Mosquée Atyaboul Massajid, à Saint-Pierre, île de La Réunion
Le 28 janvier 2010, Patrick Karam, délégué interministériel pour l’Égalité des chances des Français d’outre-mer, organise une conférence intitulée : « L’Islam de La Réunion : un modèle pour la République ? » Cette initiative intéressante à priori soulève pourtant certaines problématiques que nous souhaitons partager avec vous.
Pourquoi l'État cherche t-il un modèle d'islam pratiqué en France ? Si on n'arrête pas de nous rabâcher que la République est laïque, pourquoi l'État aurait-il besoin d'un « modèle » ? Tous les musulmans sont censés être des citoyens à part entière et sont soumis aux mêmes lois que les autres. Y aurait-il des musulmans mieux adaptés à la France ? Que cela signifie exactement « être un modèle » ? Et si ces musulmans sont mieux « adaptés » à la France, tous les autres doivent-ils suivre leur pas ?
Derrière cette problématique, qui pourrait sembler être du bon sens, il y a différents non-dits et un contexte qu'il convient d'examiner pour ne pas tomber dans un soutien angélique.
Tout d'abord, il faut constater que les musulmans de l'Hexagone (en majorité d'origine maghrébine) ne parviennent pas à s'autogérer au sein d'un Conseil français du culte musulman (CFCM). Ils ne sont pas suffisamment représentatifs de la population musulmane ; et les intérêts des Etats d'origine, comme l'Algérie ou le Maroc, restent encore trop présents. Surtout, la réalité des musulmans sur le terrain n'a pas vraiment changé depuis sa création. Les actions du CFCM font défaut.
Cette solution de CFCM, imposée au forceps par Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, était présentée à l'époque comme mieux que rien. Mais il s'avère qu'aujourd'hui cette structure ne fonctionne pas − ou pas comme l'État le souhaite. La solution semble être de chercher des alternatives plutôt que de comprendre les origines des problèmes actuels.
D'autre part, la montée générale de l'islamophobie se confirme jour après jour au sein du gouvernement, de l'UMP et d'une partie de la population. Au-delà des paroles et prétendus dérapages plus ou moins racistes, ce sont des actes islamophobes qui sont, aujourd'hui, en expansion. Cette tendance dangereuse, qui devrait être maîtrisée par le gouvernement, semble être chaque jour un peu plus le résultat d'une instrumentalisation qui lui échappe.
Il y a donc un intérêt certain pour le gouvernement et l'UMP à prouver qu'ils ne sont pas contre les musulmans en général. Regardez, on veut bien discuter avec les bons musulmans de La Réunion !
Au-delà de cette initiative qui pourrait faire l'objet d'une habile récupération, c'est cette gestion de la religion typiquement schizophrène qui pose problème. La neutralité supposée de l'État est confrontée chaque jour un peu plus à sa volonté de choisir le bon islam et le bon musulman. L'État se comporte ainsi comme un religieux qui veut définir l'orthodoxie de son islam de France. Vu que les musulmans n'ont pas trouvé seuls la voie qu'on leur avait tracée, on pourrait les aider un peu....
Les représentants de l'islam de La Réunion ont probablement conscience que les initiatives vraiment désintéressées, en dehors de tout agenda politique, sont de plus en plus rares. Cependant, le risque d'instrumentalisation et de notabilisation de ce type de démarche est d'autant plus important que, jusqu'à présent ,certains acteurs du CFCM gardent une certaine liberté de parole par rapport aux différentes mesures prises à l'encontre de la pratique des musulmans.
Le pire serait peut-être qu'on parvienne un jour au niveau du spectacle pitoyable donné par l'Égypte. En effet, à la suite de la décision du gouvernement égyptien d'établir un mur à sa frontière, le recteur de la mosquée d'Al-Azhar a donné par sa fatwa une légitimité religieuse à cette décision profondément injuste (1). Quand le religieux sert à légitimer les actes politiques, on peut craindre que le souci de l'individu et de sa pratique quotidienne passe pour le moins au second plan (mosquée, abattage, hajj, cimetière).
Dans l'Histoire de la civilisation islamique, les liens entre pouvoir politique et représentants religieux ne sont pas nouveaux. Mais il faudra s'en souvenir pour ne pas s'étonner que, en cas de divergences futures, des pressions plus ou moins fortes se fassent jour. Le cas de l'enfermement d'Abu Hanifah est un rappel excessif par rapport au contexte actuel ; mais il n'est pas inutile de rappeler qu'aujourd'hui le rapport de force entre l'État et les musulmans (2) reste largement favorable au premier. La communauté musulmane n'est pas aujourd'hui structurée pour peser réellement sur les débats comme d'autres communautés de foi.
Enfin, un dernier point nous semble intéressant au débat. N'y a-t-il pas un risque que cette posture de modèle se retourne contre les zarabes, les musulmans de La Réunion ? Est-ce que la spécificité mise en avant ne servirait pas aussi de caution ? En effet, concernant l'association systématique entre voile intégral et intégrisme, en quoi le vécu de la Réunion a-t-il permis de donner une vision plus nuancée de ce préjugé ? La mise en avant des musulmans de La Réunion, avec leur contexte spécifique et leur Histoire centenaire, ne se fera-t-elle pas au détriment d'une convergence sur les besoins concrets des communautés musulmanes de l'Hexagone ?
Les débats sont ouverts... Merci à celles et à ceux qui participeront à cette conférence de nous faire une restitution des débats.
Notes
(1) Yusuf al-Qardawi a appelé l'Égypte à cesser la construction du mur d'acier, car « il vise à fermer tous les accès à Gaza, à affamer, humilier et à faire pression sur la population palestinienne ».
En réponse à ces différentes prises de position, Mohammed Sayyed Tantaoui, recteur d’al-Azhar, précise qu’« il est du droit de l’Egypte de mettre des barrières qui préviennent les préjudices causés par les tunnels de Rafah utilisés pour la contrebande et le passage de la drogue qui sont une menace pour la stabilité et les intérêts de l’Égypte ». Enfin, al-Azhar a affirmé que ceux qui s’opposaient à la construction du mur violaient la loi islamique.
(2) Les musulmans intéressent vraiment beaucoup en ce moment. Il n'y a qu'à voir le lancement de la La fédération laïque Mosaïc et ses parrains...
* Zarabes tient le blog Zarabes.info
Pourquoi l'État cherche t-il un modèle d'islam pratiqué en France ? Si on n'arrête pas de nous rabâcher que la République est laïque, pourquoi l'État aurait-il besoin d'un « modèle » ? Tous les musulmans sont censés être des citoyens à part entière et sont soumis aux mêmes lois que les autres. Y aurait-il des musulmans mieux adaptés à la France ? Que cela signifie exactement « être un modèle » ? Et si ces musulmans sont mieux « adaptés » à la France, tous les autres doivent-ils suivre leur pas ?
Derrière cette problématique, qui pourrait sembler être du bon sens, il y a différents non-dits et un contexte qu'il convient d'examiner pour ne pas tomber dans un soutien angélique.
Tout d'abord, il faut constater que les musulmans de l'Hexagone (en majorité d'origine maghrébine) ne parviennent pas à s'autogérer au sein d'un Conseil français du culte musulman (CFCM). Ils ne sont pas suffisamment représentatifs de la population musulmane ; et les intérêts des Etats d'origine, comme l'Algérie ou le Maroc, restent encore trop présents. Surtout, la réalité des musulmans sur le terrain n'a pas vraiment changé depuis sa création. Les actions du CFCM font défaut.
Cette solution de CFCM, imposée au forceps par Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, était présentée à l'époque comme mieux que rien. Mais il s'avère qu'aujourd'hui cette structure ne fonctionne pas − ou pas comme l'État le souhaite. La solution semble être de chercher des alternatives plutôt que de comprendre les origines des problèmes actuels.
D'autre part, la montée générale de l'islamophobie se confirme jour après jour au sein du gouvernement, de l'UMP et d'une partie de la population. Au-delà des paroles et prétendus dérapages plus ou moins racistes, ce sont des actes islamophobes qui sont, aujourd'hui, en expansion. Cette tendance dangereuse, qui devrait être maîtrisée par le gouvernement, semble être chaque jour un peu plus le résultat d'une instrumentalisation qui lui échappe.
Il y a donc un intérêt certain pour le gouvernement et l'UMP à prouver qu'ils ne sont pas contre les musulmans en général. Regardez, on veut bien discuter avec les bons musulmans de La Réunion !
Au-delà de cette initiative qui pourrait faire l'objet d'une habile récupération, c'est cette gestion de la religion typiquement schizophrène qui pose problème. La neutralité supposée de l'État est confrontée chaque jour un peu plus à sa volonté de choisir le bon islam et le bon musulman. L'État se comporte ainsi comme un religieux qui veut définir l'orthodoxie de son islam de France. Vu que les musulmans n'ont pas trouvé seuls la voie qu'on leur avait tracée, on pourrait les aider un peu....
Les représentants de l'islam de La Réunion ont probablement conscience que les initiatives vraiment désintéressées, en dehors de tout agenda politique, sont de plus en plus rares. Cependant, le risque d'instrumentalisation et de notabilisation de ce type de démarche est d'autant plus important que, jusqu'à présent ,certains acteurs du CFCM gardent une certaine liberté de parole par rapport aux différentes mesures prises à l'encontre de la pratique des musulmans.
Le pire serait peut-être qu'on parvienne un jour au niveau du spectacle pitoyable donné par l'Égypte. En effet, à la suite de la décision du gouvernement égyptien d'établir un mur à sa frontière, le recteur de la mosquée d'Al-Azhar a donné par sa fatwa une légitimité religieuse à cette décision profondément injuste (1). Quand le religieux sert à légitimer les actes politiques, on peut craindre que le souci de l'individu et de sa pratique quotidienne passe pour le moins au second plan (mosquée, abattage, hajj, cimetière).
Dans l'Histoire de la civilisation islamique, les liens entre pouvoir politique et représentants religieux ne sont pas nouveaux. Mais il faudra s'en souvenir pour ne pas s'étonner que, en cas de divergences futures, des pressions plus ou moins fortes se fassent jour. Le cas de l'enfermement d'Abu Hanifah est un rappel excessif par rapport au contexte actuel ; mais il n'est pas inutile de rappeler qu'aujourd'hui le rapport de force entre l'État et les musulmans (2) reste largement favorable au premier. La communauté musulmane n'est pas aujourd'hui structurée pour peser réellement sur les débats comme d'autres communautés de foi.
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Notes
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