Points de vue

La France est en contradiction avec ses propres idéaux

Rédigé par Elabed Djilali | Mardi 24 Mai 2005 à 00:00

La France est connue et reconnue dans le monde pour sa Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et la philosophie des lumières à l’origine de la modernité. Ces idées universalistes et humanistes, la France les a pourtant maintes fois trahies. Nous pouvons légitimement nous poser alors cette question : la France est-elle fidèle à ses idées ? La France s’est trop longtemps abritée derrière l’universalisme des Lumières pour imposer son modèle uniformisant et discriminatoire. Souvenons-nous que les philosophes des lumières ont majoritairement soutenu l’esclavage et par la suite le colonialisme.



La France est connue et reconnue dans le monde pour sa Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et la philosophie des lumières à l’origine de la modernité. Ces idées universalistes et humanistes, la France les a pourtant maintes fois trahies. Nous pouvons légitimement nous poser alors cette question : la France est-elle fidèle à ses idées ? La  France s’est trop longtemps abritée derrière l’universalisme des Lumières pour imposer son modèle uniformisant et discriminatoire. Souvenons-nous que les philosophes des lumières ont majoritairement soutenu l’esclavage et par la suite le colonialisme.


L’égalité promue, en théorie, par la République, n’a jamais été réellement respectée ni effective. Le Bilan est accablant à y regarder les inégalités à l’école, sur le marché du travail, dans les institutions étatiques et politiques. Pour étayer cette analyse je m’appuierai sur le concept essentiel de nation.

 

Nation allemande et nation française


La nation a deux acceptions. L’acception allemande de la nation repose sur des éléments objectifs tels que la langue, la culture, l’ethnie ou encore la religion. C’est ainsi qu’en Allemagne, la nationalité et l’accès à celle-ci sont basés sur le sang. Pour être Allemand il faut partager une culture, une langue ou avoir un parent allemand.

 

A cette conception ethnique de la nation, des philosophes français et particulièrement Ernest Renan ont opposé une théorie élective de la nation. L’appartenance à la nation ne repose ni sur la race, ni sur la religion, ni même sur une unité géographique mais sur la volonté d’intégrer une communauté, le désir de vivre dans une communauté nationale. Pour reprendre les termes de E.Renan, « la nation est un plébiscite de tous les jours » (1). Les membres  de cette communauté ont fait le choix libre de partager un même destin national, et cette volonté donne force à la nation. On parle ainsi de communauté de destin.


Il s’agit d’une très belle invention que cette conception de la nation en réalité, si ce n’est qu’entre le précepte et la réalité il existe parfois un fossé. Souvenons-nous en effet de la cérémonie de la remise des décrets de naturalisation à ces Françaises de confession musulmane à qui il a été refusé d’assister parce qu’elles portaient le foulard. On est effectivement bien loin des idéaux défendus par les partisans de la conception française de la nation. Ceci révèle surtout le manque de cohérence entre des idéaux affichés et l’échec flagrant de leur concrétisation.


Ceci révèle aussi l’échec d’un modèle, celui du jacobinisme uniformisant qui, après la révolution française, avait pour ambition de créer des citoyens abstraits sans aucun particularisme (2). Ambition aussi utopique qu’irrationnelle qui ne voulait pas reconnaître les
différences comme source de richesse mais y voyait les germes d’éventuelles inégalités.
Prétextant le respect de principes uniformisants et broyant les différences, hommes politiques et autres bien pensants ne veulent  pas se remettre en cause et sont par conséquents complices et responsables des inégalités et de l’exclusion (de l’école, du monde du travail…)
subies par un certain nombre de concitoyens de confession musulmane du fait de leurs spécificités culturelles et religieuses.


Les principes républicains sont beaux dans leur fondement mais ne se transcrivent pas toujours dans la réalité. Ils ne doivent pas être utilisés comme prétexte et moyens pour exclure les Françaises et Français, qui souhaitent intégrer la nation française, parce qu’ils ne partagent pas la même conception du religieux dans ses fondements mais surtout dans sa visibilité.

Cette posture frileuse ne se limite pas à la scène nationale et on peut l’étendre à la candidature turque à l’Union européenne. Je me permets ici de transposer cette conception française de la nation à l’échelle européenne. Même si l’Europe ne forme pas une nation, elle constitue
sans aucun doute une communauté de destin. Cela est d’autant plus vrai que depuis 1993 les Européens peuvent circuler librement à travers le territoire des pays membres.
La Turquie souhaite ardemment rejoindre l’Union européenne et la grande majorité des Etats européens le souhaitent aussi. Il existe effectivement en Turquie un consensus, un plaidoyer pour intégrer l’Europe.

 

La Turquie en Europe est un cas révélateur


 La France est parmi les quelques pays qui s’y opposent. Comment expliquer que les hommes politiques français, de gauche comme de droite, opposent une fin de non recevoir à ce pays alors qu’il s’agit d’une démocratie laïque dont l’histoire et la géographie sont européennes ?
Cette posture de la France est là aussi en contradiction avec l’idée d’une nation reposant non pas sur la géographique, la religion ou la culture mais sur une volonté ; la volonté de se projeter dans l’avenir et de construire un projet de société.


Hors il faut le reconnaître le refus français repose essentiellement sur la culture et l’islamité de la Turquie. Il ne faut pas se voiler la face, les hommes politiques français ne souhaitent pas que la part des citoyens européens de confession musulmane ne devienne trop importante.
Cela remettrait en cause, selon eux, « l’identité européenne » basée sur l’héritage gréco-romain, la philosophie des Lumières et sur le christianisme. Force est de constater ici l’amnésie générale s’agissant de l’héritage arabo-musulman.

 

Le modèle français abstrait a permis à l’humanité de progresser en inscrivant dans le marbre des doits humains naturels et inaliénables. Il reste que ce modèle connaît aussi des limites et il est grand temps de le réformer. Des intellectuels mais aussi des hommes politiques ont entamé cette démarche. Le dernier ouvrage de E.Balladur (3) ou encore le débat actuel sur la discrimination positive s’inscrivent  dans cette optique. Si la France veut garder son statut et son aura dans le monde, si elle veut éviter des tensions internes, elle a tout intérêt à reconsidérer son modèle au risque de le voir disparaître sous la pression de la mondialisation et de la construction européenne. Espérons que nos hommes politiques feront preuve, dans l’avenir, de plus de sagesse et d’ouverture d’esprit pour ne pas reproduire les erreurs passées comme se fut le cas pour la loi sur le voile qui a suscité l’incompréhension tant au niveau national qu’international.

 


(1) Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ? (1882), Conférence prononcée à la Sorbonne.
(2) Pierre Rosanvallon, Le modèle politique français, la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, UH SEUIL.

(3) E.Balladur, La fin de l’illusion jacobine, Fayard.