Il y a des passions qui ne s’expliquent pas. ' Partout où j’ai vécu, partout où je me suis installé, au Mali, à Abidjan et à Paris, j’ai toujours fondé une petite mosquée ' explique Moussa Diakité. A l’angle de la rue des Poissonniers et de la rue Pollenceau, dans le 18e arrondissement de Paris, un portail de métal blanc forgé indique l’entrée de la Mosquée Assalam, la Mosquée de la Paix. Fondée en 1975, elle accueille chaque jour, cinq fois par jour, des milliers de musulmans dans ce quartier où l’activité commerciale est la chose la plus visible.
Une ancienne cave érigée en mosquée
Dans la canicule de ce sombre été parisien, la fraîcheur du lieu rappelle qu’il fut autrefois une cave. Une de ces légendaires cave-mosquées de Paris. Avant que cet espace ne soit dédié à la Jamat, les réunions de prières rituelles musulmanes, ce côté du quartier de la ' goutte d’or ' était un haut-lieu de transactions illégales en tout genre. Un terrain de chasse pour inspecteurs de police. M. Diakité s’en souvient encore : ' Avant que nous n’ouvrions la mosquée ici, il n’y avait pas de magasins. C’était impossible. La nuit tombée, les gens honnêtes ne prenaient pas cette rue (ndr : la rue Pollonceau). Il y avait des descentes de police et des morts chaque nuit. ' explique M. Diakité. ' C’est grâce à la mosquée que tout a changé... Et maintenant la mairie de Paris veut nous déloger. Nous ne le voulons pas, bien sûr ! Les commerçants et les voisins ne veulent surtout pas que la mosquée quitte la rue '.
Dans la grande salle de prière, deux petites armoires contenant quelques exemplaires du Coran constituent le seul mobilier visible. D’immenses ventilateurs fixés au plafond brassent l’air, inlassablement, dans un léger bruit régulier. Quelques fidèles assis, accroupis ou allongés sur le tapis de sol bleu attendent l’heure de la Salât. Face aux portes d’accès à la grande salle, un emplacement dessiné au mur, symbolise le Minbar. Il est surplombé de deux tableaux de calligraphie arabe dont l’un représente le nom de Dieu et l’autre celui du prophète. Pas de trône pour le sermon du vendredi. La simplicité est l’unique costume qui habille l’intérieur de la salle. Pas de fresques murales non plus. Juste une bonne couche de peinture blanche pour parer les murs. Par souci d’économie de l’espace, le minbar ne bénéficie pas du traditionnel renforcement dans le mur permettant à l’Imam de se décaler un peu vers l’avant.
A partir de la rue, deux portes permettent d’accéder à la mosquée. Chacune donne sur un couloir avec des armoires métalliques accueillant les chaussures des fidèles. Le couloir sépare la grande salle de prière et les salles d’ablutions comprenant des toilettes et quelques rangées de robinets. Un minuscule cagibi de deux mètres sur trois sert de salle de machines d’où M. Diakité commande la sonorisation de la salle. Sur le côté de la grande salle, deux petites salles servent de salles de cours d’apprentissage du Coran et de cours de langue arabe.
Les portes de la mosquée sont ouvertes une demi-heure avant la Salât. Elles ferment une demi-heure après. Les horaires de Salât figurent sur la principale porte d’entrée. En attendant le début de la Salât, les haut-parleurs diffusent un prêche en langue Sarakolé bien connue en Afrique Occidentale musulmane. Les fidèles sont, pour une large majorité, originaires du sud du Sahara comme le témoigne la foison de grands boubous multicolores. ' Le vendredi, je fais un prêche en français ou en Bambara avant la prière. Mais pour le sermon rituel, c’est l’Imam qui choisit la langue d’expression. Nous n’avons pas un seul Imam. Nous n’avons même pas d’Imam attitré. Nous en avons trois pour le vendredi. Ce sont des fidèles comme les autres à la différence qu’ils connaissent bien la religion et peuvent l’expliquer et la commenter. Chaque semaine, selon leur disponibilité, j’en désigne un qui dirige la prière. C’est lui qui décide de la langue du sermon : le français, l’arabe, le Sarakolé ou même le Toucouleur. Cela se passe ainsi, sans le moindre problème. Pour les jours ordinaires, les fidèles présents choisissent l'un d'entre eux pour diriger la prière. ' explique M Diakité.
Sauvée par un généreux donateur
En arrivant en France en 1963, M. Diakité était tailleur. Dans son atelier de couture du 18e arrondissement de Paris, comme dans celui qu’il avait laissé à Abidjan, il réserve un espace à la Salât. Des amis se joignent à lui régulièrement, pour célébrer l’office ensemble. Au bout de quelques années, l’endroit devint très fréquenté mais trop exigu pour accueillir tous les fidèles. Ils décident de louer une cave, en face de l’atelier de couture, pour un bail de dix ans. Au terme du bail, le propriétaire voulut vendre son bien. La mise à prix dépasse de beaucoup les moyens financiers de M Diakité : ' Je me suis dit que si nous étions sincères, nous trouverions un moyen de réunir les deux millions de Francs nécessaires. Je me suis rendu en Arabie Saoudite. J’ai démarché des donateurs. J’en ai rencontré un, un homme fort riche et profondément croyant. Il a accepté de nous aider. Il a acheté le bâtiment, donc la mosquée. Il est devenu propriétaire et je suis fondateur. C’est ainsi que la mosquée fut sauvée. '
Le montant annuel des frais d’entretien courants s’élève à plus de 11 000 €. C’est beaucoup plus que les dons des fidèles. D’où un endettement permanent sans cesse renégocié pour faire face aux factures d’eau et d’électricité. Dévoué et disponible, le fondateur est un homme orchestre qui a veillé seul au bon fonctionnement de la mosquée. L’idée d’une association de gestion est récente. M Diakité a fini par se faire à cette option. L’association Jamat al Fatah a vu le jour. Il existe une petite équipe de volontaires qui organise désormais les moments de forte affluence comme les vendredis, les jours de fête et le mois de Ramadan. Pendant le Ramadan, la mosquée offre l’Iftar, la rupture du jeûne, aux démunis. ' Nous recevons beaucoup d’argent durant le ramadan. Nous en dépensons beaucoup aussi... Ce travail est fait au nom de Dieu. Ce n’est pas un commerce. Notre soucis est que Dieu accepte nos prières. Or Dieu peut accepter la prière grâce à l’Imam, Il peut l’accepter grâce à un fidèle, Il peut l’accepter aussi simplement par ce que nous nous sommes réunis. C’est pour cette raison qu’il nous faut conserver notre mosquée ' explique M. Diakité.