La comparaison des systèmes d’intégration nous paraît inopérante. Le modèle français n’est pas meilleur ni moins bon que le modèle anglais. Chaque société, compte tenu de son histoire, de sa culture et de sa psychologie collective a développé des mécanismes et l’on y trouve des acquis et des défaillances qu’il faut appréhender de l’intérieur des équilibres sociopolitique et économique des sociétés. Chacune a son génie et doit s’appuyer sur sa créativité politique collective pour résoudre les crises qui la traversent. Ce qui néanmoins devrait nous intéresser est l’analyse des similarités qui, dans la nature des débats ou les politiques gouvernementales, provoquent dans ces deux univers (comme ailleurs en Europe), des tensions sociales, culturelles ou religieuses.
En amont, on trouve partout discutée la question de « l’intégration des musulmans ». Que ce soit autour des questions de la laïcité ou de l’identité, on semble obsédé par l’idée que l’islam fait problème. Le discours politique entretient tant le doute quant à la capacité des musulmans à pouvoir vraiment être européen que la peur de cette menace que représenterait l’islam pour la paix sociale. On observe un jeu politique très malsain qui cherche à tirer un profit électoral de ces peurs avec des discours qui normalisent des thèmes qui étaient hier l’apanage des partis d’extrême droite : discours sécuritaire, préférence nationale, politique discriminatoire qui se confond avec la question de l’immigration.
Le retour obsessionnel des questions telles que l’intégration et l’identité est la preuve d’un double phénomène : d’une part, de l’incapacité d’entendre les voix musulmanes qui depuis des années affirment que l’islam ne fait pas problème et que des millions de musulmans assument parfaitement le fait d’être Européens, musulmans et démocrates. D’autre part, on y perçoit, à gauche comme à droite, l’absence de volonté politique de traiter des vraies questions sociales : entretenir la peur pour récolter des voix est plus facile que de proposer des politiques courageuses en matière éducative et sociale.
L’étude des deux terrains, loin des faux débats, nous ramène à d’autres similarités très concrètes. Que ce soit sur des bases ethniques ou économiques, les deux modèles ont construit de véritables ghettos. Dans le système anglo-saxon, la nature du lien ethnico-social régule davantage les relations interpersonnelles à l’intérieur des « communautés importées » et provoque donc moins de violence sociale, mais il n’en demeure pas moins que les communautés ne se mélangent pas. Les banlieues françaises comme les quartiers résidentiels sont de véritables ghettos sociaux et économiques. Le discours politique français voue aux gémonies la référence au « communautarisme religieux » sans voir que le véritable « communautarisme » qui mine sa société est de nature socio-économique. Or, il se trouve que les Noirs, les Arabes et les musulmans sont proportionnellement les plus pauvres et les plus marginalisés. Ce que l’Angleterre a déterminé par l’ethnie, la France l’organise par le porte-monnaie.
On ne dira jamais assez combien les deux modèles s’alimentent et nourrissent des conceptions xénophobes. Il faut regarder nos racismes en face. Dans ces sociétés morcelées les discours entretenus sur les Asiatiques, les Turcs, les Arabes, les Noirs et les musulmans tiennent de la xénophobie et les politiques discriminatoires en matière d’emploi et de logement sont du racisme institutionnalisé. Les causes sont certes multiples, de la peur à l’ignorance, mais les faits sont là et exigent une politique éducative et civique volontariste.
Le cœur des débats n’est pas religieux mais social. Contre la ghettoïsation et le racisme, nous avons besoin d’un sens de la créativité politique qui ose et qui risque. Quatre chantiers nécessitent un engagement prioritaire. L’éducation d’abord : les programmes scolaires ne disent très peu sur les histoires et les traditions de ceux qui composent les sociétés d’aujourd’hui. Si l’enseignement officiel ne reconnaît pas la contribution passée des parents, il sera difficile de faire croire que l’on respecte leurs enfants. Par ailleurs, les écoles-ghettos d’Etat qui devraient diminuer les inégalités ne font que les multiplier : au lieu d’alimenter les peurs autour des écoles privées religieuses qui concernent moins de 1% des populations, on ferait bien de réformer sérieusement une école publique qui consacre quotidiennement l’inégalité des citoyens.
La lutte contre le chômage et la discrimination à l’emploi est une autre priorité. Les taux de chômage des citoyens « d’origine immigrée » est infiniment supérieur à celui des citoyens « de souche ». Il est de première importance d’imposer un accès égalitaire au marché de l’emploi et de cesser de se référer à l’ « origine immigrée » des individus. Les gouvernements, loin des actions purement symboliques, devraient imposer la justice en matière d’emploi et sanctionner lourdement les discriminations racistes dans les administrations et les entreprises. Le troisième chantier est celui de l’habitation et de la politique urbaine. Les autorités locales n’osent pas aller à l’encontre des réflexes communautaires des riches ou/et des communautés ethniques. L’objectif d’une plus grande mixité sociale ne pourra pourtant se réaliser qu’au prix d’un engagement politique à contre courant des tentations de replis frileux et sectaires.
Ces politiques ne sont pas populaires et les partis rechignent à s’y engager. L’avenir nous impose pourtant d’aller dans ce sens et c’est pourquoi, loin de l’obsession-des-élections-qui-approchent et des discours de la peur, il faut lancer des mouvements nationaux d’initiatives locales promouvant l’éducation civique et citoyenne et la démocratie participative autour de projets locaux qui réunissent, au nom du bien commun, des citoyens d’histoires et de mémoires différentes. Il faut rétablir la confiance en soi et en autrui de même que le respect de soi et d’autrui.
Ces mesures sont impératives. Il faudra certes les marier avec des politiques de sécurité mais ces dernières seront sans effet si elles ne participent pas d’une approche globale courageuse. Ce n’est malheureusement pas ce que l’on voit poindre à gauche comme à droite. A celles et à ceux qui s’affirment français ou britanniques, on renvoie l’image qu’ils sont d’abord des Arabes, des Asiatiques ou des musulmans. Comment certains individus, marginalisés socialement et/ou psychologiquement, pourraient-ils ne pas être attirés par les discours littéralistes ou radicaux qui leur expliquent qu’ils sont rejetés pour ce qu’ils sont et qu’il n’est d’autre voie que celle de la confrontation des identités et des civilisations.
La boucle est malheureusement bouclée : les discours récurrents sur l’islam et l’intégration déplacent les problèmes et donnent raison à ceux qui, du côté musulman, islamisent tous les problèmes et, de l’autre, alimentent l’idée d’un irrémédiable conflit avec l’islam. Enfermés jusqu’à l’étouffement dans les débats autant passionnés que stériles autour de « qui est Français », « qui est British », on n’entend plus les revendications sociales légitimes de citoyens désormais français et britanniques. Leur violence, usant de moyens illégitimes, est une réaction malheureusement compréhensible face à cette surdité : à force d’imposer un faux débat sur l’intégration pour éviter le vrai débat sur l’égalité des chances et le partage des pouvoirs, on récolte ce que certains semblent machiavéliquement désirer : stigmatiser des appartenances, entretenir la peur, monopoliser et pérenniser leur pouvoir symbolique autant que économique et politique. L’histoire leur apprendra, bon gré mal gré, à partager.
En amont, on trouve partout discutée la question de « l’intégration des musulmans ». Que ce soit autour des questions de la laïcité ou de l’identité, on semble obsédé par l’idée que l’islam fait problème. Le discours politique entretient tant le doute quant à la capacité des musulmans à pouvoir vraiment être européen que la peur de cette menace que représenterait l’islam pour la paix sociale. On observe un jeu politique très malsain qui cherche à tirer un profit électoral de ces peurs avec des discours qui normalisent des thèmes qui étaient hier l’apanage des partis d’extrême droite : discours sécuritaire, préférence nationale, politique discriminatoire qui se confond avec la question de l’immigration.
Le retour obsessionnel des questions telles que l’intégration et l’identité est la preuve d’un double phénomène : d’une part, de l’incapacité d’entendre les voix musulmanes qui depuis des années affirment que l’islam ne fait pas problème et que des millions de musulmans assument parfaitement le fait d’être Européens, musulmans et démocrates. D’autre part, on y perçoit, à gauche comme à droite, l’absence de volonté politique de traiter des vraies questions sociales : entretenir la peur pour récolter des voix est plus facile que de proposer des politiques courageuses en matière éducative et sociale.
L’étude des deux terrains, loin des faux débats, nous ramène à d’autres similarités très concrètes. Que ce soit sur des bases ethniques ou économiques, les deux modèles ont construit de véritables ghettos. Dans le système anglo-saxon, la nature du lien ethnico-social régule davantage les relations interpersonnelles à l’intérieur des « communautés importées » et provoque donc moins de violence sociale, mais il n’en demeure pas moins que les communautés ne se mélangent pas. Les banlieues françaises comme les quartiers résidentiels sont de véritables ghettos sociaux et économiques. Le discours politique français voue aux gémonies la référence au « communautarisme religieux » sans voir que le véritable « communautarisme » qui mine sa société est de nature socio-économique. Or, il se trouve que les Noirs, les Arabes et les musulmans sont proportionnellement les plus pauvres et les plus marginalisés. Ce que l’Angleterre a déterminé par l’ethnie, la France l’organise par le porte-monnaie.
On ne dira jamais assez combien les deux modèles s’alimentent et nourrissent des conceptions xénophobes. Il faut regarder nos racismes en face. Dans ces sociétés morcelées les discours entretenus sur les Asiatiques, les Turcs, les Arabes, les Noirs et les musulmans tiennent de la xénophobie et les politiques discriminatoires en matière d’emploi et de logement sont du racisme institutionnalisé. Les causes sont certes multiples, de la peur à l’ignorance, mais les faits sont là et exigent une politique éducative et civique volontariste.
Le cœur des débats n’est pas religieux mais social. Contre la ghettoïsation et le racisme, nous avons besoin d’un sens de la créativité politique qui ose et qui risque. Quatre chantiers nécessitent un engagement prioritaire. L’éducation d’abord : les programmes scolaires ne disent très peu sur les histoires et les traditions de ceux qui composent les sociétés d’aujourd’hui. Si l’enseignement officiel ne reconnaît pas la contribution passée des parents, il sera difficile de faire croire que l’on respecte leurs enfants. Par ailleurs, les écoles-ghettos d’Etat qui devraient diminuer les inégalités ne font que les multiplier : au lieu d’alimenter les peurs autour des écoles privées religieuses qui concernent moins de 1% des populations, on ferait bien de réformer sérieusement une école publique qui consacre quotidiennement l’inégalité des citoyens.
La lutte contre le chômage et la discrimination à l’emploi est une autre priorité. Les taux de chômage des citoyens « d’origine immigrée » est infiniment supérieur à celui des citoyens « de souche ». Il est de première importance d’imposer un accès égalitaire au marché de l’emploi et de cesser de se référer à l’ « origine immigrée » des individus. Les gouvernements, loin des actions purement symboliques, devraient imposer la justice en matière d’emploi et sanctionner lourdement les discriminations racistes dans les administrations et les entreprises. Le troisième chantier est celui de l’habitation et de la politique urbaine. Les autorités locales n’osent pas aller à l’encontre des réflexes communautaires des riches ou/et des communautés ethniques. L’objectif d’une plus grande mixité sociale ne pourra pourtant se réaliser qu’au prix d’un engagement politique à contre courant des tentations de replis frileux et sectaires.
Ces politiques ne sont pas populaires et les partis rechignent à s’y engager. L’avenir nous impose pourtant d’aller dans ce sens et c’est pourquoi, loin de l’obsession-des-élections-qui-approchent et des discours de la peur, il faut lancer des mouvements nationaux d’initiatives locales promouvant l’éducation civique et citoyenne et la démocratie participative autour de projets locaux qui réunissent, au nom du bien commun, des citoyens d’histoires et de mémoires différentes. Il faut rétablir la confiance en soi et en autrui de même que le respect de soi et d’autrui.
Ces mesures sont impératives. Il faudra certes les marier avec des politiques de sécurité mais ces dernières seront sans effet si elles ne participent pas d’une approche globale courageuse. Ce n’est malheureusement pas ce que l’on voit poindre à gauche comme à droite. A celles et à ceux qui s’affirment français ou britanniques, on renvoie l’image qu’ils sont d’abord des Arabes, des Asiatiques ou des musulmans. Comment certains individus, marginalisés socialement et/ou psychologiquement, pourraient-ils ne pas être attirés par les discours littéralistes ou radicaux qui leur expliquent qu’ils sont rejetés pour ce qu’ils sont et qu’il n’est d’autre voie que celle de la confrontation des identités et des civilisations.
La boucle est malheureusement bouclée : les discours récurrents sur l’islam et l’intégration déplacent les problèmes et donnent raison à ceux qui, du côté musulman, islamisent tous les problèmes et, de l’autre, alimentent l’idée d’un irrémédiable conflit avec l’islam. Enfermés jusqu’à l’étouffement dans les débats autant passionnés que stériles autour de « qui est Français », « qui est British », on n’entend plus les revendications sociales légitimes de citoyens désormais français et britanniques. Leur violence, usant de moyens illégitimes, est une réaction malheureusement compréhensible face à cette surdité : à force d’imposer un faux débat sur l’intégration pour éviter le vrai débat sur l’égalité des chances et le partage des pouvoirs, on récolte ce que certains semblent machiavéliquement désirer : stigmatiser des appartenances, entretenir la peur, monopoliser et pérenniser leur pouvoir symbolique autant que économique et politique. L’histoire leur apprendra, bon gré mal gré, à partager.