Points de vue

La République, la kippa et le foulard : le traitement doit être équitable

Rédigé par Abel Sena | Lundi 18 Janvier 2016 à 09:00



L’agression d’un enseignant de confession juive par un adolescent se réclamant de Daesh a suscité beaucoup d’émotion et d’indignation dans tout le pays. Et une vague de soutien a déferlé de toute part incriminant cet acte odieux et témoignant à nos compatriotes juifs la solidarité de toute la communauté nationale.

Un élan de solidarité unanime sur fond d’une polémique née après que le président du consistoire israélite de Marseille, Zvi Ammar, a appelé les juifs de France à ne plus porter la kippa. Le grand rabbin de France Haïm Korsia ainsi que Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), ont contesté cette décision en la qualifiant d’indigne et en appelant leurs coreligionnaires à résister car, selon eux, il en va de l’honneur et de la dignité des juifs. Le grand rabbin de France a même demandé à « l'ensemble des supporteurs de l'Olympique de Marseille à revêtir mercredi 20 janvier un couvre-chef » en signe de soutien et de solidarité à l’occasion du match qui opposait l’OM à l’équipe de Montpellier.

Un concert d’hommages qui laisse rêveur

Pour leur part, les hommes politiques de tout bord ont unanimement condamné cette agression, tout en exprimant leur émoi et leur incompréhension à l’idée même de voir les juifs de France contraints de se défaire d’un symbole religieux sacré. Certains d’entre eux ont même arboré une kippa dans les couloirs de l’Assemblée nationale pour faire part au professeur agressé et, à travers lui, à la communauté juive, de leur solidarité dans cette épreuve difficile. Ainsi, Claude Goasguen, député (Les Républicains) de Paris et vice-président du groupe d’amitié France-Israël, s’est affiché devant les caméras avec une kippa sur la tête pour défendre le droit de tout un chacun d’exprimer sa religion sans être inquiété ou menacé.

De leur côté, les médias ont, à l’unisson, abondamment relayé, sans fausse note, cette vague d’indignation. Un concert d’hommages et de témoignages de solidarité qui laissent rêveur. Et l’on avait même l’impression que la laïcité a enfin repris ses droits et regagné son sens originel : celui de permettre à toutes les confessions de s’exprimer dans l’espace public. L’avenir s’annoncerait-il enfin sous les meilleurs auspices pour toutes les religions en France, sans distinction ?

Étendre ces messages de solidarité à tou-te-s

Dans tous les cas, nous joignons notre voix à celles de tous les pacifistes qui rejettent toute forme de violence contre des innocents, quelle que soit leur religion ou leur croyance. Nous dénonçons la barbarie qui porte atteinte à la vie, comme nous condamnons les exactions qui se commettent au nom de la religion partout dans le monde. La vie est sacrée et elle l’est à Bagdad, à Damas, à Sanaa, à Ankara, à Tripoli, à Tunis, à Ouagadougou ou à Paris.

Nous joignons aussi notre voix à toutes celles qui se sont levées après l’incident de Marseille pour défendre le droit de nos compatriotes juifs de porter la kippa, comme nous défendrons toujours le droit de toutes les communautés religieuses de vivre leur culte dans la quiétude et la sérénité sans distinction et sans traitement à géométrie variable.

Ces voix nous ont transmis un message de tolérance que nous chérissons au plus profond de nous-mêmes, mais nous aimerions les voir étendues à toutes les causes sans distinction. A cet égard, nous aimerions entendre ces mêmes voix lorsqu’il s’agit d’agressions commises contre des femmes voilées en raison de leur appartenance religieuse.

Nous aurions aimé entendre ces voix lorsque Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad, soldat français tué par le terroriste Mohamed Merah, a été huée en raison de son foulard lors d’une rencontre sur la laïcité organisée à l’Assemblée nationale. Nous aurions aimé voir les médias s’offusquer de ce comportement indigne au sein d’une institution républicaine.

Etre équitable envers tous ses enfants

Nous aurions aimé entendre les députés français défendre l’honneur de cette femme devant les caméras de télévision. Cette femme dont le fils, musulman, n’a pu échapper à la barbarie commise au nom de la religion. Cette femme meurtrie et endeuillée mais qui ne cesse de prêcher un discours de tolérance et de vivre ensemble. Nous aimerions voir les médias faire preuve de la même bienveillance lorsqu’il s’agit de musulmans agressés et discriminés à cause de leur religion. Nous aimerions voir des journalistes intellectuellement honnêtes qui n’ont pas la critique sélective et qui ne font pas dans la surenchère des signes religieux. Nous aimerions qu’il soit aussi insupportable pour le président de la République que des citoyennes françaises aient à se cacher pour porter un foulard qu’il lui est insupportable que des citoyens français aient à se cacher pour porter la kippa.

Si la République a fait montre de solidarité exemplaire avec une partie de ses enfants suite à l’agression abjecte survenue à Marseille, elle a le devoir d’être équitable envers tous ses enfants et de les traiter tous sur un pied d’égalité. Car il n’y a pas une cause plus noble qu’une autre. Et le foulard de Latifa Ibn Ziaten est aussi sacré que la kippa de l’enseignant agressé à Marseille.

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Abel Sena est enseignant.