Points de vue

La persécution des Ouïghours continue en Chine, stop à l'indifférence en France

Rédigé par Gianguglielmo Lozato | Vendredi 31 Mai 2024 à 12:45

Le mois de mai vient tout juste de se terminer, laissant derrière lui le tour d’Europe réalisé par le président chinois Xi Jinping. Son arrivée en France n’est pas passée inaperçue, sur fond de tourisme d’affaires cynique, aux antipodes des principes régissant la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Parmi les victimes de sa politique figurent les Ouïghours.



© Institut Ouïghour d’Europe
Paris, 5 mai 2024. « Génocide » est le premier mot qui vient à l’esprit en évoquant le sort des Ouïghours. Le même qui se trouve par ailleurs prononcé par les personnes composant le rassemblement organisé Place de la Madeleine par Dilnur Reyhan, sociologue ouïghoure enseignant à l’Inalco et à Sciences Po. Avec l’appui de plusieurs collaborateurs et sympathisants, elle s’est évertuée à dénoncer, alerter, sensibiliser pour mieux expliquer l’ampleur de la persécution dont sa population d’origine est victime.

L’indécence au rendez-vous

« Les Ouïghours, c’est parce qu’on ne les connaît que très peu que, à mon humble avis, on a tardé à réagir. Maintenant, nous n’avons plus aucune excuse. » Cette affirmation de Quentin, étudiant franco-belge se présentant comme « catho-laïc ascendant laïco-catholique », est suivie par une assertion signée de Philippe, retraité plein de sagesse : « La Chine de Tintin et du Lotus Bleu, c’est fini. Cette persécution généralisée n’a pas lieu d’être en 2024. (…) Cela me rappelle des heures peu glorieuses du siècle précédent. Avec tous les réseaux sociaux et les images satellitaires, on ne peut pas dire qu’on ne sait pas. Et pendant ce temps, on accueille chaleureusement Xi Jinping. C’est de l’indécence. »

La question ouïghoure est tour à tour soumise à la censure chinoise, à l’ignorance, à l’indifférence, voire au « jemenfoutisme » et à la malveillance complaisante d’Etats ou encore de grands groupes industriels faisant travailler dans des conditions dignes de l’esclavagisme des ouvriers venus du Turkestan oriental, particulièrement dans le secteur textile.

L’incompétence des autorités

C’est justement à l’évocation du travail forcé que Léo, traducteur franco-japonais et diplômé de l’Inalco, réagit en expliquant que, d’après lui, « on joue sur les mots comme on joue sur les vies. Par exemple, lorsqu’on banalise une incarcération de masse en désignant cela sous l’appellation de "centre de formation" ». Ces propos cadrent tout à fait avec la méconnaissance générale, pas forcément coupable, encouragée à demeurer intacte au moyen de l’imprécision et de la rétention d’information.

S’ensuit l’incompétence de beaucoup d’autorités politiques, gouvernantes ou non, et la complicité entre Etats. Un jeu de communication s’est d’ailleurs mis en place avec, d’un côté, des personnalités s’exprimant clairement sur le sujet comme Raphael Glucksmann et, de l’autre, des dirigeants plus ambivalents comme le président Emmanuel Macron. Même un politicien enjoué comme Jean-Luc Mélenchon demeure extrêmement peu disert sur la condition de la minorité turcophone discriminée en Chine.

Jusqu’en France, les Ouïghours ne peuvent vivre sans la menace d’intimidations planifiées depuis la Chine

En pleine visite du président chinois en France, un rassemblement pacifique, serein, s’est donc tenu malgré la pluie. Une sérénité perturbée par deux événements orchestrés par des éléments extérieurs à la manifestation. Un groupe d’émeutiers est d’abord parti à l’assaut des manifestants. Manifestement d’origine subsaharienne, ils auraient été stipendiés pour créer le désordre et ne semblaient même pas comprendre pourquoi ils se trouvaient là excepté pour poser problème aux Ouïghours présents. Par la suite, un groupe de perturbateurs chinois ont menacé et insulté de manière véhémente l’assistance.

Dans les deux cas, l’intervention des forces de l’ordre a été rapide et efficace. Le temps de reprendre ses esprits et de constater que, jusqu’en France, les Ouïghours ne peuvent vivre sans la menace d’intimidations planifiées depuis la Chine. Le tout sous le regard incrédule de Bijan Tavassoli, auteur d’origine iranienne présent pour la télévision allemande, et en présence de la rescapée des camps Gulbahar Haitiwaji, stoïque mais qui reste encore aujourd’hui sous l’effet de son expérience traumatisante qu’elle raconte dans son livre Rescapée du goulag chinois (2021).

Les impératifs économiques, commerciaux, financiers ont émis bien des diktats au fil des époques. La politique également. Naturellement, il serait inconvenant de mal recevoir un chef d’État, au nom du principe de courtoisie élémentaire et des règles de la diplomatie. Est-ce une raison pour ne pas manifester un mécontentement alors qu’un peuple est en train de disparaître ? En ce sens, l’intervention très convaincante de Dilnur Reyhan sur LCI le soir-même de la manifestation aurait dû être davantage relayée. Ce que subissent les Ouïghours et les musulmans de façon générale en Chine, en Inde ou ailleurs, cela arrive et pourrait arriver n’importe où et à n’importe quelle autre communauté.

Le mot de la fin serait peut-être pour une des manifestantes répondant du prénom de Tesdim, Italienne par son père et Tunisienne par sa mère : « Différents ne veut pas dire opposés ou ennemis. » Il serait bon que le gouvernement chinois l’entende, pour paraphraser Erkin Ablimit, ex-président du gouvernement du Turkestan en exil, et président de l’association Union internationale des Ouïghours (UIO).

Note de la rédaction : « Alors que se poursuit, en Chine, le génocide des Ouïghours et que de nombreux membres de la diaspora, en France et ailleurs, subissent des pressions, des menaces et du harcèlement de la part des autorités chinoises », un événement rassemblant des candidats à l'élection européenne du 9 juin et des acteurs politiques est organisé vendredi 31 mai à la Gaité Lyrique, à Paris pour en débattre, sous l'égide de l'Institut ouïghour d'Europe, présidé par Dilnur Reyhan. Cette dernière se réjouit que « pour la première fois, la question ouïghoure fait partie d’une campagne électorale en France ».

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Gianguglielmo Lozato est professeur d'italien et auteur de recherches universitaires sur le football italien en tant que phénomène de société. Il est auteur de l'essai Free Uyghur (Editions Saint-Honoré, mai 2021).

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