un logement décent, à une alimentation saine et à l'eau potable ; l'éducation ou le niveau d'instruction, que l'on mesure principalement à travers l'accès au savoir de la population et le taux de scolarisation et d'alphabétisation ; enfin, le niveau de vie qui inclut une mesure de la qualité de vie, à travers le niveau de pouvoir d'achat, l'accès à la culture et au transport.
Il faut donc saluer le génie de ceux qui sont à l'origine de cet outil. Tout d'abord le célèbre économiste indien Amartya Sen, ancien prix Nobel d'économie, connu notamment pour ses travaux sur la globalisation économique et ses conséquences en termes de pauvreté, ainsi que ceux sur la répartition alimentaire et le problème de la famine.
Saluons aussi un homme beaucoup moins connu mais qui mériterait de l'être, lui qui a été le principal concepteur de l'IDH, l'économiste pakistanais Mahbub ul Haq. Ancien ministre des Finances du Pakistan, il a été un des plus grand théoriciens du concept de développement humain. D’ailleurs, il est à noter en ces temps d'« islamophobie savante », pour reprendre l'expression de Max Lejbowicz (2), que Mahbub ul Haq était musulman, et a dans le même temps contribué au progrès de l'humanité par son travail de recherche considérable.
Ainsi l'IDH tient compte de trois éléments principaux : la santé, que l'on mesure à travers l'accès aux soins médicaux, à un logement décent, à une alimentation saine et à l'eau potable ; l'éducation ou le niveau d'instruction, que l'on mesure principalement à travers l'accès au savoir de la population et le taux de scolarisation et d'alphabétisation ; enfin, le niveau de vie qui inclut une mesure de la qualité de vie, à travers le niveau de pouvoir d'achat, l'accès à la culture et au transport.
Il faut donc saluer le génie de ceux qui sont à l'origine de cet outil. Tout d'abord le célèbre économiste indien Amartya Sen, ancien prix Nobel d'économie, connu notamment pour ses travaux sur la globalisation économique et ses conséquences en termes de pauvreté, ainsi que ceux sur la répartition alimentaire et le problème de la famine.
Saluons aussi un homme beaucoup moins connu mais qui mériterait de l'être, lui qui a été le principal concepteur de l'IDH, l'économiste pakistanais Mahbub ul Haq. Ancien ministre des Finances du Pakistan, il a été un des plus grand théoriciens du concept de développement humain. D’ailleurs, il est à noter en ces temps d'« islamophobie savante », pour reprendre l'expression de Max Lejbowicz (2), que Mahbub ul Haq était musulman, et a dans le même temps contribué au progrès de l'humanité par son travail de recherche considérable.
Réflexions novatrices face aux failles de l’IDH
L'IDH est une avancée, mais il reste insuffisant pour estimer le développement réel d'une société dans toutes ses facettes. Pour palier à cette insuffisance, des réflexions sont menées pour approfondir l’outillage d’évaluation du développement humain. Des innovations très intéressantes ont eu lieu, nous en citerons quelques unes :
- L’IDHI (IDH ajusté aux inégalités) reprend les catégories de l’IDH que nous avons mentionnées (santé, éducation, niveau de vie), mais plutôt que de prendre en compte uniquement les résultats moyens atteints par une société, l’IDHI mesure la distribution de ces catégories au sein de la population pour évaluer l’inégalité dans la répartition des résultats en termes de santé, d’éducation ou de niveau de vie. Cela permet ainsi d’appréhender des inégalités que l’IDH ne peut détecter.
- L’IPM (Indice de la Pauvreté Multidimensionnelle) tente d’identifier, à l’intérieur de la catégorie des personnes pauvres, celles qui subissent en même temps plusieurs privations et donc plusieurs types de pauvreté. La base de cet outil étant de considérer la dimension plurielle de la pauvreté, qui n’est pas uniquement monétaire. L’IPM complète ainsi les indices classiques évaluant la pauvreté monétaire, en permettant une meilleure identification des foyers de pauvreté et donc une meilleure répartition des ressources.
- L’IIG (Indice d’inégalités des sexes) étudie un domaine que l’IDH n’évalue pas, les inégalités homme/femme, qui sont un obstacle important au développement d’une société. Cet indice permet de mesurer le degré de discriminations touchant les femmes dans le domaine de l’éducation, du marché de l’emploi, de la santé ou de la représentation politique. L’IIG reprend les trois catégories de l’IDH en focalisant l’axe d’appréciation sur l’inégalité des sexes, ce qui permet ainsi d’identifier un autre élément du développement.
- L’IDHI (IDH ajusté aux inégalités) reprend les catégories de l’IDH que nous avons mentionnées (santé, éducation, niveau de vie), mais plutôt que de prendre en compte uniquement les résultats moyens atteints par une société, l’IDHI mesure la distribution de ces catégories au sein de la population pour évaluer l’inégalité dans la répartition des résultats en termes de santé, d’éducation ou de niveau de vie. Cela permet ainsi d’appréhender des inégalités que l’IDH ne peut détecter.
- L’IPM (Indice de la Pauvreté Multidimensionnelle) tente d’identifier, à l’intérieur de la catégorie des personnes pauvres, celles qui subissent en même temps plusieurs privations et donc plusieurs types de pauvreté. La base de cet outil étant de considérer la dimension plurielle de la pauvreté, qui n’est pas uniquement monétaire. L’IPM complète ainsi les indices classiques évaluant la pauvreté monétaire, en permettant une meilleure identification des foyers de pauvreté et donc une meilleure répartition des ressources.
- L’IIG (Indice d’inégalités des sexes) étudie un domaine que l’IDH n’évalue pas, les inégalités homme/femme, qui sont un obstacle important au développement d’une société. Cet indice permet de mesurer le degré de discriminations touchant les femmes dans le domaine de l’éducation, du marché de l’emploi, de la santé ou de la représentation politique. L’IIG reprend les trois catégories de l’IDH en focalisant l’axe d’appréciation sur l’inégalité des sexes, ce qui permet ainsi d’identifier un autre élément du développement.
L'exemple du Bhoutan
Nous pouvons aussi mentionner le cas du Bhoutan, qui a intégré comme indicateur développement, un indice d’évaluation du bonheur, le Bonheur National Brut (BNB). Cet outil s’inspire des valeurs bouddhistes, référant majeur de la société bhoutanaise. L’idée de son concepteur, le roi du Bhoutan Jigme Singye Wangchuck, étant que le PIB, indice phare du capitalisme, comme l’IDH, sont insuffisants pour évaluer le bonheur de la population, considéré comme un élément incontournable du développement. Le BNB a donc vu le jour, dans le but de promouvoir une économie et une société plus juste, sur la base des valeurs spirituelles bouddhistes.
Pour maximiser le bonheur, le Bhoutan insiste sur quatre principes, qui sont les bases du BNB : croissance et développement économiques ; conservation et promotion de la culture bhoutanaise ; sauvegarde de l'environnement et utilisation durable des ressources ; bonne gouvernance responsable. L’objectif étant de mesurer la richesse et le développement du pays sur des bases psychologiques et holistiques, à l’inverse du PIB qui ne tient compte que de l’accroissement des richesses matérielles .
Le débat sur les critères d'appréciation du développement doit donc se poursuivre pour permettre d'enrichir constamment la réflexion et de trouver de nouveaux outils d'estimation plus pertinents, prenant en compte de plus en plus les besoins immatériels de l'homme, le bien être moral et spirituel, l'épanouissement individuel et familial, la reconnaissance sociale, le respect de la conscience, l'accès à un travail digne, l'estime de soi, le niveau d'altruisme et de solidarité…
Pour maximiser le bonheur, le Bhoutan insiste sur quatre principes, qui sont les bases du BNB : croissance et développement économiques ; conservation et promotion de la culture bhoutanaise ; sauvegarde de l'environnement et utilisation durable des ressources ; bonne gouvernance responsable. L’objectif étant de mesurer la richesse et le développement du pays sur des bases psychologiques et holistiques, à l’inverse du PIB qui ne tient compte que de l’accroissement des richesses matérielles .
Le débat sur les critères d'appréciation du développement doit donc se poursuivre pour permettre d'enrichir constamment la réflexion et de trouver de nouveaux outils d'estimation plus pertinents, prenant en compte de plus en plus les besoins immatériels de l'homme, le bien être moral et spirituel, l'épanouissement individuel et familial, la reconnaissance sociale, le respect de la conscience, l'accès à un travail digne, l'estime de soi, le niveau d'altruisme et de solidarité…
Quelle contribution musulmane ?
A l’image du Bhoutan, qui a créé un indice d’évaluation du développement assez original à partir de ses références spirituelles bouddhistes, il serait intéressant de voir le même type d’initiatives dans le monde majoritairement musulman. La pensée musulmane contemporaine se doit d’apporter sa contribution sur cette problématique pour contrer les considérations dominantes réduisant le développement à l’accroissement des richesses matérielles.
Ainsi, à la lumière de l’éthique islamique et des valeurs spirituelles musulmanes, nous devons développer des outils pertinents, pour traduire ces valeurs en termes de développement ; et notamment lutter contre la logique de l'homo œconomicus, réduisant l'homme à un vulgaire agent économique qui chercherait uniquement à satisfaire sa soif de gain, son envie de posséder et d'accumuler toujours plus de richesses.
Ainsi, à la lumière de nos références musulmanes, nous proposons en ce sens un Indice d’Epanouissement Spirituel (IES), qui mesurerait une des facettes du bien-être qui passe, pour beaucoup d’êtres humains à travers le monde, par le biais de la spiritualité. Cet indice permettrait de pointer les failles entravant la liberté religieuse, méditative et cultuelle, empêchant les individus de s’épanouir spirituellement. Il nous donnerait aussi la possibilité d’évaluer les effets positifs de la spiritualité sur les comportements humains, sur le bien-être individuel et collectif, ou encore sur les relations sociales.
Comme seconde contribution, nous proposons le concept d’Indice de Développement Ethique (IDE), mesurant le degré de moralité d’une société. Il s’agirait ainsi d’évaluer le niveau d’altruisme, de solidarité sociale et familiale, de politesse, de bienséance, de générosité, de respect des personnes âgées, de dégradation de biens publics, de violences aux personnes, de vulgarité, de mensonge, de trahison ou encore le niveau de corruption. Cet outil permettrait ainsi d’estimer les progrès éthiques d’une société et de comparer le degré de moralité de différents pays, dans le but de mieux remédier aux problèmes d’immoralités et d’incivilités et de maximiser le niveau éthique d’une société.
(1) Stéphane Hessel, Edgar Morin, Le chemin de l’espérance, éd Fayard, 2011, pp. 19-20.
(2) Max Lejbowicz, Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophobie savante, éd. Philippe Büttgen, Alain de Libera, Marwan Rashed, Irène Rosier-Catach, Paris, Fayard, 2009
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Yanis Mahil est diplômé en droit et en islamologie à l'Université de Strasbourg.
Ainsi, à la lumière de l’éthique islamique et des valeurs spirituelles musulmanes, nous devons développer des outils pertinents, pour traduire ces valeurs en termes de développement ; et notamment lutter contre la logique de l'homo œconomicus, réduisant l'homme à un vulgaire agent économique qui chercherait uniquement à satisfaire sa soif de gain, son envie de posséder et d'accumuler toujours plus de richesses.
Ainsi, à la lumière de nos références musulmanes, nous proposons en ce sens un Indice d’Epanouissement Spirituel (IES), qui mesurerait une des facettes du bien-être qui passe, pour beaucoup d’êtres humains à travers le monde, par le biais de la spiritualité. Cet indice permettrait de pointer les failles entravant la liberté religieuse, méditative et cultuelle, empêchant les individus de s’épanouir spirituellement. Il nous donnerait aussi la possibilité d’évaluer les effets positifs de la spiritualité sur les comportements humains, sur le bien-être individuel et collectif, ou encore sur les relations sociales.
Comme seconde contribution, nous proposons le concept d’Indice de Développement Ethique (IDE), mesurant le degré de moralité d’une société. Il s’agirait ainsi d’évaluer le niveau d’altruisme, de solidarité sociale et familiale, de politesse, de bienséance, de générosité, de respect des personnes âgées, de dégradation de biens publics, de violences aux personnes, de vulgarité, de mensonge, de trahison ou encore le niveau de corruption. Cet outil permettrait ainsi d’estimer les progrès éthiques d’une société et de comparer le degré de moralité de différents pays, dans le but de mieux remédier aux problèmes d’immoralités et d’incivilités et de maximiser le niveau éthique d’une société.
(1) Stéphane Hessel, Edgar Morin, Le chemin de l’espérance, éd Fayard, 2011, pp. 19-20.
(2) Max Lejbowicz, Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophobie savante, éd. Philippe Büttgen, Alain de Libera, Marwan Rashed, Irène Rosier-Catach, Paris, Fayard, 2009
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Yanis Mahil est diplômé en droit et en islamologie à l'Université de Strasbourg.
Du même auteur :
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