Société

La misère n’est pas qu’économique, elle est aussi culturelle et affective

L’œil de Saphirnews

Rédigé par | Lundi 17 Octobre 2016 à 22:30

En cette journée mondiale de refus de la misère, ATD Quart monde lance un nouveau vocable : « pauvrophobie », pour désigner ce mal dont souffrent les riches, celui de discriminer à raison de la précarité sociale de ceux qui les entourent. Et pour dire non à la pauvreté, l’association, créée en 1957 par le P. Joseph Wresinski, lance une œuvre collective « Un monde pour tout le monde », que chacun-e est invité-e à co-créer pour signifier au monde que la solidarité aura le dessus sur les égoïsmes.



« Un monde pour tout le monde » est une œuvre collective proposée par ATD-Quart Monde. Elle était présentée à l’occasion du colloque international « Villes de paix : des histoires qui font l’Histoire », à Beauvais, les 17 et 18 septembre 2016, qui avait pour thème « Les villes, témoins du vivre-ensemble : enjeux géopolitiques, religieux et migratoires ».
17 octobre. Journée internationale de refus contre la misère. Difficile de « célébrer » une journée pour essayer de conscientiser les individus sur les réelles priorités de nos sociétés, alors que la campagne présidentielle s’annonce déjà sous les auspices d’une identité culturelle uniforme à défendre et d’une gauloiserie à brandir.

Il y a tout juste un mois, les 17 et 18 septembre, se tenait un colloque international « Villes de paix : des histoires qui font l’Histoire », organisé à Beauvais (Oise), par l’association Croyants unis pour la paix. Saphirnews et Salamnews étaient invités à débattre du thème « Médias et vivre ensemble en ville » aux côtés de La Croix et du Parisien. Un colloque très riche avec, notamment, de superbes témoignages sur Sarajevo, Beyrouth, Calais et Bangui lors de la table ronde « Villes martyres, villes de paix » et sur l’interreligieux et l’interconvictionnel lors de la table ronde « Les religions au cœur de la ville ».

« Une fois qu’on a dépassé nos différences culturelles et convictionnelles, on aborde enfin les questions économiques et écologiques, qui sont les vraies questions de notre temps », faisait remarquer en fin de colloque Jamal Ouharrou, vice-président de l’association Un ciel pour tous, à Beauvais. « On comprend vite pourquoi on cherche à nous diviser. »

« On aboutit au culturalisme qui se réduit à la défense de ses valeurs, où le vivre-ensemble fait du sur-place et aboutit au conflit. L’autre est vécu comme une étrangeté », avait analysé, la veille, Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions et directeur de la revue Esprit. « Nous demandons à la justice de régler les conflits culturels. Or le droit et la justice seuls ne suscitent pas l’adhésion, car il n’y a pas d’échanges. »

Une œuvre collective accessible à tous

L’échange, la co-construction, le partage sont les valeurs que véhiculent justement « Un monde pour tout le monde », une œuvre collective proposée par ATD-Quart Monde et présentée à l’occasion de ce colloque international.

Il s’agit de convier chacun-e à co-créer une œuvre collective faite de tresses de tissus entrelacées de façon à former une boule compacte, symbole de la terre composée de multitude de couleurs, de multitude de textures. Cette multiplicité des coloris et des motifs entrelacés s’attaque à l’uniformité fade que certains voudraient ériger en unité factice, alors que c’est « l’union des différences qui fait la beauté de ce monde », revendiquent les porteurs du projet.

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Les tresses, symbole d’union, sont faites de récupérations de tissus, trois bandes de tissus tressées ensemble signifiant que « ensemble on est plus fort ». La compacité de la boule, où chaque fibre textile est solidaire d’une autre bande de tissu, envoie le message que « nul n’est laissé de côté », explique ainsi ATD Quart Monde.

« Les pauvres ont besoin de pain et de culture, pas à la suite, mais en même temps », affirmait en l’occurrence Joseph Wresinski, prêtre diocésain et fondateur d’ATD Quart Monde, et qui a fait de la lutte contre l’illettrisme un de ses chevaux de bataille.

« Bibliothèque de rue : la culture est une arme contre la misère », affirme Marisol Nodé-Langlois, délégué régionale d’ATD Quart Monde, lors du colloque « Villes de Paix ».
Prenant pour exemple la bibliothèque de rue organisée avec les enfants et les familles chaque dimanche, à Beauvais, Marisol Nodé-Langlois, délégué régionale d’ATD Quart Monde, affirme : « La culture est une arme contre la misère. Il n’y a pas que la misère économique, il y a aussi la misère culturelle et affective. Celles-ci entravent l’éducation et l’épanouissement des enfants. »

Et citant de nouveau le P. Joseph Wresinski : « Si on avait pour les riches la même attention et le même soutien qu’on a pour les pauvres, on aurait certainement changé le monde ! »

Riches et pauvres, même combat ?

Didier Leschi, préfet, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), se félicitait, malgré la mauvaise anticipation de la crise migratoire de la part des pouvoirs publics, que « notre pays se tient bien : la solidarité active est là, malgré les attentats. (…) On n’a pas de lieu d’accueil qui a suscité une réaction de refus ». Excepté l’incendie d’un centre d’accueil pour migrants dans l’Essonne, a-t-il cependant déploré.

Didier Leschi n’a pas manqué non plus de contester le branle-bas de combat des habitants du 16e arrondissement de Paris s’opposant à l’établissement d’un centre d’hébergement de sans-abris. « C’est un refus de classe inqualifiable », dénonce l’ancien directeur du bureau des cultes au ministère de l’Intérieur et ancien préfet pour l’égalité des chances en Seine-Saint-Denis. « Heureusement que la bêtise ne se retrouve pas dans toutes les catégories sociales ! », se rassurait-il le 17 septembre dernier.

Un mois après, en ce lundi 17 octobre, journée internationale de refus contre la misère, une tentative d’incendie volontaire était constatée dans ledit 16e arrondissement de Paris, au pied du bâtiment qui accueillera, à la mi-novembre, 200 personnes sans-abris, dont la moitié est constituée de familles. Lutter contre la pauvreté, un luxe que ne peuvent se permettre les riches ? Ceux-là mêmes qui souffrent de « pauvrophobie », un néologisme qu’ATD Quart monde souhaite faire entrer dans le Code pénal pour désigner toutes les discriminations à raison de la précarité sociale.



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur